Titre original :
West Side Story
Production :
20th Century Studios
Amblin Entertainment
TSG Entertainment
Date de sortie USA :
Le 10 décembre 2021
Genre :
Comédie musicale
IMAX
Réalisation :
Steven Spielberg
Musique :
Stephen Sondheim
Leonard Bernstein
David Newman
Durée :
157 minutes
Disponibilité(s) en France :

Le synopsis

Dans les années 50 à New York, dans le quartier de Upper West Side, deux bandes de jeunes s'affrontent avec d'un côté les Sharks, d'origine portoricaine et dirigés par Bernardo, et de l'autre les Jets, des caucasiens avec Riff à leur tête. L'impensable se produit quand Tony, un ancien Jet, et María, la sœur de Bernardo, tombent amoureux...

La critique

rédigée par
Publiée le 18 décembre 2021

Avec West Side Story, Steven Spielberg décide à 74 ans de proposer une adaptation personnelle du musical qui le hante depuis des années et dont sa passion remonte à l'enfance. Il s'agit pour lui d'une première puisqu'il n'avait jamais encore abordé le genre des comédies musicales, dans une carrière pourtant déjà remplie de nombreux chefs-d'œuvre. En choisissant de mettre en scène une nouvelle version du spectacle de Stephen Sondheim et de Leonard Bernstein, il prend alors le risque de la voir comparée à l'adaptation filmique de 1961 considérée depuis comme un classique du cinéma. Le réalisateur n'a pourtant plus besoin de prouver son talent même si, pour lui, la réussite d'un tel projet s'apparentait à une gageure. Et pourtant... West Side Story relève du miracle ! Steven Spielberg arrive, il est vrai, de façon à peine croyable à égaler voire surpasser le long-métrage de Robert Wise. À la fois nostalgique de l'ancien Hollywood tout en étant foncièrement moderne dans son propos, son film est alors romantique à souhait. Il est aussi davantage dramatique et bien plus vibrant que l'original grâce à ses personnages aux personnalités plus nuancées ; le tout jouissant d'une photographie époustouflante jouant à merveille sur les ombres et les lumières. Il apporte ainsi une vision plus actuelle avec un regard pessimiste, en miroir de la société contemporaine américaine, tout en délivrant un message aussi bien social que politique.

Les origines du musical West Side Story remontent en réalité à la fin des années 1940 quand le chorégraphe et le metteur en scène Jerome Robbins approche le compositeur Leonard Bernstein et le librettiste Arthur Laurents afin de collaborer sur l'adaptation moderne sous forme d'un musical de la pièce de William Shakespeare Roméo et Juliette. Les premières ébauches du spectacle, intitulé East Side Story, parlaient ainsi d'un amour impossible entre un jeune catholique italo-américain et une jeune fille juive immigrée après avoir fui l'Holocauste, tous deux appartenant à deux bandes rivales qui se vouaient une haine féroce. Mais, après un faux départ, le projet reste dans les cartons pendant plusieurs années avant de se concrétiser au milieu des années 50. Le jeune parolier Stephen Sondheim rejoint alors l'équipe tandis que le récit évolue, en se focalisant sur la guerre de gangs, phénomène nouveau à l'époque, tandis que la descendance des personnages principaux change. Tony devient d'origine polonaise tandis que María est, elle, une Portoricaine. À part cela, l'histoire suit les grandes lignes de la pièce de théâtre classique à quelques détails près. Les parents sont ainsi absents dans le musical tandis que seul Tony meurt à la fin du spectacle. Le lieu de l'action est aussi déplacé vers un autre quartier de New York qui était alors en plein bouleversement, l'Upper West Side, impliquant un changement de titre en West Side Story.

