Mary Poppins
La Bande Originale du Film

Mary Poppins - La Bande Originale du Film
La jaquette
Éditeur :
Walt Disney Records
Date de sortie USA :
Le 29 août 1964
Genre :
Bande originale
Durée :
46 minutes

Liste des morceaux

01. Overture (Instrumental) / Ouverture (Instrumental) - 3:01
02. Sister Suffragette / Les Soeurs Suffragettes - 1:45
(VO : Glynis Johns, VF : Anne Germain)
03. The Life I Lead / Je Vis Et Mène Une Vie Aisée - 2:01
(VO : David Tomlinson, VF : Roger Tréville)
04. The Perfect Nanny / Petite Annonce Pour Une Nounou - 1:39
(VO : Karen Dotrice, Matthew Garber, VF : Elisabeth et Benjamin Boda)
05. A Spoonful Of Sugar / Un Morceau De Sucre - 4:09
(VO : Julie Andrews, VF : Eliane Thibault)
06. Pavement Artist / Chem Cheminée (Reprise) - 2:00
(VO : Dick Van Dyke, VF : Michel Roux)
07. Jolly Holiday / Quelle Jolie Promenade Avec Mary - 5:24
(VO : Julie Andrews, Dick Van Dyke, VF : Eliane Thibault, Michel Roux)
08. Supercalifragilisticexpialidocious - 2:03
(VO : Julie Andrews, Dick Van Dyke, VF : Eliane Thibault, Michel Roux)
09. Stay Awake / Ne Dormez Pas - 1:45
(VO : Julie Andrews, VF : Eliane Thibault)
10. I Love To Laugh / C'est Bon de Rire - 2:43
(VO : Dick Van Dyke, Ed Wynn, Julie Andrews, VF : Michel Roux, Richar Francoeur, Eliane Thibault)
11. A British Bank (The Life I Lead) / Je Vis Et Mène Une Vie Aisée (Reprise) - 2:08
(VO : David Tomlinson, Julien Andrews, VF : Roger Tréville, Eliane Thibault)
12. Feed The Birds (Tuppence A Bag) / Nourrir Les P'tits Oiseaux - 3:51
(VO : Julie Andrews, VF :Eliane Thibault)
13. Fidelity Fiduciary Bank / Deux Pences - 3:33
(VO : Dick Van Dyke, David Tomlinson, VF : Michel Roux, Roger Tréville)
14. Chim Chim Cher-ee / Chem Cheminée - 2:46
(VO : Dick Van Dyke, Julie Andrews, Karen Dotrice, Matthew Garber, VF : Michel Roux, Eliane Thibault, Elisabeth et Benjamin Boda)
15. Step In Time / Prenons Le Rythme - 8:42
(VO : Dick Van Dyke & Cast, VF : Michel Roux & Cast)
16. A Man As Dreams / Je Vis Et Mène Une Vie Aisée (Reprise) - 4:28
(VO : David Tomlinson, Dick Van Dyke, VF : Roger Tréville, Michel Roux)
17. Let's Go Fly A Kite / Laissons-le S'Envoler - 1:53
(VO : David Tomlinson, Dick Van Dyke, VF : Roger Tréville, Michel Roux)

La critique

rédigée par
Publiée le 11 juillet 2016

Mary Poppins, une extravagante création qui apporte la gloire et la reconnaissance à son auteur, signe aussi l'une des plus belles pages de la carrière de Walt Disney. Derrière ce plaisant patronyme que tout le monde connaît, se cache, en effet, l'un des long-métrages les plus célèbres et avant-gardistes des studios. Ultime film ayant bénéficié de la présence du patriarche tout au long de son processus de création jusqu'à son achèvement, il est aujourd'hui considéré comme une œuvre testamentaire, l'héritage d'une vie et la quintessence d'un savoir-faire inégalé. Tout ce qui compose Mary Poppins ne fait preuve d'aucune retenu et se révèle d'une hardiesse incroyable : film en prise réelle, film d'animation, comédie-musicale... Mary Poppins n'a pas son pareil pour explorer toute les techniques de narration pour finalement se les accaparer et les transcender avec aplomb. Cependant, ce qui peut être perçu comme une déconcertante évidence à l'écran fut un véritable chemin de croix à réaliser, car Mary Poppins, aussi douce qu'elle puisse paraître, peut être redoutable envers qui souhaiterait si frotter. Indissociable de Pamela Travers, véritable cerbère de son œuvre, Walt Disney et son équipe ont eût fort à faire pour satisfaire « l'insatisfaite », sans pour autant jamais y parvenir et ce, quelles que soient les qualités exhaustives d'un résultat final acclamé et toujours apprécié.

