Jean-François Camilleri
Les Raisons d'un Départ
L'article
Jean-François Camilleri, ancien Président de The Walt Disney - Company France et Président Fondateur de Disneynature a accordé à Chronique Disney un entretien exclusif* au cours duquel il revient sur les raisons de son départ de chez Disney, après 30 ans passés dans l'entreprise, et son nouveau projet professionnel, Echo Studio.
[Chronique Disney] Comment s’est déroulé votre départ de The Walt Disney Company après 30 ans passés en son sein ?
[Jean-François Camilleri] J’ai décidé de mon départ au début de l’année 2019 et j’ai quitté la société en avril. Le cheminement qui m’a conduit à cette décision est très positif. Après 30 ans de parcours professionnel chez Disney, je voulais, parce qu’une carrière c’est environ 45 ans, terminer le dernier tiers en vivant autre chose, pour découvrir de nouveaux horizons, l’entreprenariat, l’artisanat même. Je voulais en fait mettre en adéquation mon travail avec des envies qui étaient en moi depuis longtemps déjà et pour cela, il fallait que je quitte Disney, que je sorte de son périmètre. L’envie de faire quelque chose, non pas de mieux mais de différent.
[ChD] La direction de Disneyland Paris n’était pas dans vos projets ?
[JFC] Cette proposition ne m’a jamais été faite donc, je ne me suis jamais vraiment posé la question.
[ChD] Le devenir de votre création, Disneynature, a-t-il pesé dans votre décision de rester ou partir ?
[JFC] Il a pesé oui et non. Quand j’ai pris la décision de partir, j’ai pris conscience que j’allais quitter beaucoup de choses dont Disneynature. Disneynature, que j’ai effectivement créé, a été pour moi 13 années extraordinaires. J’ai fait tout ce que je voulais faire et qui me tenait à cœur avec ce label et cette marque. Et quoiqu’il dût se passer, il fallait bien, un jour ou un autre, que nos chemins se séparent.
Mais Disneynature reste et restera un moment fort, exceptionnel dans ma carrière. J’ai eu l’accord inouï de pouvoir créer un label Disney en dehors du territoire américain, piloté depuis Paris ; ce qui ne s’est jamais produit jusque-là. Et c’est d’autant plus fort qu’il traite d’un sujet indissociable de Walt Disney lui-même : le rapport à la nature et à l’écologie. Disneynature est l’héritier direct des True-Life Adventures. Et c’est une fierté de l’avoir porté.
[ChD] Pensez-vous que si vous étiez encore dans l’entreprise le destin de Disneynature, et notamment sa place chez Disney après l’absorption de National Geographic, serait différent ?
[JFC] Difficile à dire. Je n’ai jamais eu de discussion sur le sujet et je ne sais pas aujourd’hui ce qu’il en est ou en sera. Une chose est sûre pour moi, c’est que ces deux marques peuvent complètement vivre ensemble. Ce sont deux très belles marques. Une qui n’a que 10 ans et l’autre qui en a 120 ; une qui n’est qu’au tout début de sa vie alors que l’autre a énormément de contenus et une notoriété quasi-mondiale.
[ChD] Votre personnalité a fait de The Walt Disney Company – France une filiale somme toute atypique notamment quand on en compare l’action et le dynamisme par rapport aux autres filiales européennes : votre départ ne va-t-il pas normaliser les choses et faire « rentrer dans la norme » la filiale françaises. La faire appliquer des décisions prises à l’échelle européenne et moins franco-française ?
[JFC] Difficile là aussi de me prononcer car je n’ai aucune idée sur la façon dont les choses se passent aujourd’hui et c’est bien normal. Mais votre constat est à modérer. Cela n’avait en fait rien à voir avec moi ou ma personnalité : la France a toujours eu une place particulière en Europe pour The Walt Disney Company et dans l’univers de Disney. C’est d’ailleurs pour célébrer cette dimension que j’avais souhaité lancer il y a quelques années un coffret « Disney et la France ». Il faut bien garder à l’esprit que la France dans l’univers Disney a depuis le premier jour une place particulière entre les différents thèmes des films d’animation (La Belle au Bois Dormant, Les Aristochats, Le Bossu de Notre-Dame, Ratatouille…), le choix d’y installer le Disneyland européen, le Journal de Mickey qui est l’un des plus anciens magazines français et l’un des premiers si ce n’est le premier magazine Disney au monde... Sur beaucoup, beaucoup de points, la France a toujours eu une position particulière et je pense que cela ne changera pas, moi parti ou pas. La seule chose en réalité qui, pour le moment, a changé c’est que le périmètre d’action s’est réduit puisque la gestion des pays européens Belgique, Pays-Bas, Luxembourg et ceux d’Afrique francophone ne se fera plus depuis la France, chaque pays retrouvant une structure qui lui sera propre…
[ChD] En dehors de Disneynature, quelle est pour vous votre plus grande réussite, ou apport si on veut être modeste, chez The Walt Disney Company – France ?
