La Mouche
L'affiche du film
Titre original :
The Fly
Production :
Brooksfilms
SLM Production Group
Date de sortie USA :
Le 15 août 1986
Distribution :
20th Century Fox
Genre :
Horreur
Réalisation :
David Cronenberg
Musique :
Howard Shore
Durée :
96 minutes
Disponibilité(s) en France :

Le synopsis

Alors que le scientifique Seth Brundle travaille sur une machine à téléportation, il teste sa création sans réaliser qu’une mouche s’est glissée dans la cabine avec lui...

La critique

rédigée par
Publiée le 03 mai 2020

Avec La Mouche, David Cronenberg confirme son statut de réalisateur aussi talentueux qu’effrayant en livrant un long-métrage anxiogène, surprenant, et qui fait montre d’une maîtrise cinématographique incroyable. Un film qui ne laisse pas indifférent !

David Cronenberg est un cinéaste reconnu au style bien marqué, sulfureux, souvent controversé. Né en 1943 au Canada, il signe plus d’une vingtaine de films dont Vidéodrome en 1983, Dead Zone en 1986, Faux-Semblants en 1988, eXistenZ en 1999, A History of Violence en 2005, Les Promesses de l’Ombre en 2007 ou encore Maps to the Stars en 2014. Ses œuvres mettent en lumière des hommes et des femmes en proie au doute, au questionnement, sur eux-mêmes ou sur leur vie, qui va souvent conduire à une métamorphose, qu’elle soit physique ou mentale. Le thème de la transformation est ainsi prédominant chez David Cronenberg, qui offre une place non négligeable au corps humain dans sa filmographie, souvent de façon déformée en plus de s’intéresser aux phobies et à la psychanalyse (il met d’ailleurs en scène Freud sous les traits de Viggo Mortensen dans A Dangerous Method en 2011). La Mouche, sorti en 1986, est alors un condensé de toutes ses thématiques, un regard sans filtre sur la condition humaine quand l’homme cherche à trop vouloir se dépasser et se brûle les ailes, tel Icare.

À l’origine de La Mouche, se retrouvent le producteur Kip Ohman et le scénariste Charles Edward Pogue, désireux de faire le remake d’un film de 1958, réalisé par Kurt Neumann avec notamment Vincent Price, La Mouche Noire. 20th Century Fox, propriétaire des droits, accepte alors le projet à condition que les deux hommes s’entourent également d’autres studios prêts à financer le film. Le producteur Mel Brooks, avec sa société de production Brooksfilms, entre ainsi en jeu. Plusieurs réalisateurs sont approchés, dont Tim Burton un temps, alors engagé chez Disney, et David Cronenberg, qui refuse étant déjà à l’œuvre sur un autre film. Le jeune réalisateur Robert Bierman est pressenti un temps pour réaliser le film mais à la suite d’un drame familial et de plusieurs mois d’incertitude, il se retire finalement. David Cronenberg, libre, accepte finalement de revenir sur le projet s’il peut modifier en profondeur le script. Les producteurs donnent leur feu vert, si bien que Cronenberg recentre son histoire autour de ce qu’il veut raconter et accentue le tout sur la plongée inéluctable et dramatique dans le chaos d’un homme, à travers une transformation hideuse.

La Mouche commence ainsi avec un postulat de départ très simple : un scientifique est en phase de créer la première machine à téléportation du monde. À ses côtés, une jeune journaliste suit étape par étape les avancées du projet et bien vite, une relation amoureuse naît entre les deux. Le scientifique Seth Brundle touche quasiment au but et décide, à la suite de péripéties malencontreuses, de tester sa création lui-même, confiant du résultat. Mais alors qu’il entre dans la cabine, il ne réalise pas qu’une petite mouche se glisse également à l’intérieur, causant non pas une téléportation de l’homme d'une cabine à une autre, mais une fusion du savant et de l’insecte. Le changement peut commencer, et le film abandonne alors son aspect science-fiction pour tomber dans l’horreur absolue au fur et à mesure. Il vient finalement prendre le contre-pied de ces opus où les personnages, après un accident malheureux, deviennent quelque chose de mieux, atteignent leur potentiel caché, où même, dans le cas des films Marvel par exemple, mettent à profit ces nouvelles capacités au service du bien. Mais si l'expérience tourne mal, qu'est ce que cela donne ?

Avec La Mouche, David Cronenberg s’approprie plusieurs thématiques et genres pour en faire quelque chose de nouveau. Le long-métrage est autant un film de science-fiction qu’un film d’horreur ou qu'un film de monstre dans la plus pure tradition du terme. Il est ainsi possible de voir le long-métrage comme une réinterprétation très moderne du mythe du Docteur Frankestein. Un savant un peu introverti cherche à dépasser les limites de la science, avant que sa création ne se retourne contre lui. Même les décors font penser à un vieux film Hammer. L’appartement du scientifique est froid, les murs sont gris, délabrés, comme s’il s’agissait d’un château ou manoir ancestral, propice aux expérimentations menées en pleine nuit. Mais le réalisateur ne se contente pas de l’hommage. Il transcende tous ces genres pour offrir un film très personnel, qui questionne la place de l’homme dans un monde où la technologie va parfois trop vite et où il est légitime de se demander si tous les progrès sont bons.