Contre l'avis de la principale intéressée, à savoir mademoiselle Travers, la décision est donc vite prise de réaliser une adaptation musicale. En compositeurs phares, le travail accompli par les frères Sherman, unique choix de Disney pour ce film, justifie outre l'étendue de leur talent, leur vertigineuse cadence à produire des tubes intemporels. Ils livrent ainsi une impressionnante quantité de chansons avant qu'une sélection ne soit effectuée. En résulte beaucoup de non-retenus parmi les morceaux d'origine, mais qui n'ont pas été perdus pour autant. Ils se retrouvent disséminés dans la musique instrumentale du film lui-même, tandis que certains seront repris dans différents long-métrages des studios, notamment Compagnon d'Aventure, Le Livre de la Jungle, Le Plus Heureux Des Milliardaires, L'Apprentie Sorcière, The Slipper and the Rose, et la version télévisuelle des Aventures de Winnie l'Ourson. Certains numéros musicaux sont en outre supprimés, tantôt à la demande de l'écrivaine qui exige, notamment, que la scène du mètre à ruban pour mesurer les enfants soit reprise avec exactitude, bien qu'une chanson, Measure Up, avait pourtant été prévue pour elle ; tantôt par souci de maintien et d'équilibre général du scénario.

Les arrangements musicaux de Mary Poppins et la musique d'accompagnement du film sont réalisés par le compositeur américain Irwin Kostal, dont le palmarès s'étend de la direction d'orchestre à l'orchestration en passant par la composition. Il a grandement contribué aux adaptations sur grand écran de West Side Story et de La Mélodie du Bonheur. C'est encore lui qui prend en charge les réorchestrations et la direction de la nouvelle bande sonore de Fantasia en 1982, supprimée en 1990 au profit de l'ancienne. Pour Disney, il participe aussi à la création de L'Apprentie Sorcière et Peter et Elliott Le Dragon. Accordéon, banjo, piano, saxophones, guitare électrique, chœurs et grand orchestre : Irwin Kostal n'a pas lésiné sur les moyens. Jamais son sens de la démesure ne s'est aussi puissamment exprimé. Les guirlandes de bois, en arpèges, ne cessent de pailleter le film, dès l'arrivée de Mary Poppins, mais surtout dans la scène des dessins à la craie. Des fulgurances aux cordes avec la séance chorégraphiée de A Jolly Holiday (Quelle Jolie Promenade Avec Mary en vf), des glissandi de cors notamment dans la scène des pingouins, de nombreux segments de harpe, quelques traits de piccolo bien placés, des phrases de basson humoristiques pour représenter l'amiral Boom, par exemple, des sourdines judicieusement distribuées aux cuivres participent eux aussi à la féerie ambiante. La scène du manège, pailletée de célesta, de glockenspiel et de harpe, est d'une délicieuse délicatesse. La percussion est riche : timbales, grosse caisse, caisse claire, tambour de basque, wood block, cloches de vache, cymbales, triangle, glockenspiel, vibraphone, xylophone, tam-tam, carillon tubulaire. Les cordes sont relativement peu nombreuses mais, munies de sourdines, elles nimbent avec un velouté extraordinaire Stay Awake (Ne Dormez Pas en vf) et le début de Feed the Birds (Tuppence A Bag) (Nourrir Les P'tits Oiseaux en vf) avec des tierces de clarinettes puis des traits d'accordéon désarmants d'efficacité. L'opulence et le dynamisme musical ne retombent ainsi pas un seul instant.

Mary Poppins étant une œuvre musicale fleuve, une adaptation française de qualité se devait être produite afin de rendre honneur à la masse de travail rendue. L'excellence est telle, qu'aujourd'hui encore, et malgré l'habitude des studios, dans un élan souvent regrettable à vouloir enregistrer de nouvelle version chaque fois plus contemporaines de leurs classiques, celle de Mary Poppins fut épargnée.

