Le Conte de la Princesse Kaguya

Titre original :
Kaguyahime no Monogatari
Production :
Studio Ghibli
The Walt Disney Company Japan
Date de sortie Japon :
Le 23 novembre 2013
Genre :
Animation 2D
Réalisation :
Isao Takahata
Musique :
Joe Hisaishi
Durée :
137 minutes
Disponibilité(s) en France :

Le synopsis

Kaguya, "la princesse lumineuse", née d'un bambou et découverte par des paysans, devient très vite une magnifique jeune femme que les plus grands princes du pays convoitent : elle leur impose d’impossibles défis pour obtenir sa main...

La critique

rédigée par
Publiée le 13 juin 2014

Isao Takahata a toujours été le réalisateur le plus élitiste au sein du Studio Ghibli. Il le prouve une nouvelle fois avec son dernier long-métrage, Le Conte de la Princesse Kaguya. Non seulement la forme est déroutante, bien que d'une incomparable beauté, mais le fond est tout aussi difficile d'accès. Même s'il s'agit en apparence de son film le plus féérique, il est ampli de sa mélancolie habituelle qui se ressent jusqu'au rythme de son récit. Si le début mérite que le spectateur s'approprie l'univers, le film entre ensuite dans une routine où les longueurs sont légions pour se conclure par un final où l'émotion, les couleurs et la musique explosent dans un feu d'artifice grandiose. Le Conte de la Princesse Kaguya, certes déroutant à plus d'un titre, n'en reste pas moins d'une grande beauté.

Né en 1935, dernier d'une famille de sept enfants, Isao Takahata étudie à l'Université de Tokyo où il obtient un diplôme en littérature française. Il se rend compte bien vite des possibilités artistiques des films d'animation quand il découvre la première version du chef d'œuvre de Paul Grimault, Le Roi et l'Oiseau. Il entre alors directement dans la société Tôei où il apprend la mise en scène avec des séries télévisées notamment sur un épisode de Ken, l'Enfant Loup en 1964. Il a ainsi la chance d'intégrer cette maison de production au moment même où l'industrie commence à créer les premiers longs-métrages d'animation. Au sein du studio, il devient ainsi ami avec Hayao Miyazaki. Il réalise son premier film pour le cinéma en 1968 avec Horus, Prince du Soleil qui ne devient pas moins que la pierre angulaire de l'animation japonaise au cinéma prouvant qu'il est possible de faire des films à la fois pour enfants et pour adultes. Si Isao Takahata se concentre sur la réalisation et la mise en scène, c'est qu'au contraire d'Hayao Miyazaki, il ne dessine pas lui-même. Il se contente en effet d'esquisser le story-board. À partir de ce projet, les deux Maîtres japonais travaillent ensemble, sur des films comme sur des séries télévisées. En 1971, ils quittent, tous deux, la Tôei et partent sur d'autres projets. Le tandem semble avoir trouver son rythme de croisière : Isao Takahata réalise et Hayao Miyazaki dirige l'animation. Ils collaboreront ainsi entre autre sur la première série d'Edgar de la Cambriole (1972), les deux courts-métrages Panda Petit Panda (1972 / 1973), les séries Heidi (1974) et Anne, la Maison aux Pignons Verts (1979). Lors de la production de cette dernière, Hayao Miyazaki décide de partir pour réaliser sa propre série, Conan, Fils du Futur (1978) sur laquelle Isao Takahata vient lui prêter main forte sur certains épisodes. Il va ensuite travailler sur deux longs-métrages d'animation : Kié, la Petite Peste (1981) et Goshu, le Violoncelliste (1982). Hayao Miyazaki lui propose alors de devenir producteur de son prochain long-métrage, Nausicaä de la Vallée du Vent. Le succès du film sera ainsi à l'origine de la création du Studio Ghibli. Isao Takahata revient ensuite à la production pour le premier "vrai" long-métrage du label naissant, Le Château dans le Ciel. Il fait une escapade hors du studio pour réaliser son premier (et seul) film en prises de vues réelles, le documentaire L'Histoire du Canal de Yanagawa (1987) ; Hayao Miyazaki en étant d'ailleurs le producteur. Isao Takahata revient alors chez Ghibli pour réaliser son premier film d'animation pour le studio. Le Tombeau des Lucioles, en 1988, lui apporte ainsi la reconnaissance internationale, et marque une véritable avancée dans la qualité des longs-métrages d'animation. En 1991, il réalise un long-métrage intimiste et naturaliste Souvenirs Goutte à Goutte, puis signe le film écologiste Pompoko en 1994 et le film expérimental Mes Voisins les Yamada en 1999.

