Frankenweenie
Le synopsis
Le jeune Victor n’arrive pas à se résoudre à la mort soudaine de Sparky, son chien adoré. Il décide donc d’utiliser son savoir en science pour le ramener à la vie. Mais quand sa « création » lui échappe, il découvre vite que jouer à Dieu n’est pas sans conséquence... |
La critique
Dans un infernal paradoxe, Frankenweenie possède sa force et sa faiblesse dans son postulat de départ. Il s'agit, en effet, d'un remake du court-métrage Frankenweenie, œuvre de jeunesse datant de 1984 où Tim Burton faisait avec bonheur ses premiers pas de réalisateur. Ainsi, et selon le point de vue, d'un côté, le long-métrage qui en est tiré manque forcément du zeste d'originalité ayant fait la réputation de son auteur (au risque même de laisser penser qu'il tourne tranquillement en rond dans son propre univers) ; et de l'autre, en revenant à ses premiers amours (c'est-à-dire au film d'horreur, à l'animation image par image, et à l'introspection de son enfance avec une dénonciation cynique du conformisme des banlieues américaines), Tim Burton laisse éclater l'étendue si grande de son talent. C'est d'autant plus vrai qu'il se détache allègrement du court-métrage d'origine pour livrer, à la fois, un film à l'humour grinçant, aux références nombreuses et à la beauté visuelle sublimée.
Après des études à la California Institute of the Arts, Tim Burton intègre les Studios Disney en 1976, pour collaborer notamment à l'animation de plusieurs productions, dont Rox et Rouky. Très rapidement, il s'y sent peu à son aise. Faire des animaux gentils tout plein avec des lignes simples n'est, en effet, pas vraiment sa tasse de thé. Son passage en qualité d'artiste concepteur sur Taram et le Chaudron Magique confirme d'ailleurs le malaise : ses idées sont jugées tellement bizarres qu'aucune n'est retenue dans la version finale du film. Après cette expérience, il se lance toutefois dans la réalisation de deux courts-métrages, l'un d'animation, Vincent (1982) et l'autre de facture classique, Frankenweenie (1984), une parodie assumée de Frankenstein et des films de la firme Universal. Entre les deux, il va réaliser un moyen-métrage pour Disney Channel, Hansel et Gretel (1984), tellement mauvais que l'œuvre restera cachée durant prêt de 20 ans. En 1985, il quitte la compagnie de Mickey pour réaliser son tout premier long-métrage, Pee Wee's Big Adventure, qui pose déjà les bases de son univers très personnel où le fantastique se dispute à l'onirisme. Mais c'est véritablement trois ans plus tard que Tim Burton se révèle au grand public avec Beetlejuice, une comédie, fable fantastico-macabre, dans laquelle il fait incarner à Michael Keaton un "bio-exorciste" totalement déjanté. Il retrouvera d'ailleurs le comédien pour deux autres films - de commande cette fois-ci - Batman (1989) et Batman, le Défi (1991), démontrant par la même, sa capacité à travailler dans le cadre traditionnel d'Hollywood. Entre ces deux derniers, en 1990, il imagine et réalise le magnifique Edward aux Mains d'Argent qui lance, au cinéma, la carrière de Johnny Depp scellant au passage une belle amitié. En 1993, il retrouve ses premières amours et revient chez l'Oncle Picsou pour produire un film d'animation image par image, le poétique L'Étrange Noël de Monsieur Jack. L'année suivante, toujours pour Disney, (le seul studio à lui faire alors confiance !) il réalise la biographie de l'acteur le plus mauvais d'Hollywood, Ed Wood. Le film sort chez Touchstone et devient sa première déception au box-office malgré des qualités indéniables ! Elle ne l'empêche pas de produire parallèlement le film d'animation, James et la Pêche Géante (1996). Interrompant sa collaboration pour Mickey, il réalise, pour d'autres studios, une flopée de longs-métrages, avec le souci constant de surprendre : le moqueur Mars Attacks ! (1996), le gothique Sleepy Hollow, la Légende du Cavalier Sans Tête (1999), l'hollywoodien La Planète des Singes (2001), le poétique Big Fish (2004), l'imaginatif Charlie et la Chocolaterie (2005), le film d'animation image par image Les Noces Funèbres (2005) et la comédie musicale macabre Sweeney Todd, le Diabolique Barbier de Fleet Street (2007). Il revient chez Disney en 2010 pour réaliser Alice au Pays des Merveilles qui devient son plus gros succès au box-office, et ce malgré des critiques plutôt dubitatives. En 2012, Dark Shadows, une comédie vampirique sortie chez Warner ne reproduit pas l'exploit : s'il ne fait pas non plus l'unanimité critique, il signe en plus des résultats commerciaux décevants.
