Titre original :
Tolkien
Production :
Fox Searchlight Pictures
Date de sortie USA :
Le 10 mai 2019
Genre :
Drame
Réalisation :
Dome Karukoski
Musique :
Thomas Newman
Durée :
112 minutes
Disponibilité(s) en France :

Le synopsis

Lors de la bataille de la Somme en 1916, le jeune Ronald Tolkien, affaibli dans les tranchées, cherche désespérément l'un de ses amis disparus. Quelques mois auparavant, ils n’étaient, en effet, que des jeunes étudiants amoureux des arts et aux préoccupations classiques...

La critique

rédigée par
Publiée le 10 juillet 2019

Tolkien, biopic produit par Fox Searchlight Pictures, s’inspire de la vie du célèbre auteur anglais du Seigneur des Anneaux. Une entreprise ambitieuse tant l’homme reste plus méconnu que son œuvre. Le résultat est néanmoins décevant, le film passant à côté de son sujet et ne se focalisant que sur certains éléments, tout en ignorant ce qui passionne le plus chez l’écrivain : ses écrits !

La vie de John Ronald Reuel Tolkien, né le 3 janvier 1892, est riche. Elle a d'ailleurs fait l’objet de plusieurs livres biographiques, comme J.R.R. Tolkien, une Biographie de Humphrey Carpenter ou Tolkien et la Grande Guerre de John Garth, tous deux sortis chez l’éditeur français Christian Bourgeois. La vie de Tolkien peut s’appréhender selon les différentes étapes qu’il a rencontrées : son enfance à Birmingham, ses études à Oxford, sa participation à la Première Guerre mondiale, son travail en tant que professeur d’université et bien sûr, son travail en qualité d'’écrivain. Une chose particulière avec l’auteur reste que, de son vivant, Tolkien n’a pas publié tous ses manuscrits basés sur la Terre du Milieu, son monde créé de toutes pièces. Il y a eu Le Hobbit en 1937, Le Seigneur des Anneaux, en 1954 et 1955 et Les Aventures de Tom Bombadil en 1962. Mais durant toute sa vie, il oeuvre sur une grande mythologie dans le but de la proposer aux lecteurs. Tolkien décède ainsi le 2 septembre 1973 avant d’avoir pu achever sa belle entreprise. Son fils, Christopher Tolkien se charge alors de rassembler tous les manuscrits de son père et les propose dans diverses éditions. Le biopic Tolkien se base ainsi sur la vie de l’auteur lors de ses études et son expérience de la Grande Guerre. Il ne va pas plus loin et n’aborde pas, si ce n’est furtivement, tout son travail d’universitaire. Le cadre est posé et pourrait permettre déjà de montrer les différentes sources d’inspiration ainsi que les premières œuvres de Tolkien. Car même s’il n’a pas été publié avant Le Hobbit, la quête de Bilbo Baggins (ou Bilbon Sacquet selon les traductions françaises) hors de la Comté n'est pas la toute première histoire écrite par Tolkien. Mais le film l'oublie, se perd dans son propos et consacre une grande partie de son intrigue aux amis de l'auteur.

Une grande majorité du film est donc consacrée à la rencontre et à l’amitié vécue entre Tolkien et trois autres étudiants, avec qui il forme un club, le T.C.B.S., où Tea Club Barrovian Society. Un groupe amateur de culture, littérature, poésie et peinture où les compagnons se plaisent à parler de leur avenir, leur espoir et leur goût pour les arts. Une partie agréable mais dont l'opus abreuve à outrance les spectateurs. Naturellement, le parallèle avec les quatre compagnons Hobbits que sont Frodo, Sam, Meriadoc et Perigrin dans Le Seigneur des Anneaux est plus qu’évident et le biopic ne se lasse pas d’en rajouter une couche, à coup de grandes déclarations sur le pouvoir des alliances indestructibles, des fraternités éternelles et des communautés invincibles. Christopher Wiseman, G. B. Smith et R.Q. Gilson, interprétés respectivement par Tom Glynn-Carney, Anthony Boyle et Patrick Gibson (tous plutôt bons bien qu’un peu interchangeables et n’arrivant pas à marquer durablement) ont effectivement joué une part importante dans la vie du jeune Tolkien. Mais le film revient constamment sur cette amitié, avec plusieurs scènes ratées qui ne fonctionnent pas, où les échanges font trop écrits sans aucun naturel, et rendent le petit groupe superficiel. Tolkien lasse son public avec ses redondances, source de ses nombreuses longueurs. Du temps gaspillé alors même que d’autres éléments, bien plus intéressants ne sont pas abordés ou simplement survolés.

