L'Héritière des Abysses

Titre original :
Daughter of the Deep
Éditeur :
Albin Michel (Collection Wiz)
Date de publication France :
Le 03 novembre 2021
Genre :
Fantastique
Auteur(s) :
Rick Riordan
Autre(s) Date(s) de Publication :
Disney•Hyperion (US) : Le 26 octobre 2021
Nombre de pages :
450

Le synopsis

Ana Dakkar est une étudiante de l'Académie Harding-Pencroft qui forme les étudiants à devenir les meilleurs explorateurs sous-marins au monde. Alors que sa préoccupation principale se cantonne à son examen de passage, la rivalité d'Harding-Pencroft avec l’Institut Land s’embrase. Leurs rivaux ne reculeront en effet devant rien pour obtenir la technologie du légendaire Capitaine Nemo...

La critique

rédigée par
Publiée le 25 mars 2022

L'Héritière des Abysses est un roman de Rick Riordan sorti en 2021 et puisant son inspiration dans l'œuvre de Jules Verne Vingt Mille Lieues Sous les Mers (1869-70) ; questionné à de nombreuses reprises durant des entrevues, l'auteur coutumier des séries romanesques habitées de héros passionnants a laissé entendre qu'il n'envisageait pas, pour l'heure, d'en écrire une suite. Son but était en réalité de convier de nouveaux lecteurs à découvrir son univers littéraire, même si ceux-ci n'ont jamais lu avant cela un seul roman signé de la plume de l'auteur.

Rick Riordan voit sa carrière véritablement lancée avec la saga de cinq romans Percy Jackson (Miramax Books/Hyperion Books (US), 2005-2009 ; Albin Michel (France), 2005-2010), qui connaît un succès planétaire, et qui suit les histoires de demi-dieux ou « sang-mêlés », dont l’un des parents est un dieu ou une déesse grec•que, s'entraînant à la Colonie des Sang-Mêlé pour devenir des héros. Au vu du succès de ses romans pétris d’humour, Riordan ne s'arrête pas là et exploite le filon en créant une trilogie reprenant la mythologie égyptienne intitulée Les Chroniques de Kane (Disney•Hyperion (US), 2010-2012 ; Albin Michel (France), 2011-2013), qui diffère quelque peu du schéma classique de l'écrivain puisque les personnages principaux sont un frère et une sœur qui ne vont pas à l'école. Puis, l'auteur prolifique reprend la franchise Percy Jackson avec Héros de l’Olympe (Disney•Hyperion (US), 2010-2014 ; Albin Michel (France), 2011-2015), qui lie mythologies grecque et romaine et introduit le Camp Jupiter. Riordan sortira également des livres pédagogiques sur la mythologie grecque quasiment dénués d’apports extérieurs (en dehors de touches humoristiques) : Percy Jackson et les Dieux Grecs (Disney•Hyperion (US) et Albin Michel (France), 2014) et Percy Jackson et les Héros Grecs (Disney•Hyperion (US) et Albin Michel (France), 2015). Ensuite, il publie la série Magnus Chase et les Dieux d'Asgard (Disney•Hyperion (US), 2015-2017 ; Albin Michel (France), 2016-2018), qui s'éloigne de la mythologie gréco-romaine et se focalise sur la mythologie scandinave, et poursuit avec Les Travaux d’Apollon (Disney•Hyperion (US) et Albin Michel (France), 2016-2020), laquelle se positionne cette fois-ci du côté divin, prenant pour protagoniste le dieu éponyme et mettant en scène des personnages de Percy Jackson et Héros de l'Olympe.