La version française se compose donc de Eliane Thibault (Mary Poppins), Michel Roux (Bert), Roger Tréville (Mr Banks), Anne Germain (Mrs Banks sur la partie chantée), Nicole Riche (Mrs Banks sur la partie vocale), Elisabeth et Benjamin Boda (les enfants). Eliane Thibault a également doublé la partie chantée du rôle-titre de L'Apprentie Sorcière, dans la première VF, tandis que Michel Roux s'illustre dans le rôle de Grand Coquin, dans Pinocchio pour le deuxième doublage en 1975. Roger Tréville retrouve David Tomlinson dans le doublage français original de L'Apprentie Sorcière, alors qu'Anne Germain et Jean Cussac donnent de la voix dans la deuxième VF de Bambi, dans les années 1970, et dans Robin des Bois en 1973 entre autre.

C'est l’adjonction de tous ces éléments symphoniques, lyriques et rythmiques qui ont raison du vent d'ouest et permettent à Mary Poppins de rejoindre la demeure des Banks pour y laisser pointer le bout de son nez, qu'elle a de très jolie d'ailleurs.

La piste qui ouvre la farandole de chefs-d’œuvre qui ponctue les péripéties de Mary Poppins n'est autre qu'un superbe patchwork de ces mêmes thèmes musicaux. Un assemblage de trois minutes qui définit la richesse et la complexité de ses arrangements. Construite en cinq segments, Ouverture-Mary Poppins (Chem Cheminée (Chim Chim Cher-ee) (Générique de début) en vf) est comme toute bonne mélodie d'introduction, conçue de telle sorte qu'elle résume aussi bien qu'elle implante le paysage sonore. Les premières secondes de cette musique ne sont d'ailleurs pas anodines. En effet, ce sont celles de Feed The Birds (Tuppence A Bag), une place privilégiée qui lui est peut être réservée en raison de l'affection sans bornes que lui portait Walt Disney. Particulièrement touchante, cette réorchestration tout en douceur délivre à l'auditeur un message profond. Bien que le récit s'avère comique et divertissant, l'essentiel du message véhiculé repose sur la tendresse et la bonté. Très proche d'une berceuse, elle est très vite suivie par A Spoonful Of Sugar (Un Morceau De Sucre en VF), thème qui partage la même orchestration naïve. Chim-Chim Cher-ee, lui, offre la particularité de conserver ses chœurs contrairement à ses semblables. Il laisse à son tour la place à l'exubérance de Supercalifragilisticexpialidocious, segment plus conforme à sa version d'origine. Enfin, en guise de clôture, Spoonful Of Sugar résonne derechef. Cette insertion en la matière n'est aucunement due au hasard et fait preuve d'une ingéniosité assez remarquable : formant un medley, les frères Sherman combinent ici les quatre thèmes les plus identifiables de l'ensemble du score.

La seconde piste introduit la matriarche de la famille Banks. Extrêmement engagée et conçue comme un hymne populaire et révolutionnaire, Sister Suffragette (Les Soeurs Suffraguettes en VF) prend ainsi racine, contrairement au reste de la bande originale, sur un événement ancré dans le passé de la Grande-Bretagne. Mary Poppins, contredisant là le roman qui se déroule dans les années 1930, se passe pendant l'été 1910, c'est à dire en pleine contestation concernant le droit des femmes outre-manche. Sans doute dans un élan d'authenticité, mais aussi pour correspondre davantage à la forte position du sexe féminin dans ce film : après tout, il s'agit ici d'une héroïne et il n'est pas contre-indiqué de penser que cette chanson est introduite pour satisfaire une vérité historique. Cependant, il n'en est rien, ou presque. Les frères Sherman, dans leur autobiographie Walt's Time, racontent, en effet, la genèse de cette œuvre assez particulière. Issue de précédents travaux, la mélodie de Sister Suffragette est empruntée à une chanson titrée Practically Perfect avortée en 1964 pendant la production du film. L'actrice qui campe Winifred Banks, Glynis Jones, pensait alors avoir décroché le rôle-titre. La légende veut que le malaise fut à son paroxysme lors d'un entretien aux Walt Disney Studios de Burbank, où chacune des deux parties prirent conscience du malentendu les accablant. Afin de tempérer et de résoudre cet épineux problème, Walt Disney aurait tout simplement prétexté la réalisation d'une toute nouvelle chanson par le duo de compositeurs à la seule attention de la comédienne. Enthousiaste à cette idée, Glynis Jones aurait alors souhaité l'écouter après le déjeuner le jour même, ce qui aurait contraint les frères Sherman à utiliser cette maquette et rédiger les paroles durant leur propre temps de pause. Un formidable coup de bluff qui aujourd'hui est rentré dans la postérité.

