Walt Disney Animation Studios » Projets Avortés

Chantecler et le Renard

Titre original :
Chanticleer and the Fox
Production :
Walt Disney Animation Studios
Date de publication USA :
Novembre 1991
Projet :
Animation 2D
Auteur :
Fulton Roberts
Illustration :
Marc Davis des studios Disney
Publication :
Disney Press, 30 pages

Le synopsis

Dans un petit village de la campagne française, vit un coq répondant au doux nom de Chantecler. Fier de son allure, de son apparence et, par dessus tout, de son chant, il prend à cœur chaque matin d'annoncer l'imminente levée du soleil. Sa prestation quotidienne est d'ailleurs d'une telle qualité qu'une croyance finit par laisser penser que l'astre céleste ne se lèvera pas sans son fameux "cocorico". Un tel pouvoir mérite, dès lors, une belle reconnaissance : Chantecler fait ainsi l'unanimité pour accéder au poste de maire ! Mais, ses administrés vont malheureusement bien vite apprendre à leurs dépends que le succès est monté à la tête de leur coq fétiche. Ce dernier ne tarde pas, en effet, à prendre des airs d'apprenti dictateur...

Alors que tout le village est sous le joug de Chantecler, Renart, un fieffé coquin malhonnête, beau parleur et oisif, passe dans le coin. Flairant le mauvais coup, il entreprend de profiter de la situation de mécontentement généralisé. Après avoir abusé quelques poules, dont certaines finissent bien malgré elles dans son estomac, il se décide, il est vrai, à mener campagne pour prendre le pouvoir et ravir le poste de premier magistrat à l'occasion de l'imminente élection municipale. Sans morale aucune, Renart se livre à toutes les bassesses pour corrompre le vote : il envoie même un jeune et robuste coq, Poco Loco, séduire la bien aimée de Chantecler. Fou de rage, ce dernier le provoque en duel mais perd sous les puissants assauts du vil prétendant. Rien ne semble plus désormais devoir faire obstacle aux ambitions démoniaques de Renart et de son acolyte à plumes. Ils n'auront toutefois pas loisir de fêter leur victoire bien longtemps : Sergent, le chien policier, gardien du poulailler, intervient, en effet, vigoureusement et chasse les intrigants sans ménagement.

La sérénité peine malgré tout à revenir dans le village. Chantecler, abattu et déprimé, reste alité trois jours de suite et ne chante plus. Si le soleil n'a que faire du silence pour se mettre à briller, les habitants, eux, ont bien du mal à se réveiller chaque matin. Le coq est ainsi invité à reprendre à la fois son poste et ses esprits, en n'oubliant plus jamais que personne n'est indispensable et que tout le monde est utile, dans le respect de chacun...

La critique

rédigée par

Chantecler et le Renard est assurément, chez Disney, le projet de long-métrage d'animation qui s'est étalé sur le plus grand nombre d'années pour finalement ne jamais voir le jour !

Il prend pour base deux œuvres françaises de la littérature classique : Chantecler et Le Roman de Renart.
La première est une pièce de théâtre d'Edmond Rostand écrite en 1908 et présentée au public le 12 février 1910. A la manière de Jean de la Fontaine, elle raconte la vie quotidienne des animaux d'une basse-cour, dont le coq (nommé Chantecler) détient le pouvoir de faire se lever le soleil par son seul chant. Fable dramatique en quatre actes et en vers, elle est une satire assumée du monde de la politique et des lettres. Elle ne parvient toutefois pas à convaincre les spectateurs de l'époque et offre à son auteur, universellement connu pour Cyrano de Bergerac, l'un de ses plus retentissants échecs.
La seconde est un recueil de récits médiévaux français des XIIe et XIIIe siècles mettant en scène des animaux parabolant les humains. Composé de courts récits indépendants, quelquefois en prose, le plus souvent en vers octosyllabiques, il est une retranscription, en français, d'historiettes racontées, sous diverses formes, par les jongleurs à la population analphabète du Moyen Âge. Il comptabilise ainsi pas moins de 27 branches rédigées, au cours des temps, par des auteurs différents. Il fait la part belle à deux principaux intervenants : le loup « Ysengrin » et le goupil « Renart ». Le Roi-lion sert, lui, d'arbitre.