Tolkien passe ainsi en partie à côté de son sujet et fait le choix étrange d’occulter une grande majorité des écrits du Maître. Le grand public ne connaît, en effet, de l’auteur que Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux, aidé par les adaptations cinématographiques de Peter Jackson. Mais l’œuvre de Tolkien ne se résume pas à cela. Jusqu’à sa mort, il a écrit et enrichi son univers pour se retrouver avec plusieurs histoires, plusieurs langues et une mythologie immense. Son fils, Christopher Tolkien, se lance d’ailleurs après la mort de son père le défi de mettre de l’ordre dans ses nombreux manuscrits et de publier l’histoire de la Terre du Milieu sans rester focalisé seulement sur Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux. Sort par exemple Le Silmarillion en 1977, la grande histoire de la Terre du Milieu (principalement son origine et celle du Premier Âge) qui regroupe de nombreux textes écrits par Tolkien tout au long de sa vie mais qu’il n’a pas eu le temps de publier (alors même qu'il n'envisageait pas la publication du Seigneur des Anneaux sans celle du Silmarillion). Le film aurait pu (dû ?) montrer toute la richesse de son univers. Pourtant, toute la partie passionnante où Tolkien pose les premiers contours de son univers est absente du récit qui, hérésie, laisse sous-entendre que jusqu’au Hobbit, il n’y a rien. Or, c’est pendant sa convalescence en 1917 (bien que Tolkien avoue à son fils que les premières esquisses ont lieu pendant la Grande Guerre en 1916) qu’il écrit son premier conte, directement inspiré de son expérience traumatisante dans les tranchées de la bataille de la Somme : La Chute de Gondolin qui met en scène un homme, Tuor, dans sa recherche de la cité elfique Gondolin, menacée de destruction. Hasard du calendrier, Christopher Tolkien publie en août 2018 (avril 2019 pour l’édition française) La Chute de Gondolin, qui était déjà présent dans d’autres ouvrages mais n’avait jamais été publié comme récit autonome. Tolkien, le film, passe donc complètement sous silence ce premier écrit et fait croire, à tort, que la Première Guerre Mondiale a seulement nourri l’imaginaire de l’auteur pour Le Seigneur des Anneaux. L'occasion était pourtant rêvée de faire découvrir de nouvelles histoires de Tolkien aux spectateurs. Peine perdue, les scénaristes semblent ignorer tout cela.

La bataille de la Somme alterne ainsi entre vie difficile dans les tranchées, recherche de l'un de ses amis du T.C.B.S. et hallucinations (peu subtiles) de Tolkien qui voit sous ses yeux des dragons, cavaliers noirs et guerriers en armure. Comme de gros clins d’œil lancés aux spectateurs, le film leur crie sans aucune nuance : « Regardez, c’est comme dans le film Le Seigneur des Anneaux ! ». La paternité avec les chefs-d’œuvre de Peter Jackson se fait sentir mais vient desservir le propos, n'ayant jamais la même force narrative ou émotionnelle. Tolkien est réducteur en ce sens qu’il se complaît dans des facilités ne devenant qu’un biopic convenu. C’est à redire mais limiter l’auteur aux seuls Hobbit et Seigneur des Anneaux est une hérésie pour un film qui tend à aborder sa vie. 