Les avant-premières ont lieu en août 1957 à Washington et à Philadelphie tandis que le spectacle se monte finalement à Broadway au Winter Garden Theatre où il débute le 26 septembre 1957. Le casting original comprend notamment Larry Kert dans le rôle de Tony, Carol Lawrence dans celui de María et Chita Rivera dans celui d'Anita. Après 732 représentations, le show s'arrête le 27 juin 1959. Entretemps, il a été nommé pour six Tony Awards : Meilleur Musical, Meilleure Chorégraphie, Meilleurs Décors, Meilleure Actrice dans un Second Rôle, Meilleur Metteur en Scène et Meilleur Costume. Finalement, Jerome Robbins gagne le prix de la Meilleure Chorégraphie tandis qu'Oliver Smith obtient lui celui des Meilleurs Décors. Salué par la critique et plébiscité par le public, le musical va devenir un grand classique. Certaines chansons comme María, Tonight ou America connaissent le succès en dehors même du spectacle. La carrière de West Side Story ne s'arrête pas là car il sera ensuite rejoué plusieurs fois, et ce, autour du monde. En France, l'une des adaptations les plus flamboyantes et impressionnantes est sûrement celle qui a été jouée au Théâtre du Châtelet en 2007, en 2012 et en 2016.

Le musical West Side Story est adapté au cinéma une première fois le 18 octobre 1961 par United Artists. Le film est réalisé par Robert Wise assisté par Jerome Robbins sur les séquences dansées tandis que les rôles principaux sont confiés à Natalie Wood pour María et Richard Beymer pour Tony. Il faut noter que ce ne sont pas les deux acteurs qui interprètent ici les chansons mais deux chanteurs, non crédités dans le film, Marni Nixon et Jimmy Bryant. Le long-métrage reprend la trame du musical ainsi que les chansons mais fait évoluer quelques détails à commencer par l'ordre des chansons. Notamment, Tonight passe après America tandis que Gee, Officer Krupke et I Feel Pretty arrivent bien plus tôt dans le récit alors qu'inversement Cool se retrouve placée à la fin de l'histoire. Ces changements font que certaines chansons ne sont pas chantées par les mêmes personnages d'une version à une autre. Alors que Cool est entonnée par Riff dans le musical, dans le film de 1961 c'est Ice qui l’interprète. Inversement, Riff chante Gee, Officer Krupke dans le long-métrage alors qu'il s'agit d'Action dans le spectacle. Enfin, la chanson Somewhere est livrée par Consuelo dans le musical alors que dans le film ce sont Tony et María qui l'assument. Ces menus changements n'entament en rien la qualité du film qui se voit acclamé par la critique et par le public qui lui réserve un triomphe. West Side Story se hisse ainsi à la première place du box-office en ramenant 19 millions de dollars lors de sa première sortie. Il restera le premier film musical au box-office de l'histoire jusqu'à ce qu'il soit détrôné quatre ans plus tard par La Mélodie du Bonheur de 20th Century Fox, toujours réalisé par Robert Wise. Sa bande originale reste pendant 54 semaines numéro un des charts tandis qu'il obtient onze nominations aux Oscars et en gagne dix, le plus gros résultat encore aujourd'hui pour un film musical. Parmi ces récompenses, il est auréolé des Oscars du Meilleur Film, du Meilleur Réalisateur, de la Meilleure Actrice dans un Second Rôle pour Rita Moreno qui joue Anita et du Meilleur Acteur dans un Second Rôle pour George Chakiris qui interprète Bernardo.

