L'Étrange Noël de Zéro - Tome 01

L'Étrange Noël de Monsieur Jack

Cette fois-ci ce ne sont pas les aventures de Jack Skellington que le lecteur aura le plaisir de découvrir, mais celles de son fidèle compagnon Zero qui, tout comme le Roi des Citrouilles, se retrouve à passer la porte du monde de Noël ! Publiée à l'origine entre 2018 et 2020 sous la forme de comics par Tokyopop, cette petite série issue de la collaboration entre D.J. Milky et Kei Ishiyama venue commémorer les vingt-cinq ans de L'Étrange Noël de Monsieur Jack (1993) est ensuite proposée en intégrale au format manga aux États-Unis. Et c'est donc cette version que l'éditeur français nobi nobi ! a choisi d'adapter en France en 2021 dans le premier tome de L'Étrange Noël de Zéro.

D.J. Milky, de son vrai nom Stuart J. Levy, est le créateur et PDG de Tokyopop (1996) en plus de réaliser, diriger et écrire pour le monde de la bande dessinée, du cinéma et de la télévision. L'un de ses travaux les plus importants est l'édition aux États-Unis de Princess Aï, un manga créé par Courtney Love et Ai Yazawa (2004-2006, paru en France chez Soleil Manga). Il est aussi connu pour avoir écrit des romans pour enfants, tels que Sailor Moon - the Novel : A Scout is Born (1999). Chez Tokyopop, il a créé le label Disney Manga qui accueille des histoires de tous les héros Disney, des Princesses Disney à Stitch en passant par l'univers de Pirates des Caraïbes.

Kei Ishiyama est une mangaka japonaise célèbre pour avoir déjà collaboré avec Tokyopop sur la série Grimms Manga (2006-2007, publié en France chez Pika Édition) reprenant les contes de Grimm bien connus du public tels que Le Petit Chaperon Rouge, Raiponce, Hansel et Gretel, Blanche-Neige et Le Roi Grenouille ou Henri de Fer, entre autres. Entre 2018 et 2020, elle s'associe avec D.J. Milky pour raconter l'histoire du petit chien fantomatique : Zero.

Le présupposé de base de la série est plutôt simple et l'histoire en elle-même n'est pas de celles qui sont riches en rebondissements. La qualité du manga tient en réalité à la poésie du dessin et du récit. L'illustratrice a su enrichir le monde de Noël présenté dans L'Étrange Noël de Monsieur Jack avec une infinie douceur et délicatesse propre à la magie de cette fête, tout en conservant la dimension sombre typique de l'histoire de Tim Burton et Henry Selick, ainsi que l'humour grinçant véhiculé par les chenapans Am, Stram et Gram. Si le manga peut paraître enfantin, il y transparaît pourtant une réelle profondeur qui peut séduire tout les âges. De la même façon que dans une poésie, le lecteur se laisse porter par le rythme et la beauté des mots et se laisse guider par Zero, personnage muet, à la vision du monde insouciante qui glissant sur l'air, glisse tout autant sur les événements et les individus qu'il rencontre.

En ce sens, le jeu de D.J. Milky et Kei Ishiyama vis-à-vis de son corps fantomatique est intéressant. D'un côté et du point de vue du dessin, la transparence de Zero est très bien effectuée et agréable à observer dans le détail, d'un autre côté, Zero est capable d'interagir avec tous les objets et de manger et boire des mets semblables à ceux des chiens de chair et de sang. Pour les personnages de l'histoire par ailleurs, il est évident que Zero est un chien et son affiliation au monde d'Halloween est rapidement comprise du fait de son apparence. A contrario, si Zero peut manger et boire et semble pouvoir ressentir de la douleur lorsque quelqu'un entre en contact physique avec lui de façon agressive, il ne semble pas pouvoir être ébouillanté par exemple. Cependant, ce type d'incohérences légères ne dérange pas et permet de rendre certains événements plus innocents. En effet, les personnes interagissant avec Zero ne sont pas toutes bienveillantes et le petit chien rencontre de véritables dangers sur son chemin. Le lectorat retrouve d'ailleurs l'atmosphère de L'Étrange Noël de Monsieur Jack qui a plus d'un côté obscur et, sous des airs de film d'animation pour enfants, est l'un des films qui plaît le plus souvent aux adultes hermétiques à Disney.