Dès lors, La Mouche n’est pas qu’un simple film d’horreur de série B. Ce constat flatteur provient à l'évidence de la radicalité du réalisateur, qui prend manifestement son film très au sérieux. Ce premier degré empêche donc et dès le début le spectateur de rire de la situation. La Mouche, dans d’autres mains, aurait pu tomber bien vite dans le nanar grotesque ou ridicule. Mais David Cronenberg utilise son sens méticuleux de la mise en scène et de la narration pour que le film gagne ses lettres de noblesses. Tout d’abord techniquement, puisque La Mouche est finement réalisée. Une réalisation sobre, sans artifice pour cacher une quelconque misère ou pauvreté de l’histoire. Tout est solide du début à la fin. David Cronenberg prend donc le luxe de montrer ce qu’il souhaite, ou au contraire, d’omettre volontairement certains éléments qui viendraient alourdir le récit inutilement. Ainsi, quand la tendresse doit laisser place à l’horreur, le metteur en scène le montre. La transformation hideuse de son personnage principal, il la dépeint également, couche par couche, petit à petit. Enfin, il évite de tomber dans la surenchère ou l’exagération gratuite, pour que l'opus garde toujours son côté réaliste, malgré la folie qui en ressort dans son dernier acte. L'ensemble, malgré un postulat quasi-loufoque, est ainsi douloureusement crédible, du début à la fin.

De plus, le cinéaste, et c’est là le second point qui fait de son film un grand film, sait prendre son temps dans la première partie notamment, pour présenter ses personnages et le contexte général. La Mouche est donc solide narrativement parlant. Un atout qui manque d'habitude cruellement aux films de monstres ou d’épouvantes. Les personnages ne sont pas là pour être sacrifiés aux dépens de l’horreur. Ils ne sont pas là non plus pour vivre le temps que le film atteigne son deuxième acte ou pour n’être que des archétypes mal définis. L'œuvre est courte mais va à l’essentiel et reste focalisée sur deux personnages seulement, et un second rôle plus en retrait. David Cronenberg laisse ainsi parler ses acteurs, instaurant une véritable alchimie entre le scientifique Seth Brundle et la journaliste Veronica Quaife grâce à plusieurs scènes simples, émouvantes ou romantiques. Il permet alors au spectateur de s’attacher à ce couple, et la spirale infernale qui en suit n’en est que plus terrible.

Naturellement, le deuxième acte du film est absolument terrifiant et passionnant à suivre. La descente aux enfers de Seth Brundle est aussi marquante qu’attendue, mais le rendu à l’écran est tout simplement bluffant. Car si la transformation est attendue, l’exécution n’en est pas moins surprenante plusieurs fois. De nombreuses scènes étonnent et viennent choquer d’un coup sans que le spectateur ne l’anticipe. Le chemin de croix de Seth est dès lors un long parcours douloureux aussi bien physiquement que psychologiquement. Le spectateur, qui s’identifie désormais à Veronica, assiste impuissant aux changements brutaux d’humeur du scientifique et aux transformations corporelles détonantes. Les scènes où la jeune femme retourne dans l’appartement de son amant sont angoissantes et anxiogènes au possible. Elle ne sait pas ce qu’elle va y trouver, sa seule certitude étant que cela sera pire que la fois d’avant. C’est véritablement dans cette seconde partie du film que David Cronenberg laisse exploser tout son talent et que son cinéma bien particulier se manifeste et se caractérise. Le film est souvent traumatisant, et peut laisser de côté de nombreuses personnes. Mais pour les amateurs du genre, La Mouche ne vole pas son statut de film culte !

Qui dit film de monstre dit monstre en bonne et due forme. Et en sa qualité d'œuvre des années 80, La Mouche peut compter sur tout le talent des prothésistes et maquilleurs de l’époque pour offrir une créature criante de réalisme, hideuse et mémorable. Chris Walas (accompagné de Stephan Dupuis) est alors en charge de définir les différentes apparences de cet homme hybride, ou « Brundlefly » (Brundlemouche) comme se surnomme le personnage lui-même. Chris Walas, en tant que créateur d’effets spéciaux et artiste maquilleur, a travaillé dans sa carrière sur E.T., L’Extraterrestre, Les Aventuriers de l'Arche Perdue, Le Dragon du Lac de Feu, Star Wars : Le Retour du Jedi ou encore Gremlins (il conçoit l’apparence des petites bêtes). Avec La Mouche, la transformation s'exécute en sept étapes, toutes plus terrifiantes les unes que les autres. Ce changement aussi progressif visuellement est une idée absolument géniale, et rajoute au film une pression qui monte lentement au fur et à mesure. Ce choix d’y aller couche par couche était primordial pour David Cronenberg, qui ne voulait pas d’un monstre tout fait juste après la téléportation ratée. Le travail de Chris Walas est ainsi admirable, et des décennies après, continue de convaincre et d’effrayer. La meilleure façon d’en attester, et de découvrir son travail sans avoir vu auparavant le rendu visuel du personnage et se laisser surprendre petit à petit, alors que l’histoire avance dangereusement vers un point de non-retour. Ce travail titanesque est d’ailleurs assez logiquement récompensé par l’Oscar du meilleur maquillage en 1987.