Finalement, soixante ans après la sortie du premier film adapté du musical, West Side Story a droit à une deuxième adaptation par l'un des plus grands réalisateurs de tous les temps.
Devenu l'une des personnalités les plus emblématiques et influentes du septième art, Steven Spielberg est né le 18 décembre 1946 à Cincinnati dans l'Ohio. Cinéaste très précoce, il réalise, enfant, quelques petits films amateurs puis, toujours très jeune, abandonne rapidement ses études pour tenter sa chance à Hollywood. Assistant monteur sur la série Wagon Train en 1957, il apprend alors son métier sur le tas, dans les années 60, en réalisant des courts-métrages tels que Firelight ou Amblin' (dont il emprunte l'appellation pour sa future maison de production), puis travaille pour le petit écran, dirigeant notamment des épisodes de Columbo.
Son talent de mise en scène se révèle au grand jour en 1971 avec le téléfilm Duel (exploité en qualité de film à l'international) qui remporte notamment, en France, le Grand Prix du Festival d'Avoriaz. Le cinéaste réalise ensuite Sugarland Express (1974). Prix du scénario à Cannes, ce drame confirme ses belles aptitudes et annonce une jolie carrière qui prend un virage dans le fantastique dès l'année suivante.
Il y a, à l'évidence, pour Steven Spielberg, un avant et un après 1975 ! Cette année-là, il terrifie, en effet, le monde entier avec Les Dents de la Mer, une référence dans le cinéma d'épouvante qui le propulse star internationale de la mise en scène à seulement 29 ans. Ses films suivants remportent tous le même succès, atteignant pour la plupart les cimes du box-office international et s'inscrivant dans l'imaginaire de millions de spectateurs. Steven Spielberg est d'ailleurs le créateur (avec son ami George Lucas et sa (La) Guerre des Étoiles) d'une catégorie enviée du tout-Hollywood : les films à plus de 100 millions de dollars de recettes sur le seul territoire national. Cette manne colossale pour les majors permet ainsi aux deux cinéastes de revendiquer par la suite une totale autonomie vis-à-vis des studios.
En 1977, Rencontres du Troisième Type initie son rapport étroit avec la science-fiction qui se poursuit en 1982 avec E.T. l'Extra-Terrestre puis A.I. Intelligence Artificielle (2001), Minority Report (2002), La Guerre des Mondes (2005) et Ready Player One (2018). Son goût pour l'aventure lui permet par ailleurs de donner naissance à la légendaire saga des Indiana Jones tombée dans l'escarcelle de Disney en 2012 à la faveur du rachat de Lucasfilm : Les Aventuriers de l'Arche Perdue (1981) , Indiana Jones et le Temple Maudit (1984), Indiana Jones et la Dernière Croisade (1989) et Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal (2008).
En 1983, Steven Spielberg participe à un film collectif avec John Landis : La Quatrième Dimension, dont il réalise la deuxième séquence. Il aborde ensuite dès 1985, dans sa filmographie, des sujets différents, moins orientés sur le cinéma dit « de divertissement » et plus axés sur l'Histoire : La Couleur Pourpre (1985) et Empire du Soleil (1987), deux œuvres qui racontent respectivement la vie d'une famille noire aux États-Unis du début à la moitié du XXe siècle, et celle d'un jeune Britannique pris dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale. Ce conflit le passionne à l'évidence. Il reviendra deux autres fois sur le sujet avec La Liste de Schindler (1993) et Il Faut Sauver le Soldat Ryan (1998), des long-métrages qui lui font atteindre la consécration auprès des critiques et de ses pairs en remportant, notamment, de nombreux Oscars. Par contre, il ne s'intéresse qu'une seule fois à la Première Guerre mondiale avec le touchant Cheval de Guerre (2011).
Ne délaissant pas le divertissement à grand spectacle, il continue à relever les paris les plus fous en allant jusqu'à ressusciter, grâce à une combinaison novatrice de maquettes animées et d'images de synthèse, plusieurs espèces de dinosaures pour Jurassic Park (1993) et sa suite Le Monde Perdu : Jurassic Park (1997).
Tout aussi bien, il s'amuse également à revisiter les thèmes de l'enfance et de la famille (Hook ou la Revanche du Capitaine Crochet en 1991, Les Aventures de Tintin : Le Secret de La Licorne en 2011 ou Le BGG – Le Bon Gros Géant en 2016) et à explorer la comédie burlesque avec 1941 (1980), plus légère avec Arrête-Moi Si Tu Peux (2002) ou romantique avec Le Terminal (2004). Il sait aussi prendre ses distances vis-à-vis des œuvres de pur divertissement pour aborder des sujets plus graves : le deuil (Always - Pour Toujours, 1989), l'esclavage (Amistad, 1997), la géopolitique (Munich, 2006), la biographie d'un grand président des États-Unis (Lincoln, 2012), la guerre froide (Le Pont des Espions, 2015) ou la liberté de la presse (Pentagon Papers, 2017) sont ainsi autant de thèmes délicats qui prouvent l'éclectisme et la sensibilité du cinéaste.
Parallèlement et dès 1981, Steven Spielberg, qui a créé sa propre société de production, supporte en plus de ses films, ceux d'autres cinéastes, considérés avec le recul comme les plus imaginatifs des années 80 : Gremlins (1984), Les Goonies (1985), Retour Vers le Futur (1985), Bigfoot et les Henderson (1987), L'Aventure Intérieure (1987), Miracle sur la Huitième Rue (1987) ou Qui Veut la Peau de Roger Rabbit (1988).