Le Conte de la Princesse Kaguya est une adaptation du conte populaire japonais, Le Conte du Coupeur de Bambous. Cette œuvre traditionnelle est considérée aujourd'hui comme le texte narratif japonais le plus ancien. Son récit est ainsi attribué à dame Murasaki Shikibu qui l'aurait rédigé entre 850 et 950 après JC. Il raconte la vie d'une fille mystérieuse appelée Kaguya découverte, bébé, dans la coupe d'une plante de bambou luisante. Elle dit venir de la capitale de la Lune et arbore des cheveux étranges « brillants comme l'or ». Le conte est si populaire au pays du soleil levant qu'il est normal de le voir utilisé dans les mangas ou l'animation japonaise. Il sert notamment de base au second film de la série animée Inu Yasha, dérivée du mange éponyme de Rumiko Takahashi, ou se retrouve encore dans le manga Sailor Moon de Naoko Takeuchi.

Isao Takahata s'est plongé très jeune dans le projet de son adaptation. Alors qu'il est tout frais embauché dans la société Tôei , il propose, en effet, déjà un synopsis de long-métrage en modifiant notamment le début du conte et racontant, entre autre, l'origine de la princesse Kaguya et la raison de sa présence sur Terre. Son idée, ni aucune de ses collègues, n'est finalement pas retenue et le film ne se fait pas. Mais le destin est en marche... Au milieu des années 2000, le Studio Ghibli insiste, il est vrai, pour voir Isao Takahata réaliser un nouvel opus, son dernier remontant à 1999 avec Mes Voisins les Yamada. Il se fait prier et met du temps à accepter puis se lance tranquillement dans sa réalisation. Mais la production n'avance pas et piétine notamment sur le story-board. Afin de faire accélérer le réalisateur, Ghibli annonce d'autorité une date de sortie simultanée avec son collègue, Hayao Miyazaki. Ainsi Le Conte de la Princesse Kaguya et Le Vent se Lève sont appelés à sortir le même jour reproduisant de la sorte la politique suivie en 1988 pour Le Tombeau des Lucioles et Mon Voisin Totoro. Les contraintes techniques en décideront autrement. Le film utilise, en effet, une technique d'animation si particulière qu'un nouveau studio, en dehors de ceux de Ghibli, se doit d'être construit. Malgré toute la bonne volonté mise de part et d'autre, Le Conte de la Princesse Kaguya n'est finalement pas prêt à temps pour une sortie simultanée avec le film de Miyazaki : il est alors repoussé du 20 juillet au 23 novembre 2013.

D'un point de vue récit, Le Conte de la Princesse Kaguya est un film typique du réalisateur où se retrouvent ses thématiques habituelles comme la nature et le temps qui passe. Et d'ailleurs, le spectateur ressent vraiment cette notion du temps. Le scénario s'étale, en effet, sur pas moins deux heures et dix-sept minutes, la durée la plus longue pour un film du Studio Ghibli ! Malgré sa qualité et la bonne volonté du public, le long-métrage souffre alors irrémédiablement de longueurs en particulier dans son milieu. Les anecdotes sur les cinq nobles, bien qu'amusantes et souvent drôles, sont ainsi trop longuement exposées, d'autant plus qu'ils apparaissent deux fois chacun. Fort heureusement, le début et la fin relancent l'intérêt pour l'ensemble. La jeunesse de la princesse est, il est vrai, touchante à souhait avec sa découverte de la nature et des gens autour d'elle. Le spectateur se rappellera ici Heidi, une œuvre de jeunesse du réalisateur devenue célèbre à la télévision française depuis sa première diffusion en 1978 sur TF1, alors chaine publique, dans l'émission Les Visiteurs de Noël. Une fois adulte, la princesse se retrouve emplie de mélancolie rappelant alors l'expérience vécue dans Souvenirs Goutte à Goutte. Pourtant, malgré cette ressemblance avec les œuvres précédentes du réalisateur, Le Conte de la Princesse Kaguya affiche un message plutôt unique dans sa filmographie. Si Hayao Miyazaki a perdu son optimisme dans son dernier film, Le Vent se Lève, Isao Takahata perd lui en pessimisme ! Il y a une féérie et une joie sous-jacente dans tout le long-métrage. Et surtout un amour incommensurable ! La fin est ainsi extraordinaire à plus d'un titre tant l'émotion déborde grâce à, et tout à la fois, son récit, son visuel et sa musique. Elle n'est d'ailleurs pas forcément celle qui est attendue par le public occidental ce qui l'a rend encore plus forte.