The Life I Lead (Je Vis Et Mène Une Vie Aisée en VF), est plus solennelle. Présentant le chef de bonne famille George Banks aux yeux du public, elle est la personnification d'un esprit logique et ajusté. Interprété par David Tomlinson, qui la reprend un certain nombre de fois tout au long du film, elle est en quelques sortes le contre-pied des accords fantaisistes attribués à Mary Poppins. Variante de ce qui est communément appelé patter song, style musical caractérisé par une modération rapide du tempo appuyé par une rapide succession de rythmes où chaque syllabe correspond à une note, il est un dérivé de l'opéra-comique. Il accuse de la sorte avec volonté le ridicule de son interprète à ses dépens. Il est aussi bon de remarquer que cette chanson est un duplicata du thème de Henry Higgins chanté par Rex Harrison dans la comédie musicale My Fair Lady, comme une prise de position à l'attention de Julie Andrews qui s'est vue refuser ce rôle au cinéma tandis qu'elle avait interprétée Eliza Doolittle au théâtre. Cadencé en un rythme quasi militaire, The Life I Lead dénonce en outre une routine millimétrée qui peut rassurer mais au final emprisonne et se retourne contre son sujet en cas d'imprévu, ici la disparition des enfants.

Ecrite par Robert B. Sherman, cette chanson jouit elle aussi d'une anecdote intéressante. Extrapolant sa vie d'alors, l'auteur s'est amusé à glisser un message codé qui prend uniquement appui dans sa version originale. Dans le deuxième couplet, Monsieur Banks affirme donc :

« At 6:01, I march through my door,
« A 18h01, je franchis la porte d'entrée

My slippers, sherry and pipe are due at 6:02,
Dispose de mes chausons, ma liqueur et ma pipe à 18h02,

Consistent is the life I lead... »
Constante est la vie que je mène... »

Derrière ces strophes, Robert B. Sherman décrit en fait son propre pragmatisme. Profitant d'un statut privilégié en tant qu'employé de The Walt Disney Company, il loge à cette époque au 601 North Oakhurst Drive à Beverly Hills. La référence du temps, ici 18h01, faisant donc écho à son adresse personnelle, 601. Malgré son déménagement en 1969, une plaque commémorative où l'inscription « Casa Poppins » peut y être lue, fut installée par le propriétaire suivant, lui rendant encore hommage aujourd'hui.

The Perfect Nanny (Petite Annonce Pour Une Nounou en VF) finit de décrire l'ensemble des membres de la famille Banks, ici les enfants Jane et Michael. Conçue en une énonciation exhaustive de la parfaite nourrice qui aurait grâce aux yeux des petits qu'elle garde, elle est en quelque sorte l'élément déclencheur de l'histoire. Très douce puisque liée à l'enfance, cette brève chanson suit l'évolution des enfants tout au long du film. Jouant sur le contraste de l'extraordinaire assurance de la jeunesse et de la naïveté qui la distingue, cette mélodie est une délicieuse série de conseils des enfants à l'attention des adultes. Mais dans un excès de colère et d'impatience, Monsieur Banks met un terme à ces divagations pour déchirer la précieuse liste et la jeter dans la cheminée ; ce qui a pour conséquence la venue de Mary Poppins dans le foyer.

