Souvenirs Goutte à Goutte

Titre original :
Omohide Poroporo
Production :
Studio Ghibli
Date de sortie Japon :
Le 20 juillet 1991
Genre :
Animation 2D
Réalisation :
Isao Takahata
Musique :
Katsu Hoshi
Durée :
118 minutes
Disponibilité(s) en France :

Le synopsis

Taeko, une jeune citadine de 27 ans, part en vacances à la campagne : changeant son rythme de vie, elle se laisse bien vite submergée par ses souvenirs d’enfance, des anecdotes survenues en 1966 alors qu’elle n’avait que 11 ans...

La critique

rédigée par
Publiée le 22 janvier 2014

Souvenirs Goutte à Goutte est le sixième film du studio Ghibli, le deuxième réalisé par son cofondateur, Isao Takahata mais aussi le tout premier du réalisateur à tomber dans l'escarcelle de Disney pour ce qui concerne sa distribution à l'international ; Le Tombeau des Lucioles étant le seul long-métrage du studio dont Disney n'a jamais su obtenir les droits en dehors du Japon. Souvenirs Goutte à Goutte est assurément l'œuvre Ghibli la moins connue d'Isao Takahata. Ce constat est ainsi et peut-être la raison pour laquelle Disney France n'a non seulement pas sorti le film au cinéma, à la différence de Pompoko par exemple, mais en plus, n'a jamais commandé un doublage français, ne le sortant qu'en vidéo en version originale sous-titrée. Cette situation est à l'évidence dommageable dans la mesure où elle donne à Souvenirs Goutte à Goutte un côté inaccessible et élitiste alors que qu'il est à la base touchant et aisé d'accès.

Né en 1935, dernier d'une famille de sept enfants, Isao Takahata étudie à l'Université de Tokyo où il obtient un diplôme en littérature française. Il se rend compte bien vite des possibilités artistiques des films d'animation quand il découvre la première version du chef d'œuvre de Paul Grimault, Le Roi et l'Oiseau. Il entre alors directement dans la société Tôei où il apprend la mise en scène avec des séries télévisées notamment sur un épisode de Ken, l'Enfant Loup en 1964. Il a ainsi la chance d'intégrer cette maison de production au moment même où l'industrie commence à créer les premiers longs-métrages d'animation. Au sein du studio, il devient ainsi ami avec Hayao Miyazaki. Il réalise son premier film pour le cinéma en 1968 avec Horus, Prince du Soleil qui ne devient pas moins que la pierre angulaire de l'animation japonaise au cinéma prouvant qu'il est possible de faire des films à la fois pour enfants et pour adultes. Si Isao Takahata se concentre sur la réalisation et la mise en scène, c'est qu'au contraire d'Hayao Miyazaki, il ne dessine pas lui-même. Il se contente en effet d'esquisser le story-board. À partir de ce projet, les deux Maîtres japonais travaillent ensemble, sur des films comme sur des séries télévisées. En 1971, ils quittent, tous deux, la Tôei et partent sur d'autres projets. Le tandem semble avoir trouver son rythme de croisière : Isao Takahata réalise et Hayao Miyazaki dirige l'animation. Ils collaboreront ainsi entre autre sur la première série d'Edgar de la Cambriole (1972), les deux courts-métrages Panda Petit Panda (1972 / 1973), les séries Heidi (1974) et Anne, la Maison aux Pignons Verts (1979). Lors de la production de cette dernière, Hayao Miyazaki décide de partir pour réaliser sa propre série, Conan, Fils du Futur (1978) sur laquelle Isao Takahata vient lui prêter main forte sur certains épisodes. Il va ensuite travailler sur deux longs-métrages d'animation : Kié, la Petite Peste (1981) et Goshu, le Violoncelliste (1982). Hayao Miyazaki lui propose alors de devenir producteur de son prochain long-métrage, Nausicaä de la Vallée du Vent. Le succès du film sera ainsi à l'origine de la création du studio Ghibli. Isao Takahata revient ensuite à la production pour le premier "vrai" long-métrage du label naissant, Le Château dans le Ciel. Il fait une escapade hors du studio pour réaliser son premier (et seul) film en prises de vues réelles, le documentaire L'Histoire du Canal de Yanagawa (1987) ; Hayao Miyazaki en étant d'ailleurs le producteur. Isao Takahata revient alors chez Ghibli pour réaliser son premier film d'animation pour le studio. Le Tombeau des Lucioles, en 1988, lui apporte ainsi la reconnaissance internationale, et marque une véritable avancée dans la qualité des longs-métrages d'animation. En 1991, il réalise un long-métrage intimiste et naturaliste Souvenirs Goutte à Goutte, puis signe le film écologiste Pompoko en 1994 et le film expérimental Mes Voisins les Yamada en 1999.

