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Le Câble Perd les Chaines Disney

L'article

Publié le 11 décembre 2015

A partir du 1er janvier 2016, les chaines Disney XD, Disney Junior et Disney CINEMA quittent le réseau câblé ex-Numericable (rebaptisé SFR) et ne seront désormais disponibles que chez Canalsat. Précision utile : Disney Channel n’est pas concernée par cette mesure, la chaine historique de Disney, qui est proposée en bouquet basique chez tous les opérateurs, reste en effet logiquement dans le plan de service de Numericable. Avant d’aborder les conséquences pratiques pour les téléspectateurs, il est utile de bien comprendre la situation à l’origine de cette hérésie éditoriale qui veut que, sous couvert de recherche de rentabilité financière, la branche Télévision de Disney France commette pas moins qu’une erreur stratégique majeure.

Le réseau câblé français est atypique à plus d’un titre. Déjà, il est le fruit d’une décision étatique prise au début des années 80. L’Etat Français ne s’est alors pas encore converti à l’économie de marché dans le secteur des télécoms. Il n’existe ainsi pas d’opérateur identifié et tout dépend directement de l’Administration via le Ministère de la Poste, du Téléphone et des Télécommunications (l’ex PTT). L’Etat qui a libéralisé les ondes radio (les premières radios privées débarquent en effet sur la bande FM en 1981) se refuse, en revanche, à ouvrir le marché de la télévision hertzienne au secteur privé de peur de perdre sa mainmise sur les programmes et notamment l’information. Seules trois chaines publiques autonomes existent (TF1, Antenne 2 et FR3) auxquelles vient se rajouter la chaine privée payante Canal + en 1984. Pour faire bonne figure et donner l’impression d’un vent de liberté et d’un dynamisme technologique, le Pouvoir en place décide néanmoins de développer la télévision par câble auprès des foyers français. Commence alors une succession d’erreurs stratégiques qui vont plomber littéralement le projet. En fait, à trop vouloir réguler, l’Etat renchérit le coût de déploiement du câble si bien que l’ambition de voir tous les foyers raccordés en dix ans ne sera jamais tenue. Pire, le réseau câblé français restera à jamais à l’échelle embryonnaire par rapport aux voisins européens. Mis à part Paris et quelques quartiers de grandes villes de Province, la France sera en effet très peu couverte. La faute à l’interdiction faite alors à un seul intervenant de prétendre gérer tous les réseaux : une ribambelle de petits opérateurs, souvent soutenus par des fonds publics locaux, se crée dans toutes les villes lançant un « plan Câble ». N’ayant pas la taille critique, ils n’atteindront jamais la rentabilité et baisseront finalement pavillon. Côté offre TV, les chaines peinent à voir le jour et quand elles naissent, proposent des programmes peu enthousiasmants. Le constat est implacable : le câble dessert peu de foyers qui, en plus, boudent son offre désespérément chiche. La ruée des téléspectateurs ne se produira jamais. Ils se contentent en fait des chaines gratuites dont l’offre est renforcée dès 1985 avec l’arrivée des chaines privées La 5 et TV6 ; TF1 étant, elle, privatisée en 1986, TV6 devenant alors M6. La télévision par satellite vient ensuite les capter et concurrencer frontalement le câble avec le lancement de deux bouquets adversaires Canal Satellite et TPS (Télévision Par Satellite) proposant des chaines richement dotées en programmes alléchants. Conscient de la débandade du câble et du fiasco financier qui s’annonce, l’Etat entend le protéger coûte que coûte. Il intervient même pour cela au niveau de l’urbanisme et va jusqu’à interdire à toutes les nouvelles constructions immobilières de s’équiper d’antennes hertziennes collectives en obligeant le recours au câble. Résultat, bon nombre d’immeubles en copropriété se voient contraints de souscrire au service Antenne de l’opérateur de leur ville avec, par exemple, Noos à Paris ou Plein Câble dans les Hauts-de-Seine. Ils ne peuvent plus s’en émanciper pour recevoir la télé ! En contrepartie de cette obligation, digne des régimes soviétiques, l’Etat fait tout de même sien la notion anglo-saxonne du « Must Carry ». Pour faire simple, toutes les chaines disponibles par ailleurs doivent être proposées directement sur le réseau câblé. Il n’est pas question d’opposer une quelconque exclusivité à la reprise sur le câble. C’est ainsi que les chaines de Canalsat (ex Canal Satellite qui a croqué entre temps son concurrent TPS) sont présentes sans exception sur le réseau de Numericable (qui a, entre-temps, absorbé peu ou prou tous les petits opérateurs de câble dispersés dans l'hexagone).