Rick Riordan exprime dans l’introduction de l'ouvrage la raison pour laquelle il a décidé de se tourner vers un sujet qui, s’il reprend le thème de la parenté, délaisse pour la première fois depuis les séries littéraires de la franchise Les 39 Clés (Scholastic Press (US), 2008-2016 ; Bayard Jeunesse (France) depuis 2011) la mythologie qu’il affectionne, pour se tourner vers une histoire emblématique qui n’a une base ni religieuse, ni légendaire. Lors d’une réunion en 2008 avec plusieurs éditeurs et décisionnaires de Disney Publishing Worldwide à l’occasion d’un salon littéraire pour enfants, le Président de la division lui demande s’il aimerait travailler sur une œuvre dont Disney possède les droits d'adaptation. Sans hésiter, l’auteur répond : Vingt Mille Lieues Sous les Mers ! Douze ans plus tard, Riordan se sent prêt et s'attelle à la tâche, posant sur papier les prémices de L'Héritière des Abysses. Usant de son humour habituel, l’introduction rédigée par Riordan prend ensuite la forme d’une série de questions portant sur le Capitaine Nemo, afin de fournir au lecteur le contexte du roman qui ne fait qu’aborder de manière lâche l’histoire originale. Conformément à l’air du temps et à de nombreux romans Disney comme la collection des Twisted Tales, l’auteur en profite pour parler des problèmes environnementaux liés aux océans, et qui seront une thématique à part entière de l'histoire.

Grande nouveauté dans ce roman, le personnage principal est une femme. L’auteur a d'ailleurs mis du temps pour offrir aux fans cette diversité, même s'il est vrai que Rick Riordan a donné aux lecteurs des personnages féminins très forts dans ses autres récits, tels qu'Annabeth principalement, mais aussi Sadie, Piper et Calypso. Ce faisant, l'auteur en profite pour aborder des sujets éminemment féminins, ce qui est une bonne chose, même s'il frôle à quelques occasions la représentation stéréotypée. De fait, il évoque les menstruations, ce qui est rare dans la fantasy destinée à tous les genres, et qui est bien sûr un bon pas en avant pour sensibiliser la population masculine aux douleurs et à l'inconfort que les règles peuvent susciter ; à l'inverse toutefois, nombre de thématiques masculines intimes ne sont pas abordées dans les autres romans de Riordan. Cette insistance pourrait donc donner à penser que cet évènement récurrent est d'une importance capitale dans la vie d'une femme, alors que ce n'est pas forcément le cas. Nonobstant, cette évocation est particulièrement significative au vu de l’origine d’Ana Dakkar, indienne, puisque cette région du monde est connue pour ses problèmes d’acceptation des menstruations féminines lorsque le contexte social est encore ancré dans la tradition.

Cette ouverture sur des thématiques plus sérieuses que d’ordinaire a déjà pointé le bout de son nez dans le premier volet des (Les) Travaux d’Apollon, qui offre une plus grande diversité culturelle au niveau de ses personnages et, surtout, qui aborde l’homosexualité de manière franche, avec un passage du point de vue d’Apollon en tant que père particulièrement mémorable. Si Ana Dakkar est un personnage riche et tridimensionnel, ses amies Nelinha et Ester sont elles aussi très attachantes, comme tous les autres personnages d'ailleurs qui restent avec le lecteur une fois le livre refermé, mais toutes deux auraient tout de même mérité un plus grand approfondissement. Nelinha rappelle fortement Maya dans Le Monde de Riley (Disney Channel, 2014-2017) incarnée par Sabrina Carpenter, tandis qu’Ester est caractérisée par les symptômes des quotients intellectuels très élevés présentant des traits autistiques, mais de façon schématique. Ainsi, ces deux personnages sont certes marqués par des caractéristiques fortes qui influencent leur manière de parler, leur humour, leurs interactions et réactions, mais l'auteur reste toutefois à la surface. L'intention est donc louable et les répercussions seront sans doute positives en termes de représentation, mais étant donné la richesse du livre, il aurait été intéressant d'en savoir davantage sur ces personnages. Le lectorat peut donc espérer qu’il y ait un jour un second volet ; il faut tout de même préciser que ces quelques défauts ne font guère d'ombre à la qualité du récit riordanien.