La cinquième piste est sans doute l'une des plus fameuses. Thème récurrent et leitmotiv de la pétillante Mary Poppins, A Spoonful of Sugar (Un Morceau De Sucre en VF) est une totale réussite. Très entraînante et enjouée, elle est le témoin de la première rencontre avec les enfants. Bien qu'imaginative et excentrique, Mary Poppins n'en reste pas moins une gouvernante respectable et faisant preuve de sévérité lorsque la situation l’exige. Cette musique intervient effectivement lors de la délicate question « faut-il obéir ? ». Peu emballés par cette initiative, les enfants ne tardent pas, en effet, à tester l'autorité de la nouvelle arrivante. Cette dernière, en représailles, leur dicte leur première leçon : même si une tâche semble de prime abord contraignante, avec une attitude adaptée, cela peut s'avérer très amusant. Les paroles jouent donc sur cet état de fait en calquant sa rythmique sur un one-step effréné, une danse de salon popularisée dans les dîners mondains au début du XXème siècle aux Etats-Unis. L'origine de cette chanson est particulière car elle résulte indirectement de son interprète principale, Julie Andrews. Alors qu'elle n'est pas encore engagée pour le rôle qui allait la révéler, elle a des réticences vis à vis de la chanson qui est pourtant à l'origine écrite pour elle. The Eyes of Love est, il est vrai, jugée par l'intéressée comme insuffisante et peu représentative de l'esprit de Mary Poppins. Elle suggère donc l'écriture d'une nouvelle chanson plus accrocheuse. Légèrement dépité, Robert Sherman rentre chez lui dans l'espoir de trouver l'inspiration. Alors qu'il franchit la porte d'entrée, sa femme, Joyce, l'informe que leur fils a eu ce même jour un vaccin contre la poliomyélite. Soucieux de son état de santé, il le questionne et ce dernier lui répond que le médicament a été placé dans un morceau de sucre et qu'il avait juste eu à l'avaler. Trouvant le récit caustique, Robert Sherman rédige ce qui allait devenir l'hymne de Mary Poppins. Initialement titré A Spoonful of Sugar Helps the Medicine Go Down, il propose ses écrits à son frère Richard qui, tout d'abord dubitatif, est ensuite conquis par la complexité à restituer l'absurde des paroles en musique, suivi par l'enthousiasme de Julie Andrews à son tour.

Afin de cerner toute la complexité du personnage principal, cette musique s'amuse donc à brouiller les pistes et le bon sens commun, sans que l'auditeur ne s'en rende particulièrement compte. Car là où les paroles sont évidentes et facilement compréhensibles, la mélodie n'est pas en reste s'opposant délicatement aux lyrics, avec par exemple l'attribution d'une note aigüe au mot « down », qui garde tout son sens initial en version française. Julie Andrews est, en outre, une actrice capable de siffler avec une telle dextérité que le chant de l'oiseau « animatronic » est le sien !

Pavement Artist (Chem Cheminée Reprise en VF) est la dernière piste de l'ensemble qui intronise un personnage, et pas des moindres puisqu'il s'agit de Bert l’autodidacte vagabond, tour à tour artiste de rue et ramoneur. Double survolté de Mary Poppins, il partage avec cette dernière une amitié platonique mais non dénué de romance qui prend son origine bien avant le début du film. Cet air est un dérivé de Chim-Chim Cher-ee, autre thème éminent de la bande originale. Tirant son inspiration des chansons dites à « gouailles » de la fin du XIXème siècle parisien, qui a fait connaître entre autre des artistes de renoms telle Edith Piaf, elle est une transfiguration de la vie de bohème. En cela, elle emprunte une orchestration où l'accordéon est roi et la musicalité l'emporte sur les paroles. Bert fredonne, en effet, à la fin du morceau pour ensuite laisser la musique finir d'elle-même, une caractéristique de ce mode de chant.

Jolly Holiday (Quelle Jolie Promenade Avec Mary en VF) est une joyeuse chanson à l'orchestration bucolique et aux arrangements champêtres, interprétée en duo par le couple Mary Poppins et Bert. Elle est traitée par Irwin Kostal en thème et variations avec une époustouflante virtuosité orchestrale. S’y trouve même un bref solo de guitare électrique. Elle a aussi de particulier son utilisation lors d'une scène plutôt singulière, celle en animation. La candeur ambiante qui émane de chaque note est en fait le plus gros risque que les studios Disney prennent ici à l'encontre de l'auteur Pamela Travers. Ce qui peut paraître comme une scène guillerette et vraisemblablement légendaire, est en fait peut-être la plus illustre de l'ensemble du long-métrage : elle met d’ailleurs en péril le bon développement de la production. Scène centrale du film, ce passage est en réalité basé sur une nouvelle intitulée Mary Poppins and the Match Man. Sortie plusieurs années avant la publication des romans, cette courte histoire est la toute première à mettre en scène Mary Poppins. Elle est remaniée dans le but d'être intégrée en tant que chapitre dans l'ensemble de la saga. Ne lui attribuant que peu d'intérêt et sans doute extrêmement auto-critique, Travers n'approuve alors pas le choix de l'inclure en si bonne place dans le film, sans pour autant donner de raisons assez convaincantes quant à la possibilité de son éventuel retrait. L'autre raison, la plus connue des deux, est son aversion pour l'animation, qui selon elle, peut nuire à la crédibilité de son œuvre. Sachant que cette scène serait entièrement animée à l'exception des acteurs, elle exige purement et simplement sa suppression. Ce qui bien entendu lui est refusé par Walt Disney ! La scène du tableau à la craie et par extension, son thème musical, sont donc des survivants de la longue série d'insatisfactions qui mettent en danger la réalisation du film. Une prétendue sérénité qui a failli tourner court.