Steven Spielberg a une relation très particulière et personnelle au musical West Side Story. Quand il était enfant, ses parents lui avaient en effet offert la bande originale du spectacle chantée par le casting de 1957. Ces chansons ne l'ont ensuite plus jamais quitté, le hantant toute sa vie. L'idée de proposer sa propre version du musical de Broadway l'a ainsi travaillé durant toute sa carrière. Pendant de nombreuses années, il ne se sentait pourtant pas légitime de se lancer dans un tel projet, surtout que le film de son ami Robert Wise était considéré comme un grand chef-d'œuvre : il ne voulait donc pas se comparer à lui. La comédie musicale était en outre un des rares genres qu'il n'avait pas vraiment traité dans sa riche carrière. Seules quelques scènes de sa filmographie peuvent s'apparenter à cette forme d'art comme par exemple la séquence du bal dans 1941 ou encore l'ouverture d'Indiana Jones et le Temple Maudit. Mais plus il avançait en âge, plus le réalisateur voulait tenter le genre du film musical. Mais pas avec n'importe quel titre : celui qui avait bercé son enfance. Finalement, à l'âge de 68 ans, il se décide à lancer le projet. En 2014, il demande au studio 20th Century Fox d'acheter les droits du musical. Il confie ensuite à Tony Kushner, avec qui il a travaillé sur Munich et Lincoln, d'écrire le scénario en prenant comme matériel de base le musical et non le film de 1961.

West Side Story suit donc plus fidèlement le spectacle musical de 1957. L'ordre des chansons est ainsi quasiment le même à l'exception de Gee, Officer Krupke qui est avancée dans ce qui constituerait le premier acte, arrivant juste après America. Par contre, le film de Spielberg apporte sa propre touche sur plusieurs aspects du scénario. Déjà, le lieu ou le temps de nombreuses chansons sont changés. Par exemple, America se passe le matin dans la rue, à l'inverse du film de 1961 ou du musical qui se déroulait de nuit sur le toit de l'immeuble d'Anita et de Bernardo. One Hand, One Heart a, elle, lieu dans une ancienne église et non dans la boutique de mariage tandis que Gee, Officer Krupke se produit dans le commissariat de police et non plus dans la rue. Cette dernière est d'ailleurs chantée par les Jets mais sans leader apparent à la différence du premier film ou du musical. La boutique de mariage où travaillait María et Anita est également absente ; María étant désormais une femme de ménage dans un grand magasin chic où elle chante justement la chanson I Feel Pretty. Néanmoins, le plus gros changement du long-métrage de 2021 reste sûrement la création du personnage de Valentina, la veuve de Doc d'origine portoricaine qui va prendre sous son aile le jeune Tony. C'est elle qui chante ici la chanson Somewhere à la place de Tony et María dans le film de Robert Wise ou de Consuelo dans le musical.

Ce qui frappe en premier dans la nouvelle version de West Side Story, c'est sûrement la réalisation vertigineuse de Steven Spielberg. À la différence du film de Robert Wise, le nouveau long-métrage ne donne pas l'impression d'être un spectacle filmé. La caméra est beaucoup moins statique et spectatrice, ne prenant plus des plans d'ensemble des danses ou des acteurs comme en 1961 mais osant au contraire être plus actrice du mouvement en s’immisçant dans l'action, apportant ainsi bien plus de dynamisme dans la réalisation. L'utilisation des ombres et des lumières est tout simplement fabuleuse, sublimée par le directeur de la photographie Janusz Kamiński, fidèle collaborateur du réalisateur. Un exemple qui résume à lui seul la puissance visuelle du film est clairement la scène où les deux gangs des Jets et des Sharks sont sur le point de s'affronter dans l'usine de sel. Il peut également être cité la rencontre magique entre Tony et María où le temps semble s'arrêter alors que la foule les entoure. Steven Spielberg, en génie de la mise en scène, parvient en plus à ancrer son récit dans les années 1950 avec des décors sublimes tout en proposant une lecture foncièrement contemporaine. Même s'il travaille les intérieurs au sein de plateaux de tournage, il offre de nombreux plans en extérieur, dont l'ouverture du film. Les premières secondes donnent d'ailleurs tout de suite une immense claque aux spectateurs grâce à l'incroyable idée d'avoir insisté sur l'aspect délabré du quartier d'Upper West Side alors en pleine démolition. L'affrontement des deux clans pour un territoire en ruine en est encore plus poignant et dramatique.