Si le lecteur retrouve l’humour typique de Riordan qui marque tant son style, le ton du livre est quant à lui sérieux et profond. D'entrée de jeu, un désastre colore l’intrigue, ce qui rend l'atmosphère plus réaliste et moins enfantine qu'à l'ordinaire. Riordan renoue également avec le héros traditionnel qui a perdu ses parents, ce qui n'était pas toujours le cas dans ses séries précédentes, et qui est usuel dans les contes et légendes pour positionner le protagoniste dans une situation initiale de défi et lui conférer la nécessité de se dépasser. Ici cependant, contrairement à la plupart des contes traditionnels ou des plus anciens films Disney, dans lesquels la mort du parent est plus ou moins survolée et constitue un simple fait du récit, le lecteur suit pas à pas le cheminement psychologique des héros dans leur deuil, des conséquences directes jusqu'aux étapes plus tardives. Une autre thématique brièvement abordée de façon très inattendue est celle du bien et du mal à travers le prisme du « terrorisme », ce qui est assez osé. Riordan l'évoque via le Capitaine Nemo et à travers cette question : est-ce que celui qui est considéré comme un terroriste dans un pays l'est de façon universelle, ou est-ce propre à ce pays qui subit les actions délétères de cette même personne ? La piraterie maritime d’antan est un sujet qui se prête parfaitement à la question et permet de s'interroger de manière abstraite sans tomber dans l'indécence.

Riordan a bien fait d’attendre toutes ces années, car la thématique du changement climatique n’a jamais intéressé autant de personnes de par le monde, et contre toute attente, Jules Verne évoquait déjà dans son livre une technologie reprenant, tout en cohabitant avec, la puissance de la mer. D'après Riordan, le salut de l'humanité pourrait d'ailleurs en dépendre. Dans L'Héritière des Abysses, la technologie de Nemo est la raison du conflit entre les deux écoles, mais si elle a été utilisée par Nemo de façon expérimentale et environnementale, ce n’est pas forcément à cette même fin qu’elle veut être utilisée. Nonobstant, le récit est parsemé de références à l’environnement et aux animaux marins ; les protagonistes, qui passent la plupart de leur temps dans un contexte océanique, ont à cœur ces préoccupations. Riordan apporte une pléthore d’informations au lectorat concernant ces sujets de façon intelligente et subtile, justifiée en partie par le fait que les personnages sont des apprentis scientifiques, explorateurs, ingénieurs et médecins, en fonction de leur maison. Tout comme J. K. Rowling, Riordan a repris la tradition du système scolaire anglais de diviser les écoliers en quatre maisons qui correspondent ici non pas à leur personnalité et à leurs objectifs, mais à leurs aptitudes et futurs métiers. Les maisons ont ainsi des animaux marins pour emblèmes : dauphin, requin, céphalopode et orque. Pour achever de décrire l'importance de l'environnement et des animaux dans le roman, il convient de mentionner que Riordan a attribué à la technologie de Nemo la capacité de nourrir les humains à partir de plantes transformées de manière quasiment exclusive – un ajout étonnant dans un livre de Riordan qui attribue souvent à ses personnages un amour de la viande, mais qui colle à la perfection à l'idée d’une société futuriste en quête de perfection éthique, mais également de perfection sociale, car une telle technologie qui existe bel et bien dans le monde contemporain sous d’autres formes, permettrait de pérenniser l'humanité pour un moindre coût environnemental.

L'Héritière des Abysses est de loin le meilleur roman de Rick Riordan en termes de qualité, de style et de densité, et c’est peu dire étant donné la richesse de ses précédentes séries. Il véhicule d’excellents messages qui s’adressent à tous, étant très inclusif sous de multiples aspects. Cerise sur le gâteau : en plus d'être une réussite, il se lit d’une traite. Il faut espérer que l’auteur n’en reste pas là avec cet univers ô combien riche habité de personnages qui ont encore beaucoup d’aventures à vivre et tout un monde à créer pour protéger ce qu’ils ont découvert.

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