L'un des points forts de la série est le développement des différents angles de vue des personnages, particulièrement concernant Zero, dont les raccourcis sont exceptionnellement bien réussis. Tout autant dans la vision de son visage au long nez terminé par une citrouille lumineuse que de son corps constitué d'un drap volubile, l'illustratrice parvient à réaliser de vrais tour de force qui à eux seuls justifient l'acquisition de ces livres par les amateurs du film et du personnage canin. De plus, étant donné que Zero est muet, il était capital de le représenter de toutes les façons possibles pour offrir de la variété à défaut de la parole, et de parvenir à illustrer ses expressions multiples de façon claire. Le manga n'est autrement pas exempt de texte et si Jack Skellington n'est pas très présent, Am, Stram et Gram occupent une place de choix. Grâce au talent de l'auteur, le lectorat prendra plaisir à partager un moment de la vie de ce personnage tant apprécié qui jusqu'alors n'était cantonné qu'à de brèves apparitions dans le long-métrage. Le texte de la série est d'ailleurs tout aussi réussi et indique de manière subtile les passages chantés, dont le rythme si similaire aux chansons du long-métrage permet en lisant de presque entendre les notes inconnues de ces chants inédits, relevant par là même toute la poésie de l'ouvrage.

L'histoire se divise en trois axes, celui de Zero (le principal), d'Am, Stram et Gram, et de Jack qui désespère de ne pas savoir où son chien est parti. Autant chaque rencontre avec les personnages du monde de Noël est bien développée et ceux-ci semblent avoir une existence propre, autant les individus du monde d'Halloween ne font que de brèves apparitions, comme Sally, ou sont malheureusement sous-développés, ce qui ne dérange pas outre mesure, mais diminue quelque peu la cohérence des éléments du récit. La faible présence de Sally peut en plus de cela décevoir, mais il faut noter qu'elle a un certain rôle dans l'intrigue et que l'histoire ne manque pas de personnages féminins.

L'une des directions les plus marquantes que prend le récit et qui ravira sans doute les lecteurs est celle de la nature de Zero. Si ce dernier est particulièrement touchant, c'est peut-être parce que grâce à son allure originale qui ne permet pas de le rattacher à une espèce bien définie, il semble incarner le chien que chaque humain, un jour, a pu perdre. Et ainsi, l'auteur aborde la douloureuse question de la perte d'un animal de compagnie et, sans offrir de réponse à toutes les questions qui gravitent autour du personnage Disney, il apporte un début d'explication concernant sa nature fantomatique et ce qu'elle implique. L'histoire se demande même si seuls les animaux spéciaux, voire magiques, ont ce nez allongé surmonté d'une sphère.

Cette petite série de mangas n'est pas sans rappeler, et le timing est étonnant, une autre série dérivée portant également sur un petit chien : celle d'Idéfix nommée Idéfix et les Irréductibles, une série d'animation créée par Charles Vaucelle et diffusée dès 2021 sur la plateforme Okoo puis sur France 4 avant de se voir déclinée en bande dessinée. Et le succès ne peut être qu'au rendez-vous, lorsque les personnages principaux sont des animaux aussi populaires que ceux issus de L'Étrange Noël de Monsieur Jack ou de la fameuse série de bande dessinée Astérix imaginée par Goscinny et Uderzo. Et pourquoi pas imaginer, à l'instar d'Idéfix, une série animée des aventures de Zero ?

Ce premier tome de L'Étrange Noël de Zero est un bijou de poésie qui ravira les grands comme les petits tant il donne la part belle à un personnage Disney bien-aimé à juste titre, le tout en offrant une continuité au film culte L'Étrange Noël de Monsieur Jack.