Steven Spielberg et Tony Kushner profitent également du recul historique, soixante après la sortie du premier film, pour donner une portée politique et sociale plus poussée à West Side Story. Ils ne modifient en rien le propos, restant toujours proche du matériel original ; mais, en adaptant légèrement le livret, ils permettent d'offrir des messages forts, miroir de la période actuelle. Le film commence donc sur l'affrontement de bandes rivales qui se battent pour contrôler un quartier pauvre où vivent de nombreux immigrants et qui est sur le point d'être rasé pour y construire de nouveaux immeubles flambants neufs destinés à une nouvelle population plus aisée. Le film montre naturellement la montée de la haine et du racisme entre ces deux communautés, amenant fatalement la violence puis la mort. Grâce à ses dialogues, le long-métrage insiste non pas sur la différence des Jets et des Sharks mais, au contraire, plutôt sur leurs points communs. Les membres des deux gangs sont des jeunes que le rêve américain a laissés de côté, ne leur permettant pas d'accéder à la réussite ou simplement de faire partie de la classe moyenne. Leur couleur de peau ou leur origine sont finalement les seules choses qu'ils peuvent revendiquer. Ils leur faut alors un territoire, même à l'abandon, pour être leur étendard.

West Side Story est donc plus cru, plus rugueux et plus réaliste dans les rapports sociaux. Le long-métrage dépeint encore plus une police dépassée, arrivant souvent avec un temps de retard, ne sachant jamais comment calmer des jeunes, peu importe leur gangs, qu'elle ne comprend pas et qu'elle respecte peu. Le film ose aussi mettre des mots sur des situations qui étaient bien plus floues dans le musical ou l'opus de 1961 comme, par exemple, lors de la scène dérangeante où Anita se fait agresser par les Jets ; Steven Spielberg y montre explicitement qu'il s'agit là d'une tentative de viol en groupe. Le film de 2021 apporte également une vraie authenticité à son casting. Les Sharks et les personnages portoricains sont tous joués par des Latino-Américains. En cela, le nouveau long-métrage se démarque vraiment du musical et de l’œuvre cinématographique de Robert Wise où la plupart des acteurs étaient des caucasiens maquillés, pratiques courantes à l'époque mais inacceptable aujourd'hui. Steven Spielberg va même plus loin en proposant de nombreux dialogues en espagnol, et sans sous-titres. Le réalisateur a, en effet, voulu en version originale mettre au même niveau les deux langues, l'anglais et l'espagnol, pour montrer qu'elles étaient sur un pied d'égalité. En refusant de rajouter des sous-titres pour les non hispanophones, il entendait montrer qu'une langue n'est pas supérieure à une autre ; l'une étant censée être étrangère et l'autre native. Autre changement bienvenu, le personnage d'Anybodys passe d'une fille façon garçon manqué dans le spectacle et le long-métrage d'origine à une personne transgenre jouée par l'artiste non binaire Iris Menas. Cette décision a d'ailleurs valu au nouveau West Side Story de se voir interdit de sortie dans plusieurs pays du Moyen-Orient.

West Side Story de Steven Spielberg arrive aussi à rendre le drame plus poignant. L'histoire d'amour est naïve comme dans les précédentes adaptations. Pour autant, le récit n'en est pas moins plus âpre. Cette impression est due au fait que tous les personnages semblent bien moins manichéens, ayant tous plus ou moins une personnalité attachante. La réaction de María quand elle découvre que celui qu'elle aime a tué son frère est particulièrement poignante car la haine qu'elle ressent est tout aussi forte que l'amour qu'elle lui porte. Le balancier est tellement fort, la faisant passer d'un sentiment à un autre en l'espace d'une seconde, que tout autre qui n'a pas vécu un amour passion, où la raison n'a pas sa place, ne peut comprendre ce qu'elle ressent. Même chose, Steven Spielberg arrive à rendre la fin encore plus tragique et poignante. Déjà, car elle est légèrement plus intimiste, ayant un peu moins de personnages. Mais surtout, elle est encore plus pessimiste que dans les précédentes versions. Dans le film de 1961, María trouve une justification dans la mort de Tony : la haine qui déchirait les deux clans. Ici, elle n'est que haine et tristesse. Elle ne cherche pas à trouver un coupable et à le nommer ; elle est simplement effondrée, à deux doigts de basculer dans la même violence que les membres du gangs avant d'y renoncer au dernier moment. La conclusion insiste encore plus sur l'impuissance des policiers qui arrivent en arrière-plan alors que la caméra est déjà en train de s'éloigner de la scène du drame.