Souvenirs Goutte à Goutte est donc une adaptation du manga Omoide Poro Poro dessiné par Yūko Tone, scénarisé par Hotaru Okamoto et publié en 1988 chez l'éditeur Seirindou. Le style est très proche des mangas aux dessins minimalistes narrant le quotidien des japonais de façon certes caricaturale dans le dessin mais regorgeant de réalisme et de recul dans les histoires. Ce genre est, en réalité, très prisé au Pays du Soleil Levant. Le manga Omoide Poro Poro se concentre ainsi sur la vie d'une jeune fille de dix ans, Taeko, en 1966. Il s'agit, en fait, de l'enfance même de la scénariste qui retrace à sa façon son propre vécu des années 60 dans un Japon écartelé entre la défense de ses traditions et l'explosion de la technologie et du progrès qu'il connait.

Si Isao Takahata s'intéresse au manga et souhaite l'adapter en film d'animation, il le trouve néanmoins non exploitable à l'état brut. Il décide par conséquent de mêler les éléments de 1966 avec ceux de 1982. En mélangeant les deux époques, le réalisateur amène ainsi une portée et une profondeur exponentielles. Taeko se remémore donc petit à petit des épisodes de son passé, en particulier cette fameuse année 1966. Et au fur et à mesure que les souvenirs lui reviennent, ils l'aident à faire le point sur son présent allant même jusqu'à infléchir son avenir. Les scènes de l'enfance sont touchantes à souhait et constituent des adaptations presque littérales du manga d'origine. En plus de la vie quotidienne, c'est donc une certaine vision du Japon qui est ici montrée : le Pays de 1966 encore très paternaliste où la place de la femme reste secondaire dans les décisions de la maison. La famille de Taeko est d'ailleurs quasiment entièrement féminine. Elle est, en effet, entourée de ses deux grandes sœurs, de sa mère et de son père. Ce dernier parle peu mais ses quelques décisions priment toujours. De nombreuses scènes sont alors terriblement émouvantes à l'image de celle où le père refuse à sa fille de s'investir dans le théâtre ou encore celle de sa mère qui juge Taeko bizarre car nulle en math. Tous les moments de vie de 1966 sonnent toujours justes et décrivent à merveille le ressenti et mal-être de la petite fille.
La Taeko de 1982, alors âgée de 27 ans, n'est à ce titre pas forcément plus sereine. Ce retour dans ses souvenirs, précisément à la période qui est maintenant la sienne (la petite trentaine), lui met le doigt sur son existence de citadine réglée comme du papier à musique. Ce sont donc des vacances à la campagne, alliées à ses souvenirs, qui l'amènent à comprendre qu'elle a besoin de changer de vie. Le film va ainsi d'abord privilégier les souvenirs pour se rattacher petit à petit à la réalité. Dans les deux cas, Taeko reste tourmentée et se pose énormément de questions sur elle-même. C'est ainsi un voyage initiatique au sein des pensées et des sentiments les plus profonds du personnage principal que propose Isao Takahata. Le réalisateur aime à l'évidence les films de questionnement et de remise en cause. Ici, à travers Taeko, il pose les questions sur les aspirations de chacun mais aussi sur l'écologie et le choix de vivre à la campagne. Le réalisateur effleure également le poids de la société car s'il démontre que les mentalités ont évolué au début des années 80, sa famille et son entourage s'étonne encore (pour ne pas dire s'offusque) que la jeune fille ne soit toujours pas mariée.
En entremêlant deux époques, Isao Takahata construit un film d'une extrême richesse avec d'innombrables thèmes, dont certains universels, mais tous racontés avec la pudeur japonaise. Le rythme du film doit, dès lors, être perçu bien lent pour un occidental. L'effort de concentration est donc nécessaire pour ce voyage qui en vaut la peine.