Supercalifragilisticexpialidocious est indubitablement la plus iconiques de toutes les chansons de la comédie-musicale, véritable triomphe d'ingéniosité, de folie et d'énergie. Entraînante et au rythme soutenu pour conclure sur un crescendo, proche d'une bourrée, style musical natif du Massif Central français, cette mélodie met en lumière un terme pour le moins barbare et particulier. Totalement original, le mot supercalifragilisticexpialidocious, est, en effet, une trouvaille des frères Sherman. C'est pour répondre à une demande de Walt Disney, qui souhaite créer un terme unique qui correspond à l'état d'esprit effervescent dans lequel se trouve Mary Poppins lors de sa victoire aux champs de courses, que Richard et Robert Sherman se mettent à réfléchir sur l’existence d'un mot se rapprochant. Face à ce défi, Richard se souvient avec nostalgie des séances que lui et son frère entretenaient enfant, pendant leurs colonies de vacances, à passer des heures à créer des mots d'une longueur abracadabrantesque, dans le seul but d'étendre l'orthographe et la signification d'un mot ou d'une situation. Un, en particulier, lui vient à l'esprit : « super » comme « en haut », « cali » comme « beauté », « fragilistic » comme « délicat », « expiali » comme « expier » et « docious » comme « éducables » : supercalifragilisticexpialidocious. Communément, son emploi est soit sollicité lorsqu'un interlocuteur ne sait plus quoi dire, soit en tant que superlatif d'autorité. L'impact est tel qu'une musique est alors écrite pour appuyer l'absurde et le génie de cet étrange mot. En revanche, son influence est si considérable et sa popularisation tellement efficace, qu'il est reconnu officiellement et figure dans le prestigieux dictionnaire d'Oxford. En plus de convenir tout à fait à l'action, le côté cartoonesque du banjo conjugué à un univers irrationnel transporte ainsi l'auditoire comme rarement auparavant. Dick Van Dyke octroie aussi une démonstration convaincante du spoken word, littéralement « mot parlé », ancêtre du rap apparu dans les années 1930 avec le Golden Gate Quartet, un groupe de gospel et leur chanson Preacher and the Bear.

Stay awake (Ne Dormez Pas en VF), est une berceuse chantée par Julie Andrews à l'attention des enfants Jane et Michael alors qu'ils refusent d'aller au lit. Loin de se laisser manipuler par bien moins malins qu'elle, elle use d'un subterfuge dont elle seule a le secret : susurrer un air aux rythmes si dilatés qu'il plonge son auditeur dans un profond sommeil. Épuré à l’extrême, le sort fonctionne. Cette chanson est l'une des deux seules ayant les bonnes grâces de Pamela Travers !

I love to Laugh (C'Est Bon De Rire en VF) est un trio qui met en scène une crise de fou rire entre Bert et l'oncle Albert sous les remontrances de Mary Poppins. Assez farfelue dans son orchestration, elle simule à merveille la loufoquerie ambiante lors de cette invitation à prendre le thé que ne refuserait pas le Lièvre de Mars et le Chapelier Toqué. Allégorie d'un état d'ivresse, le rythme de la chanson est lancinant et l'interprétation inhibée. Elle retrace en outre l'ensemble des fous rires qui peuvent être entendus. Il s'agit ici pas moins d'un joyeux bazar !

A British Bank (Je Vis Et Mène Une Vie Aisée Reprise en VF) est une reprise de The Life I Lead. Opposant les points de vue de Mr Banks et ceux de Mary Poppins quant à l'éducation des enfants et les priorités à travers les prévalences d'une banque, la chanson accuse le patriarche de vouloir régler minutieusement tous les aspects qui régissent son quotidien, au regard consterné mais amusé de la gouvernante. Elle a d'important la première prise d'opposition nuancée de Mary Poppins face à son employeur.