L'autre réussite de West Side Story est sûrement son casting flamboyant qui ne prend pourtant appui sur aucune star mais avant tout sur des acteurs sachant danser et chanter.
En fait, le seul qui fait un peu exception, en étant un peu plus connu que les autres, est Ansel Elgort. Le comédien, qui s'est, il est vrai, déjà fait remarquer dans la saga Divergente chez Lionsgate mais aussi dans des films dramatiques comme Nos Étoiles Contraires chez 20th Century Fox ou Baby Driver chez TriStar Pictures, campe ici un Tony convaincant qui propose une approche différente de celle de Richard Beymer du film de 1961. Son jeu est intéressant car il apporte un côté un peu plus torturé suite à une culpabilité qui le ronge venant d'un passé plus fouillé dans le nouveau long-métrage. Elle permet de montrer une violence sous-jacente dont il a conscience et qu'il tente de contenir tellement il en a peur mais qu'il ne peut arrêter quand il est poussé dans ses derniers retranchements.
West Side Story de Steven Spielberg propose également de nombreuses révélations. La première d'entre elle est l'actrice Rachel Zegler qui fait ici ses premiers pas à Hollywood, et qui a depuis été choisie pour interpréter Blanche Neige dans le remake à prises de vues réelles de Disney. Elle joue une María extraordinaire qui éclipse presque Natalie Wood, déjà fantastique. Tout en grâce et en finesse, avec une voix cristalline, interprétant les chansons de façon magistrale, elle amène une candeur incroyable au personnage. Elle semble douce et innocente tout en se laissant emporter par la passion. Quand elle doit choisir entre dénoncer l'assassin de son frère ou perdre l'amour de sa vie, elle est bouleversante en préférant écouter son cœur plutôt que de laisser parler sa raison.

Une autre actrice crève l'écran dans le long-métrage : Ariana DeBose dans le rôle d'Anita. Celle-ci n'a strictement rien à envier à Rita Moreno qui jouait le même personnage il y a 60 ans. La nouvelle Anita est ici pleine de fougue et d'entrain, amenant une ambiance exubérante chaque fois qu'elle apparaît dans une scène. Mais la richesse du personnage va bien au-delà de son dynamisme. Elle est en réalité le pilier rationnel de son entourage. Elle tente d'un côté de contrôler la violence et la haine de son petit ami qui ne veut pas s'intégrer dans son nouveau pays et de l'autre calmer sa jeune amie naïve aveuglée d'amour. Malheureusement, le drame la rattrape, balayant toutes ses illusions optimistes. Le revirement est alors magnifiquement portée par l'actrice tout simplement incroyable.
L'excellente idée du nouveau West Side Story est aussi de refaire appel à l'actrice Rita Moreno pour un rôle créé spécialement pour le film. Elle interprète Valentina, la veuve de Doc, le pharmacien du quartier de Upper West Side. Elle est donc également la mentor de Tony et des Jets. Le fait qu'elle soit une Portoricaine mariée à un caucasien fait que le discours du personnage change par rapport à celui de Doc, le personnage du spectacle et du long-métrage de 1961. Elle est ici plus touchante et sensible. De plus, Rita Moreno, via le personnage de Valentina, interprète la chanson Somewhere, changeant la portée des paroles, les rendant plus universelles que dans le film de 1961 où elle était chantée par les amants. À 90 ans, l'actrice est toujours extraordinaire et brille ici de mille feux alors qu'elle n’apparaît pourtant que dans peu de scènes.