Mais voilà, la technologie va venir ébranler cet état d’exception. Le développement du numérique permet, en effet, à de nouveaux acteurs (les fameux FAI : les Fournisseurs d’Accès Internet) de s’inviter sur le marché de la télévision en plus de celui du téléphone (fixe et mobile) et du web. Orange, Free, Bouygues et SFR proposent ainsi tous des offres dites Triple puis Quadruple Play via des box qui comprennent des bouquets TV. Mais pas de « Must Carry » pour eux : Canalsat défend bec et ongle ses chaines exclusives et interdit leurs présences directes dans les bouquets des opérateurs ADSL. Il contraint ainsi la souscription d’un abonnement Canalsat ADSL via les quatre FAI. Par exemple, pour disposer de Disney CINEMA via la TV d’Orange, le téléspectateur doit souscrire, en plus, une offre Canalsat (Grand Panorama en l’occurrence) et verra donc concrètement deux prélèvements s’effectuer sur son compte : celui d’Orange et celui de Canalsat. Les dates d’engagement sont d’ailleurs souvent différentes si bien que le téléspectateur peut se trouver dans une situation ubuesque où, ayant résilié son abonnement auprès de son FAI (Orange dans l’exemple pris), il se voit contraint de payer celui de Canalsat (qu’il n’est pourtant plus en capacité de recevoir)...
Restait donc pour Canalsat, un caillou dans sa chaussure : le réseau câblé réunifié sous la bannière Numericable qui profitait à plein du « Must Carry ». Toujours dans le même exemple, pour recevoir Disney CINEMA via Numericable, il suffisait, en effet, de souscrire un bouquet précis et le tour était joué : une seule facture au bout du compte, celle de Numericable.

Un évènement majeur allait pourtant bien vite venir bouleverser la situation juridique du câble en France : le rachat par Numericable de SFR et, avant elle, surtout, une erreur grossière de la holding du nouvel ensemble, Altice. Dans sa volonté précipitée de fusionner ses réseaux, leur dimension juridique est totalement négligée. Cela se voit d’ailleurs jusque dans la facturation des clients Numericable qui reçoivent une seule facture pour tous leurs services (Télévision, internet et téléphonie). Or, la notion de « Must Carry » ne s’applique qu’au service Télévision par Câble. Canalsat a beau jeu alors d’attaquer devant le Conseil d’Etat pour acter la perte du particularisme du réseau câblé. Numericable sentant le boulet de canon venir, rétropédale à tout va et informe brusquement ses clients qu’ils recevront désormais deux factures : l’une pour le service Télévision et l’autre pour les services annexes (web et téléphonie). La rapidité d’entrée en vigueur de la mesure témoigne de la panique chez l’opérateur. Peine perdue. Le Conseil d’Etat est sensible aux arguments de Canalsat et ôte toute notion d’exception au réseau câblé. C’est la fin du « Must Carry ». Canalsat entend alors se reconstituer un portefeuille de chaines exclusives et entame des négociations avec les éditeurs, à grands coups d’augmentation massive des redevances qu’il leur verse. Eurosport est la première à profiter de la fin de l’obligation de reprise. Son contrat de diffusion arrivant à échéance, elle coupe purement et simplement le signal à Numericable qui, du jour au lendemain, se voit contraint d’afficher un panonceau sur les canaux respectifs indiquant qu’ « Eurosport 1 et 2 ont choisi de quitter Numericable ». Le standard de Numericable croule sous les appels des abonnés fans de sport qui subissent et découvrent forts mécontents la situation. L’opérateur ne peut alors que répondre qu’il « travaille à une nouvelle offre sport ». Elle se concrétise quelques mois plus tard quand sa maison-mère chipe à Canal +, propriétaire de Canalsat, les droits de diffusion du foot anglais et annonce la Premier League sur ses chaines MCS. L’affrontement Altice / Groupe Canal monte une fois de plus d’un cran, chacun étant bien décidé à rendre coup pour coup. La bagarre se joue d'ailleurs déjà en coulisses : Numericable (SFR) sait que les contrats qui le lient à d’autres chaines premium de Canalsat arrivent eux-aussi à terme. C’est le cas de Disney XD, Disney Junior et Disney CINEMA...