Toujours chez le réalisateur, mais dans son approche technique cette fois-ci, Le Conte de la Princesse Kaguya se rapproche également de Mes Voisins les Yamada. Il arbore, en effet, comme lui une animation particulière. Très minimaliste, cette dernière s'inscrit dans le style de l'imagerie d'estampes japonaises. D'une grâce et d'une beauté incroyable avec ses couleurs pastelles, le film est alors un ravissement de tous les instants ; la palme revenant à la fuite du palais, où les traits deviennent presque suggérés soulignant juste la vitesse de la protagoniste. Les plus fans remarqueront d'ailleurs que les studios Disney se sont, eux aussi, déjà essayés à cet art, mais durant quelques secondes seulement, dans une scène de la chanson de L'Air du Vent au sein de Pocahontas, une Légende Indienne. Toutefois, et malgré sa grande beauté, il doit être dit que le style est ici suffisamment inhabituel pour exiger du spectateur un vrai temps d'adaptation, plus encore s'il est un habitué des productions animées occidentales.

Le Conte de la Princesse Kaguya regorge de tellement de personnages qu'il est difficile de tous les énumérer.
La Princesse Kaguya, rôle central, est définitivement ultra-attachante. Pleine de fraicheur et de spontanéité, elle découvre la vie, la nature et les gens de façon enthousiaste, avec une candeur touchante... Pourtant, en grandissant, surprotégée et éduquée, elle va peu à peu s'éloigner de son désir profond, devenant alors plus distante et plus mélancolique. Elle n'en reste pas moins vive d'esprit et malicieuse : la façon dont elle tend un piège aux cinq notables ou à sa gouvernante en dit long sur ses capacités…
Kaguya est élevée par un vieux couple de paysans sans enfant. C'est le vieil homme, humble coupeur de bambou de son état, qui trouve la jeune fille dans une pousse et la confie ensuite à sa femme. Le couple est ainsi heureux de pouvoir recueillir un bébé tant désiré et lui apporte tout l'amour nécessaire. Malheureusement, le père va mal saisir les intentions des dieux vis à vis du destin de sa jeune fille. Il va ainsi la cloitrer dans une palace pour lui inculquer les bonnes manières alors que cette dernière ne cherchait qu'à vivre dans la nature avec les gens qu'elle aime et dans l'idée d'y trouver un bonheur simple. Même s'il est persuadé d'agir pour le bien de la jeune fille, il va en réalité lui fournir une éducation qui va la faner peu à peu. Heureusement, Kaguya trouve toujours soutien et réconfort auprès de sa mère adoptive...
Elle fait également de nombreuses rencontres durant sa jeunesse et notamment le jeune Sutemaru qui va, un temps, la protéger avant que la vie ne les sépare, contre leurs volontés.

Coté bande-son, Le Conte de la Princesse Kaguya dispose d'une musique tout simplement magnifique. C'est d'ailleurs la toute première fois qu'Isao Takahata travaille avec Joe Hisaishi. Si ce dernier est le compositeur officiel d'Hayao Miyazaki, ayant œuvré sur quasiment tous ses films, il n'a, en effet, jamais collaborer avec le réalisateur de Pompoko. Il donne ici beaucoup d'ampleur au récit venu de ce conte typiquement japonais. Parmi la partition, le spectateur gardera à coups sûr en tête le final dont le morceau est autant grandiose qu'hallucinant. La musique donne, il est vrai, une force irréelle à la séquence ! D'une majesté totale et d'une joie incroyable, elle voyage aux antipodes de l'émotion restituée dans la scène. Du grand art !

Genèse laborieuse et enveloppe exigeante aidantes, l'histoire, niveau recettes, se répète. Comme en 1988, le film de Takahata rapporte moins que celui de Miyazaki. Avec un budget largement dépassé de 50 millions de dollars, Le Conte de la Princesse Kaguya n'en engrange, en effet, que 22. Comparé au (Le) Vent se Lève et ses 130 millions de dollars de recettes (devenant le premier film de 2013 sur le marché nippon) à rapprocher de ses 30 millions de budget, il est clairement un échec commercial. Il devrait ainsi être le dernier film du réalisateur - âgé de 78 ans - même s'il ne l'annonce pas. Sachant qu'il a mis quatorze ans entre les deux derniers, il parait, il est vrai, peu probable qu'il en réalise un autre. A l'été 2014, le fameux studio nippon va d'ailleurs tenter de tourner une page en sortant un film réalisé par aucun de ses deux fondateurs, Hayao Miyazaki et Isao Takahata, le premier en retraite, l'autre tout comme. S'il ne fonctionne pas, le Studio Ghibli rentrera alors de plein pied dans la délicate période de la succession, connue par tout grand studio bâti sur des personnalités fortes...

Les films d'Isao Takahata ont toujours été exigeants. Le Conte de la Princesse Kaguya ne déroge pas à la règle. Avec son animation inhabituelle, son folklore japonais très prononcé, son récit exigeant, son rythme en dents de scie s'étirant en longueur, il est difficile d'accès pour le grand public. Il ne saurait pourtant être négligé tant son visuel est de toute beauté, son introduction magique et sa fin grandiose. La beauté se mérite !

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