L'origine du court-métrage Frankenweenie vient de quelques dessins d'émotion de Tim Burton, fruits d'une relecture de deux classiques des Universal Monsters, Frankenstein (1931) et La Fiancée de Frankenstein (1935), signés tous deux de James Whale. A l'époque, en 1984, le jeune réalisateur a peine à croire que Disney lui accorde pour son projet un budget d'un million de dollars. Il se résigne en revanche à abandonner l'idée d'en faire un long-métrage ou d'utiliser la technique d'animation image par image déjà employée sur Vincent. Il met ainsi en chantier un court-métrage "Live" de 30 minutes. L'expérience lui est grandement profitable puisqu'elle lui permet de se confronter au "métier" de réalisateur de films en prises de vues réelles. A l'origine prévu en premier partie d'une ressortie de Pinocchio, Frankenweenie est finalement diffusé dans des circuits restreints. C'est, en fait, la popularité à venir de Tim Burton qui le remettra sous les feux des projecteurs. Il n'est de la sorte pas vraiment étonnant que Disney en ait accepté - certes quelques 18 ans plus tard - un remake. Entre temps le film d'animation, L'Étrange Noël de Monsieur Jack, est devenu un classique du cinéma et une franchise lucrative. Disposer dans son catalogue d'un nouveau film d'animation image par image signé de Tim Burton ne se refuse donc pas. Il se murmure également que l'artiste a lié la réalisation du lucratif Alice au Pays des Merveilles (le film a rapporté un milliard de dollars dans le monde !) à la possibilité de signer un retour au source de son imaginaire emblématique, avec un remake de Frankenweenie et une nouvelle vision de son enfance, maturité aidante.
La comparaison de Frankenweenie (le film d'animation) avec Frankenweenie (le court-métrage "Live") révèle une ligne fondatrice : tous les éléments de 1984 (la scène de début, la résurrection, le moulin... ) sont dans la version de 2012. Mais, à chaque fois, ces scènes sont transcendées, d'une part par la magie de l'animation mais également par un sens du rythme mieux maitrisé. La séquence du moulin est un exemple du genre avec une tension bien plus palpable que dans l'original. Seul inconvénient au processus : la sensation de redites qui, si elle est normale pour un remake, ôte une certaine spontanéité. Le spectateur est, ainsi, en terrain connu et perd le plaisir de la découverte d'une histoire inédite. De même, la naïveté de l'opus de référence a disparu. Oubliée l'œuvre de jeunesse, place à l'efficacité professionnelle ! D'autres thèmes récurents chez l'artiste reviennent également dans Frankenweenie (2012) : Frankenweenie (1984) ayant servi d'inspiration au chef d'œuvre "Live", Edward aux Mains d'Argent, il est ainsi logique de retrouver certains de ses éléments dans le remake. L'un des plus truculents est la gentille moquerie de la banlieue américaine et de son conformisme ambiant. Bien plus poussée dans le film d'animation que dans le court-métrage, l'exploration de ces travers vaut, en effet, son pesant d'or à l'image de la réunion des parents d'élèves simplement jouissive de finesse. La relation de Victor avec sa mère, Mme Frankenstein, est en outre bien plus touchante que dans le court-métrage : elle semble plus compréhensive envers son fils et n'apparait pas démuni face à lui...