Tolkien était un amoureux des langues. Là encore, un aspect fascinant, à l’origine de son travail d’écrivain. En construisant la Terre du Milieu, il a ainsi inventé plusieurs langues complexes et complètes, des cultures et des histoires qui s’y imbriquent. Le film aborde ce point de façon assez succinct, grâce au personnage de Joseph Wright (campé par l’impeccable Derek Jacobi), professeur de philologie à Oxford et qui voit chez Tolkien un jeune étudiant prometteur. Les quelques scènes entre les deux personnages sont ainsi succulentes et explorent la finesse des mots et du langage. Elles sont hélas bien peu nombreuses, l'opus donnant là encore la sensation de passer sous silence un élément primordial et fondateur dans toute la future carrière d’écrivain et professeur de Tolkien. Il est dit que le jeune Ronald aime les langues germaniques, qu’il en a inventé une mais tout cela n’est jamais vraiment montré, et à peine prononcé. Le spectateur n'est de fait jamais plongé dans la grammaire de ses langues, dans tout le génie qu'il a fallu à Tolkien pour aboutir à un résultat cohérent. Aucune incursion n'est proposée dans ses recherches, ses essais ou les modifications qu'il a pu y apporter au fur et à mesure (et encore plus lorsqu'il devient universitaire mais le sujet du film n'est pas là).

L’autre aspect développé dans Tolkien est la romance du jeune étudiant avec Edith Bratt, future épouse avec qui il partagera toute sa vie. Lorsque le film se concentre sur les jeunes amoureux, il devient plus agréable à suivre avec de belles scènes et quelques moments touchants. Les échanges entre les deux font plus naturels et gagnent en finesse. L’alchimie du couple est, de plus, flagrante. John Ronald Tolkien, interprété par Nicholas Hoult (X-Men : Le Commencement, La Favorite) dispose en effet de ce qu’il faut d’assurance et d’inexpérience pour être sympathique dès le début. Le jeune comédien s’applique à restituer la diction si particulière de l’auteur et propose une belle composition. À ses côtés, le personnage d’Edith Bratt est tenue par Lily Collins (okja, Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile). Rayonnante, elle campe là un rôle sublime, tout en grâce et poésie. Le duo formé par les comédiens est sans conteste la force du film. Malheureusement, il passe encore une fois à côté d’un écrit fondamental de Tolkien, directement lié à sa relation avec Edith et qui aurait donné plus d'ampleur et d'émotion à cette relation.

Lorsque J.R.R. Tolkien commence à fréquenter Edith dans sa jeunesse, elle l’inspire et lui permet de commencer à façonner son monde. À ce titre, un moment vécu entre le couple est à l’origine directe de l’une de ses premières histoires. Tolkien, dans une lettre adressée à son fils, raconte, en effet, ce passage tout simple, vécu dans une petite clairière pleine de fleurs de ciguë près de Roos dans le Yorkshire où Edith danse sous le regard amoureux de John Ronald. De ce moment, Tolkien va en sortir un conte : l’histoire de Beren et Lùthien. Beren, l’homme mortel, qui tombe amoureux de Lùthien, l’elfe immortelle. Dans le film, une scène rapide laisse entrevoir une danse d’Edith sous les bois. Et, en 1917, peu après l’écriture de La Chute de Gondolin, toujours en convalescence, Tolkien écrit la première version de Beren et Lùthien. Le biopic passe également sous silence cette histoire-là alors même qu’elle est fondatrice de l’œuvre du Maître et précède la romance plus connue de l’homme Aragorn et de l’elfe Arwen dans Le Seigneur des Anneaux. Beren et Lùthien a eu une telle importance pour Tolkien, que sur sa tombe est inscrit « Beren », et sur celle d’Edith, à côté, « Luthien ». Le film, dans son générique, indique qu’effectivement sur la tombe des mariés figurent le nom d’un homme et d’une elfe, sans même les citer ! Tolkien ne fait jamais l'effort d'apprendre aux spectateurs quelque chose qu'ils ignorent. Encore une occasion ratée par le film, qui ne fait décidément qu'accumuler les manques.