Disney France a, en effet, choisi d’être sensible aux sirènes financières de Canalsat et retire donc trois de ses chaines du câble : Disney XD, Disney Junior et Disney CINEMA. Elle les réserve désormais à Canalsat qui entend avec elle différencier son offre et redonner sens à son slogan « Les meilleures chaines sont sur Canalsat ». Il faut dire que la situation de l’opérateur n’est pas glorieuse. Il ne cesse de perdre des abonnés et son solde Résiliation / Recrutement est négatif depuis déjà deux exercices. Même les efforts commerciaux et rabais à tout va ne suffisent plus à contenir l’érosion de la base d’abonnés. L’effet de la TNT et de ses 30 chaines est passé par là : beaucoup de Français s’estiment, il est vrai, comblé en offre de programmes. Il est par exemple fini le temps où les chaines Infos n'étaient disponibles qu'en payant. Gulli et France 4 viennent en outre occuper le terrain des chaines Jeunesse quand RMC Découvertes truste elle celui des chaines documentaires. La TNT est, aux yeux des Français, ni plus, ni moins qu’un bouquet complet et gratuit ! Mais les chaines gratuites ne sont pas les seules concurrentes de Canalsat. Les bouquets TV des FAI sont eux-aussi de vrais adversaires, amplifiant le sentiment de satiété des téléspectateurs. Disney Channel, qui est désormais disponible partout en offre basique, répond, par exemple, à l’envie de Disney du public qui, pour la plupart, se contente aisément de son offre. Ultime concurrent de taille, les Services de Vidéo à la Demande dont les derniers entrants, Netflix en particulier, sont tout bonnement redoutables en offre de programme et tarifs. La pérénité même du modèle de Canalsat est remise en cause. L’opérateur est pris dans un étau concurrentiel qui exige qu’il réagisse : se constituer un portefeuille de chaines prémium vraiment exclusives est une première réponse. Le prix de l’abonnement en est une autre. Les avancées technologiques (Multi-écran, Cube…) en sont autant d’autres. Mais l’intérêt de Canalsat est-il le même que celui de Disney Television ? Assurément non.

