The Lighthouse
L'affiche du film
Titre original :
The Lighthouse
Production :
New Regency Productions
Date de sortie USA :
1er novembre 2019
Distribution :
A24
Genre :
Drame
Réalisation :
Robert Eggers
Musique :
Mark Korven
Durée :
109 minutes

Le synopsis

1890, Ephraim Winslow et Thomas Wake, deux gardiens de phare, prennent pour plusieurs semaines leur service sur un rocher isolé en pleine mer...

La critique

rédigée par
Publiée le 27 janvier 2020

Avec The Lighthouse, Robert Eggers signe son deuxième long-métrage et montre qu’il est sans conteste un réalisateur à suivre pour tous les amoureux du cinéma de genre. Son film est, en effet, une plongée glaciale dans la folie, la solitude et l’horreur innommable. Un huis-clos angoissant, splendide dans la forme et riche dans le fond, qui dérange autant qu’il séduit.

The VVitch, premier film de Robert Eggers, réinventait en 2015 le mythe de la sorcière en lui conférant la place horrifique qu’elle avait au XVIIème siècle alors qu’elle terrorise une famille puritaine qui habite près d’une forêt en Nouvelle-Angleterre. Avec The Lighthouse (produit en partie par New Regency Productions, qui appartient à 20% à The Walt Disney Company), il se réapproprie cette fois-ci plusieurs mythes issus des légendes marines, de la sirène à Neptune, tout en étant un hommage appuyé à l’œuvre horrifique de l’écrivain H.P. Lovecraft et son bestiaire de monstres effrayants. Le cinéaste dépeint ainsi le quotidien de deux gardiens d’un phare majestueux isolé sur un rocher lugubre perdu en mer qui doivent apprendre à cohabiter malgré leur caractère, tout en étant témoins d’événements inexplicables qui questionnent aussi bien leur santé mentale que leur propre existence…

La première force de The Lighthouse est assurément sa forme stylisée qui happe le spectateur dès les premières images. Robert Eggers opte ici pour un format presque carré 1.20 et un noir-et-blanc épuré sans aucune couleur. Ces choix, loin d’être des effets prétentieux, ajoutent à l’expérience marquante et enrichissent considérablement le film. Le ratio de l’image emprisonne, en effet, les personnages dans une boite dont ils ne peuvent s’échapper. Véritable manifestation de l’angoisse qu’ils vivent, il est impossible pour eux de se cacher dans un recoin du cadre pour échapper à la folie. Ils sont visibles constamment, à la merci d’eux-mêmes ou de ce qui est dissimulé dans le brouillard ; le public devenant lui un témoin malheureux et impuissant, obligé de détourner le regard s’il ne veut pas assister aux tourments des gardiens. Car si les personnages ne peuvent se cacher dans l’image, le spectateur ne peut non plus se contenter de regarder des détails. L’absence de couleur en rajoute d'ailleurs à l'expérience, elle qui permet de confondre le jour de la nuit, le blanc du noir ou du gris. La photographie, enfin, n’en est que plus belle et joue un rôle primordial dans la construction du récit. Car qui dit phare dit lumière, et la lumière peut s'avérer être aussi inquiétante et dangereuse que l'obscurité...

La réalisation de Robert Eggers est ainsi remarquable en ce qu'elle propose une mise en scène efficace grâce à un travail sur les plans des plus minutieux. Chaque scène, chaque séquence, est construite méticuleusement et sert le propos du film, qui s’appuie autant sur le texte que sur la force de l’imagerie pour faire avancer le récit. La nature joue quant à elle un rôle tout aussi important, du point de vue sonore ou visuel. Brouillard, vent violent, orages et tempêtes sont le quotidien des infortunés gardiens de phare. À ce titre, l’omniprésence des éléments rappelle le travail du réalisateur japonais Akira Kurosawa, qui composait ses cadres en utilisant régulièrement leur puissance. Le montage du film participe enfin à l’ambiance unique qui s’en dégage. Le rythme ne respecte aucune logique, offrant des moments de répit alors que l’urgence se fait sentir et des précipitations nerveuses sans raison quand l’accalmie pointe le bout de son nez. Tout le travail technique et artistique de The Lighthouse a deux objectifs : le premier est de plonger le public dans un gouffre sans fin de folie pure. Le second est de donner aux deux rôles principaux une vitrine brillante qu’ils peuvent exploiter.

Pour faire vivre The Lighthouse, Robert Eggers s’appuie sur deux acteurs de grand talent, qui occupent, seuls, toute la scène : William Dafoe (Spider-Man, Togo : The Untold True Story) et Robert Pattinson (la saga Twilight, De l’Eau Pour les Éléphants). Le premier incarne un gardien de phare désabusé, expérimenté et bourru, tandis que le second débute dans le métier, y cherchant désespérément un nouveau départ frais. Les deux comédiens crèvent l’écran et sont tout simplement exceptionnels. Mués par la folie qui atteint peu à peu leur être, ils habitent pleinement leurs rôles et sont tour à tour effrayants, drôles, ou émouvants. Aidés par le contraste fort qu’offre le noir-et-blanc, ils s’en donnent à cœur joie à chaque minute, fascinent avec leurs expressions faciales et captivent avec leur regard pénétrant. Ils disposent en plus, tous deux, d’un monologue fort habilement écrit à un moment du film, qui leur permet de briller encore plus. William Dafoe sait se servir du timbre de sa voix profonde pour hypnotiser quiconque l’écoute, quand Robert Pattinson prouve avec cette interprétation qu’il était bien trop talentueux pour se farcir seulement des rôles pour midinettes. Les échanges entre les deux sont poignants, parfois doux, parfois explosifs, et la complicité qui naît entre les comédiens est flagrante. Ils tombent dans une partie de tennis où chacun renvoie la balle à l’autre pour lui permettre de s’élever un peu plus. Du grand art !