La chanson suivante est à bien des égards la plus importante de l'ensemble de la bande originale. Feed the Birds (Tuppence a Bag) (Nourrir Les P'tits Oiseaux en VF) est, en effet, la pierre angulaire qui permet la réalisation du film. Son histoire est une véritable odyssée qui engendre la réussite générale de l’opus. Première de leurs chansons à être achevée pour l'occasion, les frères Sherman jouent la mélodie à Travers qui la trouve alors particulièrement réussie, bien qu'elle aurait voulu l'utilisation de la chanson traditionnelle « Greensleeves », plus adaptée, et qui correspond davantage à l'époque edwardienne à laquelle elle est si attachée. La voix de l'interprète, à savoir Richard Sherman, ne la convainc d’ailleurs pas tout à fait non plus et ce n’est seulement que lorsque celui-ci fait appel à une secrétaire pour une nouvelle interprétation que le sort en est jeté. Elle est en outre le titre favori de Walt Disney lui-même. Nostalgique et introspective, il la fait jouer par ses musiciens chaque fois que son moral est en berne. Elle a aussi d'original son thème très adulte et dénué de fantaisie, celui de la charité. Il s'agit en fait d'une habile parabole. A ce point de l'histoire, les enfants Banks se sentent lésés de l'amour de leurs parents et sont quelque peu traumatisés par l'attitude superficielle de leur père au sujet de l'argent. Mary Poppins chante donc cette chanson qui est la métaphore du souhait profond de Jane et Michael : l'amour est une chose qui devrait être accessible (tuppence a bag, pas cher le sac) et apporter du réconfort à qui le reçoit (la charité pour une vieille dame). Faisant ainsi de la dame aux oiseaux à la fois la personnification des sentiments des enfants vis à vis de Monsieur Banks, fragile et en plein désarroi, et l'antithèse des motivations capitalistes de ce dernier. Sans doute s'agit-il du chef-d’œuvre de la carrière des Sherman, par le mystère qui habite ces vers et son instrumentalisation douce-amère qui dépeint comme un songe la scène.

A contrario, Fidelity Fiduciary Bank (Deux Pences en VF), fait figure de calamité. Non pas par sa réalisation, ni même sa production, mais par son thème purement pécuniaire. Habillée de belles paroles, elle accuse la perfidie de l'institution qui manipule et incite la populace, incluant dans ce cas les enfants à l’égoïsme. Il s'agit aussi d'une confrontation directe de la jeunesse contre la maturité, du gain contre la philanthropie, qui gagne en impact en citant dans un de ses vers le désir de nourrir les oiseaux plutôt que d'investir ses économies.

Chim Chim Cher-ee (Chem Cheminée Reprise en VF) et l'un des trois grands thèmes musicaux du film. Il remporte par ailleurs l'oscar en 1964 de la meilleure chanson originale. Avec son caractère nostalgique et ternaire, qui repose sur une marche harmonique d'une grande poésie où l'accordéon vient émailler de touches populaires et citadines, il est une mélodie qui narre la chance généralement attribuée aux ramoneurs. Elle est inspirée du folklore anglais et d'une illustration de Don DaGradi, scénariste du film. Cette chanson est tellement réussie qu'elle devient le thème attitré de Bert. Il lui est décerné ainsi le rôle du ramoneur, alors que dans le script original, ce personnage est totalement indépendant. Écrite comme une valse, mais aussi empruntant à la tradition Yiddish, Chim Chim Cher-ee est une musique à la fois positive et nostalgique par ses accords amples et graves. Objectivement, les frères Sherman ont réalisé un véritable hymne à travers ce morceau. Accessible mais riche, la chanson s’avère familière à l'écoute même si elle est une première, comme une évidence. Du reste, cette troisième utilisation dans le long-métrage laisse entendre l'importance que ses compositeurs lui accordent. Par ses nuances mélodiques et son statut d’œuvre aisément identifiable, elle est également utilisée par Thomas Newman, comme thème central du film Dans l'Ombre de Mary - La Promesse de Walt Disney, ouvrant et concluant le récit.