Certes, en acceptant la proposition financière de Canalsat de se payer l’exclusivité absolue de ses chaines Disney Junior, Disney XD et Disney CINEMA, Disney France réalise un joli coup financier. Elle permet tout bonnement à ses canaux d’être durablement profitables, là où leurs comptes d’exploitation étaient à la peine. Le marché publicitaire et le faible taux de redevance versée par les FAI permettent, il est vrai, tout juste à Disney Channel d’être rentable et encore sa situation financière reste tendue. Elle se rattrape en revanche par son statut de première chaine en audience dans l’univers payant. Elle constitue dès lors une véritable machine de guerre marketing, le plus bel exemple étant le cas de Violetta dont les recettes en produits dérivés sont justes incroyables. Disney XD devrait d’ailleurs logiquement être elle-aussi exploitée en offre basique. C’était notamment le cas à l’époque de Fox Kids puis de Jetix et la chaine performait réellement. Sous bannière Disney, elle ne parvient curieusement plus à tenir son rang alors même que son catalogue de programmes est très porteur avec notamment ses productions Marvel et Lucasfilm… Au contraire, Disney Junior ne peut pas, elle, se caler sur le même modèle tant sa cible est mince : le passage en offre basique serait ainsi un suicide économique ! Disney CINEMA est, pour sa part, un autre cas totalement différent : relevant de la catégorie des chaines de l’univers « Cinéma », son modèle payant prémium n’a, lui, pas vocation à être remis en cause puisque c’est la base même de son existence… 
S’offrir au seul Canalsat, qui accepte de payer chèrement son exclusivité constitue donc un bonus financier notable pour les trois chaines sœurs de Disney Channel. Mais il ne l’est plus dès lors que l’analyse prend de la hauteur. Quid de la force de frappe marketing de ses chaines et de leurs retombées en vente de produits dérivés ? En sacrifiant la dimension de l’assiette de téléspectateurs sur l’autel des redevances en les réservant aux seuls abonnés de Canalsat, Disney France ne se tire-t-elle pas une balle dans le pied ? En se retirant du réseau câblé (qui, il est utile de le rappeler, n’offre pas la possibilité de souscrire un abonnement complémentaire à Canalsat !) la filiale française de Disney prive ses chaines d’une base de clients majoritairement urbains et essentiellement parisiens. Les marques Disney Junior et Disney XD vont énormément souffrir de la perte de leur audience et de leur exposition. Inutile désormais d’espérer dans ses conditions voir populariser en France des séries comme Star Wars : Rebels via Disney XD ; seule leur revente auprès des chaines gratuites (France 4 en l’occurrence) le permettra avec un décalage inexorable dans le temps qui va plomber les expositions marketings des produits dérivés avec les USA. Or, dans le domaine des productions pour enfant et ados, la durée de vie et de succès est extrêmement courte : le public ado est, en effet, réputé pour détester le lendemain ce qu‘il adoré la veille ! Et que dire des effets désastreux du piratage qui saura prendre le relai des téléspectateurs privés d’accès aux chaines ?

Disney France a d’ailleurs conscience de ce risque d’évasion commerciale. Imaginant satisfaire les abonnés au câble, elle s’apprête ainsi à annoncer l’arrivée sur son réseau du service VOD Disney Channel Pop Pick Play qui, jusque-là, n’était disponible que sur la TV d’Orange. Selon le communiqué de presse, il se décompose en trois services plutôt alléchants :

  • Pop, qui propose le top Disney Channel du moment en avant-première et des contenus inédits,
  • Pick, qui permet de (re)découvrir à son rythme des séries en intégralité et des Disney Channel Original Movies,
  • Play, qui donne accès sans limite pendant trois mois à un jeu Disney.

Mais voilà, comme souvent chez Disney France en matière de télévision, la réalité est bien moins brillante que les annonces. Au dernier pointage effectué au moment de la rédaction de cette article, Pop proposait uniquement des bonus vidéo autour de Descendants (tous datés et disponibles sur Youtube) ; Pick, trois épisodes de la série animée Aladdin, trois de la sitcom Les Sorciers de Waverly Place (choisis sans souci de cohérence aucun) et le Disney Channel Original Movie, Les Sorciers de Waverly Place - Le Film et enfin Play, un accès-test à Epic Mickey : Le Retour des Heros.

En se coupant des abonnés aux câbles, majoritairement parisiens, Disney France commet une erreur stratégique majeure. Il ne s’agit pas de dire ici qu’il ne fallait pas « se vendre » au seul Canalsat en se retirant du câble. La volonté de rentabiliser ses chaines est compréhensible. Non, il s’agit de dire, qu’avant de le faire, elle aurait dû s’assurer que Canalsat allait être présent sur le câble, permettant ainsi aux téléspectateurs qui le souhaitent de continuer à recevoir ses chaines. Car outre le mépris du public dont elle fait preuve et qui n’est franchement pas une démarche honorable, elle entrave une source de chiffre d’affaires non négligeable venue de l’exposition de ses produits sur ses chaines. Attention, l’effet papillon sait faire aussi des ravages en économie…

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