Frankenweenie (2012) ayant le temps pour développer son propos, de nombreux éléments absents ou effleurés dans le court-métrage y sont enrichis. Et, c'est précisément dans ces moments-là que le film étonne le plus et enchante les spectateurs. Déjà, il s'attache à installer la relation de Sparky avec Victor, offrant de la sorte les clés pour bien comprendre les motivations du garçon pour le ressusciter. Ensuite, il procède de même pour celle du père avec le fils, révélant la volonté du premier de construire un avenir plus radieux au second sans se jamais poser la question de ses propres aspirations. Enfin, le plus bel atout du film est assurément l'ajout de personnages secondaires parmi les camarades de classes de Victor : tous plus savoureux les uns que les autres. Clairement sortis de l'imagination de Tim Burton, il sont à la fois drôles, grinçants et vraiment étranges. Ils portent sur leurs épaules le climat du film avec, en apogée, une scène vraiment anthologique, vibrant hommage aux films d'horreur des années 30 / 50 comme Dracula, Frankenstein, The Mummy ou Creature from the Black Lagoon. Et que dire des allusions plus modernes comme Godzilla, le monstre japonais, ou Les Gremlins, le film de Joe Dante de 1984, si ce n'est qu'elles sont évidemment les bienvenues. Le film prend dans ces moments-là et tout à la fois une dimension grandiose, drôle, grinçante et effrayante.
Frankenweenie (2012) est le troisième long-métrage d'animation image
par image sur lequel travaille activement Tim Burton après L'Étrange Noël de
Monsieur Jack et Les Noces Funèbres. C'est, plus précisément encore,
le second qu'il réalise lui-même et le premier qu'il signe chez Disney. Malgré
ce statut - et étrangement -, Frankenweenie est le moins enfantin des
trois alors qu'il a, justement, un garçon en héros. Il est, en effet, plus
effrayant (plus que le court-métrage "Live" tout du moins) ; n'est pas une
comédie musicale (contrairement aux deux autres) ; est le moins poétique de
tous (il n'a pas l'émotion de L'Étrange Noël de
Monsieur Jack ou la mélancolie des (Les) Noce Funèbres) et reste,
enfin, le moins coloré en sa qualité de premier film d'animation à être
ENTIEREMENT en noir-et-blanc, restituant de la sorte une ambiance si
particulière (dans une approche d'ailleurs identique à celle de son
court-métrage de référence).
Dans ce contexte, l'utilisation de la technique de l'animation image par image
apporte beaucoup au film. Les décors sont de toute beauté et l'utilisation des
ombres et de la lumière y est terriblement efficace et judicieuse. Si son propos
n'est certes pas novateur, Tim Burton se permet ainsi d'être original dans son
traitement. C'est là tout le paradoxe du film ! Ses forces sont ses faiblesses
et ses faiblesses sont ses forces. En allant dans le film de monstres assumé
mais avec la magie de l'animation image par image, l'artiste signe du « grand
Tim Burton », avec son ton et ses thèmes si particuliers. Mais voilà, certains
trouveront dans Frankenweenie la nouvelle pépite de l'auteur tandis que
d'autres y verront le dernier râle d'un génie ronronnant. Une chose reste sure :
Frankenweenie comme L'Étrange Noël de
Monsieur Jack nécessite de l'apprivoiser et demande plusieurs visions avec
un effort d'attention pour l'apprécier à sa juste valeur. Qui osera dire
franchement qu'il est tombé sous le charme de Jack Skellington à la toute
première séance, sans réserve aucune ? Le processus d'adhésion progressive se
reproduira assurément pour les aventures de Sparky et Victor !
Cela dit, la galerie de personnages de Frankenweenie ne fait pas
mentir la réputation de Tim Burton : sa qualité offre sans nul doute permis le
plus bel atout du film !
Victor Frankenstein est, au sein d'elle, un jeune garçon totalement passionné de
science qui n'a, pour seul vrai ami, que son chien Sparky. La mort accidentelle
de ce dernier le rend inconsolable, au point de le pousser à imaginer pouvoir le
ressusciter. Il met ainsi ses connaissances scientifiques au service de son
projet et parvient au résultat souhaité. Victor est le fils unique d'une
famille, formée avec ses parents, un couple heureux et aimant. Si sa mère est
très attentive et compréhensive, son père pêche par maladresse, imposant
maladroitement ses propres envies notamment sportives à son rejeton.