L'univers de Souvenirs Goutte à Goutte est d'ailleurs d'une incroyable richesse. Il y a en effet de nombreux personnages qu'il est bien difficile de tous lister.
Taeko, la petite fille de 1966, est la première d'entre eux. Pleine de vie, elle n'est pas très douée pour l'école et ressent les choses de façon différente des autres, disposant d'un sens plus aigu pour l'artistique. Petite dernière sa fratrie, elle est ainsi tyrannisée par sa cadette ,Yaeko, bonne en math, et qui ne rate jamais une occasion de la rabaisser ou de se chamailler avec elle. Sa grande sœur, Nanako, est, elle, bien plus posée mais aussi plus distante. Sa mère essaye pour sa part de l'aider comme elle peut mais sans jamais savoir comment s'y prendre pour que sa fille rentre dans le moule et réussisse à l'école. Douce, elle est aussi soumise à son mari et tout autant maladroite vis à vis des sentiments des enfants, en particulier de Taeko. Son père, lui, est complément effacé tout en jouissant d'une autorité aussi absolue que réactionnaire : pour lui, chaque chose, en particulier ses filles, doivent rester à la place qui leur a été allouée et rien ne doit déborder du cadre sociétal ancestral.
Si de nombreux élèves côtoient également la petite Taeko à l'école, deux retiennent l'attention.
Hiro est le champion de base-ball de l'école. Amoureux secrètement de la jeune Taeko, il constate que cette dernière en pince également pour lui lors d'une scène touchante, terriblement japonaise dans sa pudeur, où juste par un regard les deux jeunes enfants savent ce qu'il en est, sans se dire un seul mot.
Un autre garçon a encore plus d'impact sur la petite fille. Abe est, en effet, un garçon qui ne fait que passer dans l'histoire. Rejeté car il est pauvre et sale ; personne ne veut lui serrer la main à cause de sa crasse, pas même la jeune Taeko qui est pourtant assise à côté de lui en classe durant toute une partie de l'année. Contraint de suivre son père et de quitter l'établissement, Abe met alors un point d'honneur à serrer la main de tous ses camarades... Sauf celle de Taeko. Depuis, elle reste persuadée que le jeune garçon, par ce geste fort, a simplement acté qu'il avait compris que, malgré sa gentillesse, elle était celle qu'il dégoutait le plus...
Taeko, la jeune adulte de 1982 cette fois-ci (sorte de deuxième personnage), décide de partir à la campagne chez de la famille de son beau-frère pour y travailler aux champs. Elle pense en effet que s'éloigner un petit moment de la ville et de sa pollution lui fera le plus grand bien. Elle se rendra néanmoins bien vite compte que son mal est plus profond et que la clé reste un changement radical de vie. Mais aura-t-elle le courage de franchir le pas ?
Enfin, au sein de la riche galerie de personnages, se trouve Toshio un cousin éloigné de la famille qui accueille Taeko. A peu près du même âge, il est lui aussi un ancien citadin qui a franchi le pas pour venir s'installer à la campagne afin de se consacrer à l'agriculture biologique. Déterminé, il sait où il va et a déjà pris la décision que Taeko hésite à prendre. Sans s'en rendre compte, Taeko va alors beaucoup se confier au jeune homme à qui elle fait confiance tout de go.

Coté réalisation, et pour bien montrer la différence entre le passé et le présent, Isao Takahata choisit de proposer des décors d'un réalisme et d'une beauté saisissante pour ce qui concerne le temps présent. Le spectateur est ainsi ébahi devant tant de précisions et de finesses. A l'inverse, le temps passé reste lui plus flou, tout en pastelles, avec des décors effacés, presque suggérés. Les tons des couleurs sont également différents. Dans le passé, le marron et le beige sont privilégiés alors que le présent exhibe du bleu et du vert. L'animation, quant à elle, est belle à la souhait même si elle n'a pas la fluidité des meilleurs films de Walt Disney. Le creusement des joues de Taeko adulte est ainsi étrange donnant parfois l'impression de ne pas voir le même personnage d'un plan à l'autre.

Souvenirs Goutte à Goutte doit beaucoup à Kiki, La Petite Sorcière. Sorti deux ans plus tôt, ce dernier avait, en effet, été le premier film du studio Ghibli à rencontrer un vaste succès commercial avec 2.6 millions d'entrées au Japon. Sa rentabilité offre ainsi une production plus sereine pour Souvenirs Goutte à Goutte dont le sujet est, il est vrai, plus difficile à vendre car le public visé reste flou. Pour la première fois de son histoire, Ghibli va donc développer une grosse campagne de marketing pour le faire connaitre : la recette paye puisque 2.2 millions de spectateurs viennent le voir au cinéma, le sacrant plus gros succès de 1991 au Japon.

Souvenirs Goutte à Goutte est le film d'Isao Takahata au sein du studio Ghibli le moins connu. Pourtant, il est le plus abordable. Il n'a pas la violence du (Le) Tombeau des Lucioles, le folklore de Pompoko ni le côté abstrait du dessin de Mes Voisins les Yamada. Il propose ainsi un fabuleux voyage dans les souvenirs et le questionnement d'une jeune fille. Certes lent et demandant de l'attention, il reste néanmoins plein de cette nostalgie bienveillante qui questionne le spectateur sur sa propre destinée.

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