Les studios Disney s'emparent du projet en 1937, non loin de la sortie de Blanche Neige et les Sept Nains.
Renart entre ainsi en phase préparatoire en début d'année. Le Roman de Renart présente comme la princesse le gros avantage d'être libre de droits. Mais la genèse de son adaptation est plus douloureuse : Walt Disney lui-même s'interroge sur la trop grande sophistication de l'histoire originale. Jugée intellectualisée à l'excès, elle est, en outre, dénuée d'un personnage principal attachant. Passe encore que Renart soit un escroc, (cela n'est pas un obstacle pour en faire, au final, un être sympathique !) mais impossible, en revanche, de le conserver en meurtrier (l'idée est tout simplement inconcevable pour un héros disneyen).
Parallèlement à ses recherches sur Le Roman de Renart, Walt Disney envisage d'acquérir les droits cinématographiques de la pièce d'Edmond Rostand dès la fin de 1937. Certains de ses artistes se montrent, à leur tour, fort réticents. Les reproches sont d'ailleurs similaires à ceux formulés par le papa de Mickey contre le goupil moyenâgeux. Les critiques fusent : le récit est trop intellectuel, les personnages, tous animaux, mal aisés à animer s'il convient de les habiller et le coq n'est pas franchement un héros facile à rendre attachant. Le débat fait rage au sein du studio mais Walt Disney tranche finalement en faveur de l'adaptation et initie un achat des droits au début de 1941. Chantecler est d'ailleurs acquis avec d'autres œuvres françaises, dont une sélection de morceaux de musique destinée à être inclus dans un nouveau Fantasia (le Boléro de Ravel, la Danse Macabre et le Carnaval des Animaux de Saint-Saëns) ou encore, les trois premiers tomes de livres de Babar de Jean de Brunhoff.

L'entrée en guerre des Etats-Unis vient bousculer tous les schémas de production. La Walt Disney Company est, en effet, réquisitionnée et participe toute entière à l'effort de propagande militaire. Seuls les scénaristes continuent donc à s'intéresser aux deux projets. C'est finalement en 1945 que l'idée de fusionner les récits dans un seul film est murie. Le stratagème apparait aujourd'hui fort habile. Quoi de mieux, pour rendre un héros sympathique, que de lui donner un adversaire dangereux et pernicieux à combattre ? Et quel animal, mieux qu'un renard, peut être l'ennemi d'une bassecour ? L'entreprise de "disneyatisation" des histoires est en marche et rien ne saurait plus l'arrêter. Chantecler est d'ailleurs vite américanisé et transformé en Chanticleer. Le travail d'adaptation reprend donc de la vigueur et se poursuit jusqu'au début des années 50. Il rencontre à nouveau des difficultés. L'arrivée d'un méchant charismatique n'a pas produit tous les effets escomptés. L'histoire ne parvient toujours pas à prendre forme. Si la localisation dans une bassecour offre aux artistes de nombreuses trouvailles visuelles et un florilège de gags (les dessins de la fin des années 40 inspireront après coups grandement la conception de Robin des Bois sorti en 1973 !), le récit lui ne décolle pas. Le scénario patine et le personnage principal, le coq, reste toujours aussi peu attachant. Walt Disney se lasse et décide de stopper net le projet, sans aucune autre forme de procès.

Chantecler rejoint donc les étagères de la Walt Disney Company. Il y passe dix ans et rien ne semble alors devoir le remettre en selle. Pourtant, en 1960, Ken Anderson et Marc Davis, un des Neuf Vieux Messieurs, vont venir rechercher le coq. Achevant tout juste leurs travaux sur Les 101 Dalmatiens, ils sortent d'un film qui a fait rentrer, le premier, les longs-métrages animés dans l'air moderne. Par le ton (clairement contemporain à la différence de La Belle au Bois Dormant) et par la technique (grâce au procédé Xerox) Les 101 Dalmatiens ouvre, en effet, de nouvelles perspectives au cinéma d'animation 2D. Ken Anderson et Marc Davis souhaitent donc pour leur prochain film réaliser une œuvre encore plus ambitieuse : une sorte de long-métrage d'animation façon Broadway, une grande comédie musicale animée envoutant les spectateurs avec de belles chansons et des personnages haut en couleurs. (Sans le savoir, avec trente ans d'avance, ils rêvent, en fait, de La Petite Sirène !). Les deux artistes cherchent d'abord dans les histoires en développement pour trouver leur bonheur. En vain. Ils se rabattent alors dans les projets abandonnés et jettent leur dévolu sur Chantecler. Le coq est de retour...