Step In Time (Prenons Le Rythme en VF) est un pur morceau musical. Incroyablement long en comparaison du reste des compositions de la bande originale, son tempo est aussi le plus survolté, pour ne pas dire « faussement » confus. Indissociable de la scène qu'il illustre, à savoir la danse des ramoneurs sur les toits de Londres, elle renferme aussi quelques accords de A Spoonful of Sugar Helps the Medicine Go Down, et de The Life I Lead ; ce qui inconsciemment en fait l’œuvre la plus complète. Elle incorpore en effet les trois thèmes des personnages qui gravitent autour des enfants, comme une joute subliminale pour l'affection de Jane et Michael. La grande scène de ballet est ainsi émaillée d'interjections de vents et de percussions débordantes d'ingéniosité et d'originalité : c'est sans doute celle qui emprunte le plus au 60's. Ce n'est pas seulement un parcours du combattant pour les danseurs : l'orchestre y est très sollicité, avec des dissonances nombreuses qui épicent la musique, des glissandi de trombones, des aigus de trompettes, des cors groupés en unissons, des fusées de bois, des traits suraigus de cordes, des toms basses, le tout agrémenté de pastiches de danses folkloriques anglaises.

A Man Has Dream (Je Vis Et Mène Une Vie Aisée Reprise en Vf) est une conversation entre George Banks et Bert au sujet de Mary Poppins. A son tour totalement différente de la chanson qui la précède, ce dialogue très doux mais très accusateur envers la nourrice, accentue la désapprobation de Banks pour son employé. Il s'agit de la dernière variation de The Life I Lead. Là où la première apparition est pédante par nature car reflétant l'état d'esprit triomphant de Banks, cette reprise finale est chantée par un homme ayant la conviction d'avoir tout perdu : le tempo est donc lent et mélancolique malgré la présence de quelques accords de A Spoonful Of Sugar, insistant sur la présence de Mary Poppins, ne serait-ce que spirituelle.

Enfin, Let's Go Fly A Kite (Laissons-Le S'Envoler en vf) conclut la bande originale et appuie la fin du film. Bien que la notion de Mary Poppins glissant le long d'un cerf-volant est mentionnée dans l'un des livres de Travers, la réparation de celui-ci, qui est une métaphore de l'harmonie retrouvée au sein du foyer Banks, est avant tout un traitement supplémentaire du scénario en 1961 par les frères Sherman. La chanson est, en effet, inspirée par leur père, Al Sherman, qui en plus d'être un auteur-compositeur bien connu en son temps est aussi un fabricant de cerf-volant amateur qui en réalise pour les enfants du quartier comme un passe-temps de week-end. La référence est donc vive et particulièrement émouvante. La chanson a été écrite en 4/4 mesures, c'est à dire qu'elle contient un temps fort suivi de trois temps faibles. La conséquence de ce principe est que le temps fort d'une mesure à quatre temps se répète théoriquement tous les quatre temps (fort/faible/intermédiaire/faible). Cependant, Walt Disney estime qu'elle est trop similaire à un final de spectacle de Broadway et exige une chanson plus avant-gardiste dans son utilisation, à l'instar d'une valse. L’air est alors réécrit à sa demande dans un arrangement 3/4 mesures, c'est à dire fort/faible/faible, propre aux valses. Joyeuse mais apaisée, la nouvelle mouture est la parfaite retranscription d’une forme de délivrance. L'aura de cette chanson est si fort, en raison de sa présence en fin d’œuvre et du retour en grâce de M. Banks aux yeux de ses enfants, qu'elle subtilise une part de l'Histoire pour son propre intérêt. Contrairement à la réalité, les scénaristes du film Dans l'Ombre de Mary - La Promesse de Walt Disney ont décidé de lui attribuer les mérites de la capitulation de Pamela Travers et non plus par Feed the Birds (Tuppence a Bag).

Les 17 pistes musicales qui constituent la bande originale de Mary Poppins sont un véritable patrimoine qui dépasse l'héritage de Disney lui-même. Date marquante de l'Histoire du Cinéma, Mary Poppins est exactement le genre de cas qui va au-delà de toutes ses attentes pour se détacher de son carcan de simple film de divertissement, en devenant immédiatement culte. Une des raisons les plus évidentes de son extraordinaire aura est sans conteste sa bande-son, qui encore aujourd'hui, n'a rien perdu de sa splendeur. Les frères Sherman voulaient se surpasser ? Ils sont juste rentrés dans la postérité !

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