Si le fond est raté, et que les choix scénaristiques sont discutables, Tolkien a pour lui une reconstitution historique réussie, avec quelques séquences dans les tranchées immersives et assez bien mises en scène par le réalisateur Dome Karukoski (cinéaste finlandais qui signe ici son plus gros film). Le reste de sa réalisation est en revanche plus banale et ressemble à un biopic classique : le choix narratif de découper le film en alternant vie pendant la Guerre et jeunesse à l'université fonctionne en effet plutôt bien, malgré les nombreuses longueurs. Un soin manifeste apporté aux costumes donne une autre touche agréable et une scène en particulier dans les coulisses d'un opéra, vécue entre Tolkien et Edith, atteste de la beauté des tenues. Bien que s'inspirant de la vie de l'auteur, Tolkien ne s'épargne pas de romancer ou d'inventer plusieurs éléments. Certaines séquences, notamment de disputes et de séparations, sont exagérées ou simplement fausses. Comme chaque film, l'exigence cinématographique tend à rendre tout un peu plus dramatique, un peu plus impressionnant, alors même que la simple vérité de la vie de Tolkien regorge de moments exploitables pour le cinéma, sans qu'il ne soit nécessaire d'en rajouter. Mais au vue de ces éléments approximatifs et de la méconnaissance de l'oeuvre globale, Tolkien se rapproche de plus en plus de la fiction que du biopic.

Du coté de la musique, Thomas Newman (Dans l'Ombre de Mary - La Promesse de Walt Disney, WALL•E) livre ici une partition enchanteresse, aux thèmes marqués et qui collent souvent avec l'ambiance recherchée. Il arrive surtout à se démarquer de la composition magistrale et colossale d'Howard Shore pour la trilogie du Seigneur des Anneaux. Il ne cherche, en effet, pas à s'approcher de la musique entendue dans ces films et tant mieux. Une ressemblance sonore trop forte aurait donné cette fâcheuse impression d'être devant un fan film frustré. C'est déjà le cas sur de nombreux points, mais pas concernant la musique.

Le film Tolkien sort à une période riche en actualités concernant l'auteur. Son fils, Christopher, du haut de ses 94 ans, affirme en préface de La Chute de Gondolin qu'il s'agit du dernier ouvrage issu des écrits de son père à être publié. La bibliographie de Tolkien, éparse et complexe, atteint donc son firmament et les lecteurs ne devraient plus pouvoir poser leur regard sur des textes originaux de J. R. R. Tolkien. Dans le même temps, le monde audiovisuel s'agite avec la fin du carton planétaire Game of Thrones. Les studios veulent lui trouver un remplaçant et la bataille pour la prochaine franchises de fantasy médiéval se prépare. Alors que Netflix entre dans la course avec The Witcher (adaptation d'une série de livre et de jeux-vidéos de grande qualité), Amazon se lance dans la production d'une série au budget pharamineux du Seigneur des Anneaux. Les estimations énoncent une machine à un milliard de dollars pour cinq saisons. Mais point de reboot toutefois, la série se consacrera au Deuxième Âge de la Terre du Milieu. Une nouvelle façon pour les passionnés de vivre l'oeuvre de Tolkien. Le biopic remet donc au goût du jour un auteur qui reste emblématique et une référence absolue dans le milieu de la fantasy. Néanmoins, lors de son exploitation, et sans ambition démesurée, le film de Dome Karukoski atteint difficilement les huit millions de dollars au box office mondial. Le bouche à oreille et les critiques mitigées auront eu raison de Tolkien.

En dépit de son postulat de base intéressant - raconter la jeunesse de l'un des plus grands auteurs de fantasy - Tolkien se noie dans des considérations superficielles qui alourdissent son récit. Il ne devient q'un biopic comme il en existe tant d'autres, superficiel et convenu. Malgré le charme de Nicholas Hoult et de Lily Collins, les deux interprètes principaux, le film laisse à peine entrevoir le véritable imaginaire de Tolkien, d'une richesse pourtant incroyable et infinie.

Plombé par une orientation narrative qui fait fausse route, Tolkien n'arrive jamais à rendre hommage à l'écrivain et le spectateur curieux de le découvrir n'a pas meilleure solution que de s'en détourner pour se plonger dans les oeuvres fantastiques de l'auteur. Car c'est bien dans son héritage littéraire que transparaît vraiment toute sa vie et son expérience.

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