Reste malgré tout à convaincre, avant de poursuivre quoi que ce soit, Walt Disney en personne. Très réticent, il ne voit pas, en effet, d'un bon œil la remise au goût du jour d'un projet mis en gestation pendant dix ans et, qui plus est, remisé la même durée. Marc Davis va pourtant trouver le bon argument pour emporter l'adhésion du Maitre. Il explique tout simplement à son patron qu'il n'entend pas partir de la pièce - qu'il ne lira même pas - mais compte juste broder autour de la trame principale et des personnages. Comme toujours, l'audace paye avec le papa de Mickey qui finit par valider l'approche. Il l'utilisera d'ailleurs à nouveau pour l'adaptation du (Le) Livre de la Jungle, quelques années plus tard. Feu vert obtenu, Ken Anderson et Marc Davis travaillent seuls durant des mois en repartant de zéro, abandonnant toutes les recherches des artistes précédents. Ils espèrent ainsi arriver à un résultat original et frais, à la fois drôle et intelligent, sous la forme d'une ambitieuse et innovante comédie musicale. Marc Davis dessine alors des centaines de "concept-art" avec des personnages de bassecour, en particulier de magnifiques coqs et poules français. Tout ce petit monde est habillé dans le style parisien de la fin du dix-neuvième avec chapeaux, cannes et manteaux. La musique est, quant à elle, appelée à jouer un rôle essentiel dans le film : dès l'introduction, le casting est ainsi déroulé en chanson, comme ce sera le cas, en 1991, pour La Belle et la Bête.

Si l'enthousiasme de Ken Anderson et Marc Davis dans l'élaboration d'un nouveau long-métrage d'animation n'est pas à stimuler, les financiers de la Walt Disney Company, Roy Disney en tête, ne sont pas dans les mêmes dispositions. Le bilan comptable de la société est clair pour eux. En 1961, les studios de Mickey ont déjà produit dix-sept long-métrages animés qui plombent, pour la plupart, à leur sortie, les comptes pour ensuite, et seulement, être rentables. Ils sont, en effet, longs et couteux à produire si bien que leurs recettes sont souvent moindres à leurs sorties qu'un film "live". Les simples cartoons ont d'ailleurs, pour les mêmes raisons, déjà été stoppés. La Walt Disney Company, d'après ses financiers, vivrait tout à fait correctement avec son catalogue actuel et l'organisation de ressorties régulières. Pourquoi, il est vrai, dépenser inutilement de l'argent dans une activité jugée désuète ? Walt Disney résiste farouchement à cette conception radicale. Il entend, néanmoins, à la marge, le discours de son frère qui n'hésite d'ailleurs pas à mettre dans la balance la faisabilité du projet d'un nouveau Disneyland, dix fois plus grand, cher au papa de Mickey. Il martèle ainsi que fermer le département "Animation" dégagera l'argent nécessaire aux ambitions de bâtisseur de Walt Disney. Le deal est d'autant plus séduisant que l'animation 2D lasse désormais le grand Walt, naturellement enclin à se passionner pour la nouveauté et, en l'espèce, le développement des audio-animatronics et parc à thèmes. Au final, fort heureusement, le Maître de l'animation résiste : il juge que la sécurité financière de ses studios passe par les long-métrages animés et que le public ne comprendrait pas l'arrêt de l'activité. En revanche, il accepte d'en ralentir le rythme de sortie pour passer d'un film tous les quatre ans contre deux auparavant. La nouvelle politique de production validée se heurte vite à la réalité du terrain : deux long-métrages sont, en effet, en préparation (Chantecler et Merlin l'Enchanteur), l'un d'eux va fatalement devoir être arrêté...

