L'Herbe Repousse
Après le Tchernobyl Culturel !
L'article
Alors que
Disneyland Resort Paris fête actuellement en
grandes pompes (et tiroir-caisse plein) son quinzième anniversaire,
il n'est pas inintéressant de jeter un petit coup d'œil dans les
rétroviseurs pour se remémorer le climat d'avant-ouverture. Peu de
gens se rappellent, en effet, aujourd'hui, le front d'opposition qui
a accueilli alors la venue du royaume de
Mickey sur le sol français.
Conspué par une presse quasi-unanime à l'occasion de la signature à
l'Hôtel de Ville de Paris de la convention officialisant la
naissance du quatrième resort disneyen dans le monde, martyrisé lors
de l'introduction de l'action d'Euro Disney à la bourse de Paris
(les personnages Disney qui avaient fait spécialement le déplacement
sur le perron de lhonorable institution avait reçu une pluie d'œufs
lancée par des militants autant antilibéraux qu'antiaméricains),
l'annexe française de l'empire Disney naît dans une franche
hostilité.
L'intelligentsia de l'époque, qui, peu ou prou est la même
aujourd'hui, se retrouve alors autour d'une formule assassine :
Disneyland est un Tchernobyl culturel ! Les civilisations française et
européenne ont toutes entières capitulé devant l'ogre américain. Après la
«mal bouffe», le «mauvais loisir» envahit l'Europe. Et tant pis
si la même réflexion, aux relents nationalistes, n'a jamais été
formulée contre le parc Astérix ! Le petit gaulois est, lui,
curieusement plus respectable et ne va pas faire basculer tout un
peuple dans la niaiserie. Il vaut mieux, à l'évidence, inviter les français à
faire un tour en Gaule, fusse-t-elle en carton-pâte, que de les
convier dans un royaume faussement magique. Ainsi, les penseurs de
l'époque entretiennent une curieuse réflexion selon laquelle faire
une montagne russe au parc Astérix ne fait supporter aucun risque à
la culture française alors qu'embarquer dans une attraction
disneyenne marque la fin de l'intelligence ! Une chose est sure : la
bêtise préexiste visiblement au «Tchernobyl culturel»...
Quinze ans après, la culture française est-elle donc morte d'irradiation disneyenne ?
Déjà, il est aberrant de voir à quel
point les pourfendeurs de Walt Disney de l'époque ignorent alors la
passion de ce dernier pour la civilisation du vieux continent à
laquelle il n'a, pourtant, cessé de rendre hommage, au cours de sa
longue carrière. L'exposition du Grand
Palais menée à Paris en 2006 a, d'ailleurs, depuis
remis les pendules
à l'heure...
EuroDisney regorge, ainsi, dès son ouverture, de belles références à
l'Europe des cultures, et notamment dans sa partie consacrée aux
bambins, Fantasyland. L'ouvrage principal du parc est d'ailleurs le
château de
la Belle au Bois Dormant ! Mieux, sa silhouette reprend
celle du Mont Saint-Michel, pour appuyer un peu plus l'hommage aux
bâtisseurs français. Un autre « land » se voit, lui aussi, tout
entier dédié au génie hexagonal, en la personne de Jules Verne dont
une citation trône d'ailleurs au milieu de Discoveryland : « tout
ce qui est du domaine du possible doit et sera accompli ».
Les esprits chagrins pestent alors contre le sort réservé à la langue
de Molière dans l'enclave disneyenne. Entre les «Cast members », «Fast pass » et autres «Lands », le français
rend, pour eux, les armes, sur son propre
territoire, devant l'anglais nord-américain triomphant.
C'est aller un peu vite en besogne et douter à l'excès de la vigueur de
notre langue. La greffe imposée de barbarismes anglophones a souvent
été, en effet, victime d'un rejet radical : «It's a small world» recule
devant le non-officiel mais plébiscité «Maison des poupées», «Big
Thunder Mountain» succombe lui chaque jour au «Train de la mine»
sans oublier, toujours pour l'exemple, «Phantom Manor» mis à mal
par le «Manoir hanté». Il suffit, en réalité, de se promener dans
le parc pour voir – entendre serait plus correct – à quel point le
jargon disneyen est malmené. Mieux, de nouvelles attractions
subissent les foudres de la particularité française. L'imposante «Tour de la Terreur» a ainsi la coquetterie de plonger ses visiteurs
dans la quatrième dimension pour les francophones et la lumineuse
pour les anglophones !
Le bilan linguistique n'est pourtant pas toujours à la faveur de
Molière. Le nom du parc en est sans doute son plus retentissant
échec. EuroDisney, aux sonorités bien françaises, a,
il est vrai, du
plier bagage accusé d'être dénué de magie et difficilement
localisable.
Disneyland Paris a donc pris le relai pour
terminer finalement plus parisien que nature ! Le combat n'est donc
jamais perdu...
Disney n'est pas parvenu non plus à faire de ses visiteurs de parfaits « américains ». Mickey a même, pour ainsi dire, été victime du caractère gaulois des français, et tout aussi trempé des autres européens. Très vite, il s'est vu contraint de réintroduire l'alcool à ses menus tout en les variant à souhait, la recette «Hamburger-Frites» ne parvenant pas à satisfaire le vieux continent. Impossible aussi de discipliner les troupes ! Alors que les personnages déambulent tranquillement dans les parcs américains et voient se former devant eux spontanément des files d'attente aussi sages que respectueuses, le parc parisien organise lui tous les déplacements de ses stars « maison » en prenant mille précautions pour éviter la cohue des visiteurs. Point de retenue en Europe, les spectateurs sautent littéralement sur les "characters" et se battent presque pour obtenir une photo. De même, la parade fait l'objet d'une attention particulière en France où des employés sont spécialement chargés de faire la circulation, à grand renfort de cordes et sollicitations en tous genres, là où il est suffisant de tracer une simple ligne au sol dans les parc américains pour ne voir personne la traverser...
Le «Tchernobyl culturel» ne s'est donc pas produit. Disneyland s'est acculturé au climat parisien, et pas seulement pour les caprices du ciel. Il s'inscrit, chaque jour un peu plus, dans l'inconscient collectif de générations entières de français et d'européens et finira bien par avoir, enfin, une place de choix dans le patrimoine hexagonal. Avant cela, il faudra sans doute se débarrasser des pseudos gardiens du temple de la Culture française, toujours prompts à décider pour les autres ce qui peut s'en revendiquer et ce qui ne peut pas...