Pour interpréter le rôle de Seth Brundle, David Cronenberg choisit Jeff Goldblum (Powder, Thor : Ragnarok, Le Monde Selon Jeff Goldblum). L’acteur américain trouve là son premier grand rôle, sept ans avant de marquer durablement les esprit grâce à Jurassic Park de Steven Spielberg en 1993. Il est indéniable que La Mouche n’aurait pas su emporter autant sans sa prestation mémorable. Une prestation qui, à l’image du film, peut se scinder en deux parties. Une première, où il n’est « que » le scientifique Seth Brundle, un peu charmeur, mais tout de même solitaire et peu sûr de lui. Dès les premières minutes, Jeff Goldblum épate, avec son regard hypnotisant et son élocution si significative. Quand arrive la seconde partie, il impressionne encore plus, déjà par sa condition physique, et surtout par toute l’émotion ou la peur qu’il arrive à faire passer simplement dans son regard et son ton, sous des tonnes de maquillages pourtant paralysants (et qui lui demandent chaque jour plusieurs heures de préparation). Sans doute l'une des meilleures prestations du comédien, si ce n’est, malgré son immense carrière, sa meilleure !

Geena Davis pour sa part, incarne une journaliste qui assiste impuissante au triste sort de con compagnon. Si son rôle peut paraître moins important que celui de Jeff Goldblum, c’est néanmoins bien à elle que le spectateur s’identifie ; elle qui entre dans ce monde étrange et découvre le scientifique un peu fou, en même temps que le public. Ce qui est le plus flagrant est alors de voir à quel point les deux comédiens fonctionnent bien ensemble à l’écran, avec une alchimie palpable. Et pour cause, ils reproduisent dans le film ce qu’ils vivent en dehors des plateaux, étant ensemble à ce moment-là. À coté du couple principal, La Mouche est en revanche particulièrement avare en personnages secondaires. Il n’y en a en réalité qu’un seul d'un peu présent, le patron et ex-compagnon de Veronica, interprété par John Getz, qui essaye de lui apporter à sa manière un peu de soutien et de réconfort, bien que totalement intéressé dès le début du film.

Si la transformation du personnage principal est forcément un spectacle hypnotisant, La Mouche regorge de trouvailles visuelles. Il y a un soin apporté à tous les éléments du film, qu’ils soient symboliques ou non. Ainsi, l’appartement de Seth se dégrade en même temps que son corps. Tout comme son apparence vestimentaire, si propre au début, qui change au fur et à mesure que sa personnalité évolue. La photographie, un peu terne, fait ainsi la part belle aux tons gris et ajoute à cette ambiance à la fois futuriste et angoissante. Enfin, la musique écrite par Howard Shore, le fabuleux compositeur de la trilogie du (Le) Seigneur des Anneaux ou d'Ed Wood, est à l’image de l'ensemble, déstabilisante. La marque de fabrique du musicien se retrouve grâce à ses envolées lyriques et ses symphonies riches et puissantes. Mais il sait aussi laisser une part très importante au silence. Un silence qui fait monter graduellement la tension, la peur et l’angoisse, qui caractérisent complètement le film.

La Mouche, à sa sortie, est un succès critique et public. Jeff Goldblum est particulièrement salué, malgré une absence de nomination aux Oscars pour sa performance. Le film, pour un budget initial de 9 à 15 millions de dollars, en rapporte plus de 60 millions et devient, de facto, le plus gros succès de la carrière de David Cronenberg. Un succès qui offre une suite, avec La Mouche 2, réalisé par Chris Walas, lui-même en charge des maquillages sur le premier long-métrage. Le succès n’est, cette fois-ci, pas au rendez-vous et sans la maîtrise millimétrée de Cronenberg derrière la caméra, l'ensemble est reçu froidement et n'atteint pas le statut de son aîné. Vers la fin des années 2000, David Cronenberg propose néanmoins à 20th Century Fox l’idée d’une suite qui serait, selon lui, une suite sans en être une, approfondissant les thèmes du premier film. Le projet, malgré l’écriture d’un script, n’avance pas plus et tombe peu à peu à l'eau dans les années 2010, sûrement à cause de problèmes budgétaires. Mais le réalisateur affirme être satisfait de son scénario, n'étant donc pas réticent à l'idée de retourner dans l'univers de La Mouche.

La Mouche est une œuvre fascinante. Véritable catalyseur de la filmographie de David Cronenberg, le film contient tous les thèmes chers au cinéaste et plonge le spectateur dans une virée angoissante, portée par un excellent duo d'acteur. Dire que La Mouche fait mouche serait sans aucun doute un bien mauvais jeu de mots... Mais c'est pourtant le cas !

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