Marc Davis sait immédiatement son projet en danger à la seule vue de la place choisie par Walt Disney lors la présentation du pitch. Le Maitre de l'animation a, en effet, pour habitude de se mettre être au centre de la pièce lors des conférences afin d'être le mieux placé pour formuler ses commentaires. Pour Chantecler, il s'empare curieusement d'une chaise et file s'installer au fond de la salle alors que le devant est trusté par les collaborateurs de Roy Disney, tous issus du service financier. En trente secondes de présentation, le verdict tombe : un coq ne peut pas être sympathique ! Dès lors, le projet est retoqué sans autre forme de procès. La présentation se déroule, ensuite, dans l'indifférence courtoise : le magnifique travail de Davis est, pour ainsi dire, snobé. Walt Disney a, en fait, bien avant la réunion, déjà pris la décision de sacrifier Chantecler. Il a choisi la sécurité financière et artistique que portait en soi Merlin l'Enchanteur. Chantecler pouvait, sur le papier, faire un film magnifique mais rien n'était moins sûr. Sa production, à la mesure de son ambition, était, en outre, plus longue et plus couteuse que celle de Merlin l'Enchanteur. Mark Davis accuse le coup tant bien que mal. Il reproche notamment à son patron la façon cavalière choisie pour annoncer le rejet du projet. La décision d'arrêt avait été économique alors même que la présentation pouvait donner l'impression que le travail artistique était en cause. Pire, le jugement avait été formulé par des financiers alors même que Walt Disney, en repli tactique, désertait le débat. Mark Davis attend encore aujourd'hui une franche explication de son boss. Le seul coup de fil venu de Walt Disney après la présentation a, il est vrai, eu pour objet une proposition de nouvelles attributions. Mark Davis se voit invité à intégrer l'équipe des Imagineers de Disneyland. Ces artistes, qui réalisent les attractions du fameux parc, sont, en effet, très précieux aux yeux du papa de Mickey, d'autant que ses ambitions dans le domaine des loisirs est sans limite. Marc Davis accepte par fidélité au Maître la proposition et quitte, pour toujours, le département Animation. Il participera, dans ses nouvelles attributions, à la réalisation de quelques unes des plus belles attractions de Disneyland : The Jungle Cruise, The Enchanted Tiki Room, It's a Small World, The Carousel of Progress, Pirates of the Caribbean ou The Haunted Mansion.

Après ce deuxième revers de taille, Chantecler aurait du finir définitivement au placard. Mais, c'est oublier un peu vite la ténacité des coqs ! En 1981, un vétéran des artistes Disney, Mel Shaw, reprend, en effet, les dessins de Mark Davis et tente à son tour de convaincre du potentiel d'un long-métrage. L'essai essuie le même refus, des mêmes personnes, au moins, du point de vue de leurs fonctions, à savoir les financiers ! Ces soubresauts font courir dans tout le petit monde de l'animation la rumeur d'une sortie prochaine de Chantecler. Don Bluth, un ancien artiste de Disney, parti en fanfare quelques années plus tôt pour créer un autre studio et qui avait eu, en son temps, le privilège de consulter les dessins de Mark Davis, s'empare à son tour de l'idée. Pour échapper au procès en plagiat, il procède à des changements radicaux : exit le renard, bonjour New-York et bienvenue à un coq rocker. Rock-o-Rico sort en avril 1992. Conspué par la critique, il passe inaperçu auprès du public.

En novembre 1991, six mois avant la sortie de Rock-o-Rico, Disney édite une série de livres d'histoires puisées dans ses projets avortés, rehaussées des magnifiques illustrations réalisées par ses artistes maison. Parmi ceux-ci se trouve le livre Chantecler et le Renard. Pour la première fois, les superbes dessins de Marc Davis sont présentés au public. Cette collection semble malheureusement devoir signer à jamais la fin de tout espoir de voir, un jour, Chantecler au cinéma. Les fans se désoleront à coups sûrs de cet état de fait tant les croquis épatent par leur capacité à supporter l'animation. Quel dommage de voir Chantecler sacrifié sur l'autel de la recherche du profit facile ! Nul ne peut savoir aujourd'hui si le long-métrage voulu par Marc Davis aurait été un chef d'œuvre de l'animation. La seule certitude est que les bases du projet sont d'une très grande qualité...

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