Sparky est le chien de Victor. Ami sans réserve du jeune garçon, il lui apporte
une compagnie emplie d'humanité et constitue pour lui un camarade de jeu fidèle.
Même au delà de la mort, il conserve d'ailleurs à son égard son incroyable
amitié et sa fidélité à tout épreuve. Personnage non doué de la parole, il est
paradoxalement le plus "normal" et le plus "sein" du casting. Fil rouge de
l'histoire, il est, en effet, le prisme de tous les travers des personnages
humains ; sa simple gentillesse faisant ressurgir la bizarrerie, la méchanceté
ou l'excentricité des gens qu'ils côtoient.
A coté du duo principal, une ribambelle de personnages secondaires fait aussi le
bonheur de l'opus. Nombre de clins d'œil proviennent, d'ailleurs, de leurs noms,
véritables échos aux films d'horreur classiques. Parmi eux, le seul personnage
qui semble accorder de l'attention et de l'affection à Victor est sa jeune
voisine Elsa Van Helsing. Les deux jeunes gens vivent en réalité les mêmes
affres de la vie d'ado puisqu'elle se voit, elle, contrainte par son oncle, le
maire Burgemeister, de chanter à la fête de la Hollande et trouve du réconfort
auprès de sa chienne Perséphone...
Les autres camarades sont, en revanche, bien moins sympathiques envers Victor !
Toshiaki, l'autre génie de la classe (dont le personnage est un hommage au
Japon, pays que Tim Burton affectionne particulièrement et qu'il célèbre
maladroitement dans
Hansel et Gretel) ; son acolyte le
lourdaud Bob ; Edgar "E" Gore le bossu un peu fêlé ; Nassor le caïd de service
ou encore la Fillette Étrange avec son chat (venue à priori de l'illustration du
poème de l'artiste, La Fille qui
Fixait, Fixait, Fixait) sont, en effet, tous plus inquiétants les uns que
les autres. Tout ce petit groupe se retrouve, bien evidemment, à l'école où le
professeur M. Rzykruski n'est, lui-aussi, pas en reste dans l'exentricité et la
bizarrerie.
Pour enrichir sa déjà trés belle galerie, Tim Burton a, en outre, l'heureux
réflexe de faire appel en V.O. à un casting d'acteurs choisis parmi son lot
habituel avec Martin Short (Mars Attacks !), Winona Ryder (Beetlejuice, Edward aux Mains d'Argent),
Catherine O'Hara (Beetlejuice,
L'Étrange Noël de
Monsieur Jack) ou encore Martin Landau (Ed Wood).
Sur le plan de la musique, Frankenweenie marche là-aussi en terrain connu puisqu'elle est confiée à Danny Elfman, dont la relation professionnelle avec Tim Burton remonte à 1985, lorsqu'il a composé la bande originale de Pee Wee's Big Adventure. A ce jour, le compositeur s'est ainsi chargé de toutes les musiques des films du réalisateur à l'exception d'Ed Wood et de Sweeney Todd, le Diabolique Barbier de Fleet Street. Si sa partition est, ici et comme à son habitude, en parfaite adéquation avec le récit, livrant par exemple quelques airs bien angoissants, elle reste néanmoins peu ambitieuse, dépourvue qu'elle est de toutes mélodies entêtantes.
Passées la critique d'un certain manque d'originalité - remake oblige – et l'accusation un peu facile de voir Tim Burton ronronner dans son coin, Frankenweenie a les ressources suffisantes pour surprendre positivement les non-initiés et convaincre les adorateurs de l'univers emblématique de l'artiste. Car si Mars Attacks ! était l'hommage burtonien aux films de science-fiction des années 50, Frankenweenie est, en effet, son pendant aux films d'horreur des années 30. A en frissonner de plaisir !