The Lighthouse dispose d'un postulat de départ fort simple : deux hommes en charge de garder un phare s’attèlent à diverses taches d’entretien. Mais le film va bien plus loin que cela avec le rapport à la solitude du point de vue de ces gardiens. Cette solitude, à laquelle s’ajoute la cohabitation forcée entre les deux, plante les graines de la folie qui va par la suite caractériser tout le long-métrage. The Lighthouse devient une sorte d’Alice au Pays des Merveilles de l'horreur, où plus rien n’a de sens et où il est impossible de distinguer le vrai du faux, les rêves de la réalité, les mensonges des vérités. Cette excursion dans la folie provoque un sentiment de malaise particulièrement fort, et c’est peu de dire que The Lighthouse ne conviendra pas à tous les publics. Pour apprécier pleinement la saveur du film, il faut donc être prêt à se laisser emporter dans une fable onirique dénuée de logique qui déstabilise. C’est d’autant plus vrai que Robert Eggers ne manque pas de s’approprier des mythes ancestraux, comme celui de la sirène, qui hypnotise les marins pour les noyer. Avec cette touche de fantastique en plus (mais encore une fois, est-ce vrai ou faux ?), ce qui restait de terre-à-terre disparaît définitivement. La progression vers l’angoisse absolue se fait par petites touches. Scène après scène, les éléments deviennent étranges pour arriver à un paroxysme d’aliénation dans un final dérangeant et glacial.

Une autre inspiration importante de The Lighthouse réside assurément dans les écrits d’Howard Phillips Lovecraft, auteur américain du XXème siècle connu notamment pour le mythe de Cthulhu, monstre marin gigantesque endormi au fond des océans. Une des forces de Lovecraft est de terroriser ses lecteurs avec la seule force de l’imagination et de la suggestion. Les personnages de ses écrits prennent, en effet, connaissance de l’existence de forces incommensurables qui attendent leurs heures, au fond des mers ou dans l’espace infini et en deviennent fous. The Lighthouse est un hommage flagrant à l’auteur, où les protagonistes se questionnent sur ce qu’il y a dans les eaux et ailleurs, au point d’en perdre, peut-être, la raison. Tout le film crie donc l’amour de son scénariste pour les légendes maritimes, les superstitions, pour la vie des marins et pour tous ceux ayant eu le courage de braver les eaux. Robert Eggers, avec son deuxième film seulement, adopte une posture originale, qui sort des sentiers battus pour livrer une vision unique, maîtrisée de A à Z et qui tranche avec la prévisibilité de nombreux films d’horreur des dernières années, faits à base de jump scare et de mise en scène impersonnelle. Un choix drastique qui confère naturellement au long-métrage un côté confidentiel et difficile d'accès mais fait preuve d’une volonté artistique salvatrice. The Lighthouse, même s’il aura du mal à trouver un public et malgré une sélection au Festival de Cannes dans La Quinzaine des Réalisateurs 2019, sera chéri par une poignée de spectateurs qui sauront apprécier son style à nul autre pareil et son propos, tout en se trouvant mal à l'aise lors de son visionnage ! Un équilibre bien particulier, atteint avec panache. 

Ce qu'il entreprend, The Lighthouse le réussit. Le film assume pleinement son postulat, sa direction artistique, sa progression et ses thèmes. Il n'en reste pas moins qu'il est particulièrement éprouvant pour les spectateurs, qui ne passent pas un moment tranquille, voire même, passent un moment rude, bien loin du simple « divertissement » ! Tout est un peu sale, un peu malsain. De ce fait, The Lighthouse ne deviendra pas un film douillet à regarder régulièrement. Il se subit pleinement une première fois, et la sauce prend ou ne prend pas. Réservé à une tranche quelque peu masochiste de cinéphiles, il hypnotise comme il séduit. Cet aspect-là, peu courant au cinéma, est une preuve de plus que Robert Eggers est un jeune réalisateur à suivre pour quiconque aime ce genre de proposition. D'ailleurs, ses projets en cours sont des plus excitants : un film sur la chevalerie, un sur les vikings et une nouvelle version de Nosferatu, chef-d'œuvre de Friedrich Wilhelm Murnau de 1922 et ambassadeur de l'expressionnisme allemand. Trois propositions en raccord complet avec The Lighthouse (et The VVitch) : prendre des figures simples ou connues pour en faire quelque chose de totalement nouveau et personnel.

Aussi glauque que majestueux, The Lighthouse est un film d'auteur dans sa définition la plus pure et la plus belle. Une invitation au non-sens infini, tenue par deux acteurs au sommet et une technique irréprochable.
À voir... mais à ses risques et périls.

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