Les personnages secondaires masculins ne sont pas en reste.
Le rôle de Bernardo, le frère de María, est tenu par David Alvarez. L'acteur arrive par son jeu, grâce à l'aura qu'il dégage, à changer la personnalité du personnage qui était plutôt antipathique dans le film d'origine. Ici, il est toujours plein de force, d'autorité, de fierté et de préjugés mais aussi bien plus chaleureux et ambivalent. Le spectateur comprend mieux son ressenti et arrive finalement à s'attacher à lui. Et quand le drame arrive, le public est forcément bien plus touché par son destin tragique.
Riff, quant à lui, est joué par un Mike Faist étonnant. L'acteur arrive à rendre le personnage bien plus rugueux et fragile. Sa fuite en avant dans l'affrontement avec les Sharks l'amène vers une violence sans fin dont il ne voit pas les conséquences qu'elle peut engendrer. En réalité, la violence qu'il recherche cache un manque de confiance en lui qu'il compense en jouant les chefs de gang. En voulant que les Jets contrôlent le territoire d'Upper West Side, il se trouve un objectif à atteindre, lui qui, comme ses camarades, n'a rien tant la vie l'a laissé de côté.

S'il y a des éléments qui n'ont pas changé dans le nouveau West Side Story, c'est évidemment la musique et les chansons de Stephen Sondheim et Leonard Bernstein. À l'origine, Steven Spielberg demande à son ami compositeur, John Williams, de réarranger les musiques pour lui. Mais ce dernier lui conseille plutôt de choisir le compositeur David Newman qui connaît parfaitement le musical, l'ayant adapté à de nombreuses reprises aussi bien aux États-Unis qu'en Europe. Pour l'orchestration, il fait appel Gustavo Dudamel qui va enregistrer la bande originale avec le New York Philharmonic et le Los Angeles Philharmonic.
Si la partition ne change donc pas, Steven Spielberg décide en revanche de s'éloigner de la chorégraphie de Jerome Robbins. Il fait pour cela appel à l'artiste Justin Peck qui propose des danses vraiment incroyables. Les chorégraphies de la chanson America sont ainsi encore plus endiablées que l'originale, profitant du fait d'être dansées dans la rue. La séquence est encore plus ambitieuse, colorée et rythmée. Même chose pour la scène du bal, The Dance at the Gym, qui est virevoltante et exaltante. Autre exemple, Cool choisit de voir Riff et Tony s'affronter sur une plateforme en construction au-dessus de la mer, apportant à la séquence une belle intensité. De même, le fait de choisir de placer la chanson Gee, Officer Krupke dans le commissariat permet au chorégraphe d'offrir une séquence plutôt amusante où les Jets essayent de se trouver des excuses à leur comportement. Finalement, seule la chanson I Feel Pretty s'avère un peu décevante. L'idée de la placer dans un grand magasin huppé aurait pu être une bonne idée mais le chorégraphe n'arrive finalement pas à rendre la scène impressionnante.

Prévu pour sortir en décembre 2020, le long-métrage est finalement décalé suite à la pandémie de COVID-19. West Side Story sort donc sur les écrans américains le 19 décembre 2021 sous les acclamations des critiques qui saluent la beauté du film. Certains vont même jusqu'à dire que lorsque le chef-d’œuvre West Side Story sera cité, il faudra désormais précisé l'année pour les différencier. Les spectateurs qui voient le film sont eux tout aussi conquis. Malheureusement, ils ne sont pas très nombreux car aussi bien aux États-Unis qu'en France, le film passe plutôt inaperçu. Avec à peine dix millions de dollars sur son premier week-end, pour un budget de cent millions de dollars, il aura du mal à se rentabiliser. Il faut dire que depuis les réouvertures des salles de cinéma suite aux différents confinements, le genre des comédies musicales ne fait plus recette et n'attire plus les foules ; les spectateurs habitués à ce genre de productions n'étant pas encore retournés en masse au cinéma. Dommage car certaines pépites, comme ici, n'arrivent plus injustement à rencontrer le succès...

West Side Story réussit l'impossible en proposant une relecture somptueuse du musical de Broadway et se révèle, sur de nombreux points, meilleur que l'adaptation de 1961 pourtant considérée comme un classique du septième art. Steven Spielberg offre ici sûrement son meilleur film depuis longtemps. Un chef-d’œuvre, tout simplement !

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