[JFC] Ce n’est pas ma réussite mais bien la réussite de toute l’équipe : c’est l’agilité qui a été mise en place au sein de l’entreprise. Elle a été décloisonnée et pas seulement au sens propre avec son environnement de travail et l’agencement des bureaux : tout le monde a désormais la capacité de travailler ensemble, en synergie, sur tous les sujets. Or, cela n’était pas gagné d’avance de changer, révolutionner une méthode de travail ancrée dans les esprits depuis toujours : l’idée d’avoir son petit périmètre à soi et de ne pas en sortir. Il a fallu s’extraire des carcans pour ensuite travailler de façon transversale, avec sa compétence mise au service de tout le groupe et non pas d’un service du groupe. Au fur et à mesure, les équipes se sont mises à parler d’une seule voix et n’ont plus fait qu’une. Nous sommes passés d’un état d’esprit cloisonné, activité par activité, à un état d’esprit global où l’ensemble des collaborateurs portait vraiment le même projet. Grâce à ce nouvel état d’esprit, des activités inédites ont été explorées, des chantiers innovants lancés. Cela n’aurait pas été possible sans cela.
[ChD] N’avez-vous pas le sentiment sur certains sujets d’avoir eu raison trop tôt ? DisneyTek était un Disney+ embryonnaire et le format de Disneynature|tv, une chaîne de télé non linéaire précurseur des nouveaux mondes de consommation de la télévision ? Avec le recul, c’était très visionnaire…
[JFC] (Rires) C’est gentil de le penser. En fait, cela retombe sur la notion d’agilité dont je parlais sur l’organisation mise en place au sein de The Walt Disney Company – France. J’ai toujours voulu qu’on saisisse des opportunités. Et qui que ce soit qui ait l’idée, il fallait tenter même si cela ne devait pas aboutir. C’est précisément ce que nous avons fait en créant, avec Free, DisneyTek ou en imaginant la structure innovante pour l’époque de la chaîne de télévision non linéaire Disneynature | tv ou, sur le web, Zoom by Disneynature. Il y a des moments où c’était facile, d’autres difficile voire impossible. Mais à chaque fois, l’équipe a exploré toutes les pistes qui pouvaient l’être. Nous étions une petite structure et un hors-bord est évidemment plus facile à manœuvrer qu’un paquebot.
Après, que ce soit pour toutes ces idées, cela ne veut pas dire que d’autres personnes dans le groupe n’étaient pas en train de les développer. La genèse de Disney+ est ancienne. Nous, nous avons juste pu faire à notre « petit » niveau des projets dont la réalisation a été plus rapide parce les enjeux n’étaient pas les mêmes.
[ChD] Venons-en maintenant à votre changement professionnel qui visiblement s’inscrit dans une quête de sens : travailler chez Disney manquait de sens ?
[JFC] Évidemment que non et les fans que vous êtes et représentez le savent bien. Disney déjà, ce sont des femmes et des hommes qui ne manquent pas de convictions et mettent tous les jours du sens dans ce qu’ils font. Ce qui justement m’a plu chez Disney, c’est que c’est une société qui m’a permis - notamment avec Disneynature mais aussi avec, par exemple, le développement de projets cinématographiques comme Sur le Chemin de l’École ou tous les engagements sociétaux de l’entreprise qui noue des partenariats concrets avec des acteurs de terrain, dans tous les domaines de la vie, comme Les Restos du Cœur ou l’association Panthera - d’amener Disney sur des terrains qui sont ceux de la solidarité, de l’écologie et de la transmission.
Pour moi, les entreprises sont aussi faites pour faire avancer le monde socialement et sociétalement. Elles ont un rôle très important dans la marche de la planète. En étant à la tête d’une grosse filiale d’une grosse entreprise, j’ai donc pu faire en sorte que Disney joue également un rôle sur des sujets aussi importants que sont l’accès à l’éducation, la défense de l’environnement, le handicap, la solidarité… Ce sont des choses que j’ai portées en moi depuis toujours. Et j’ai vraiment eu la chance de pouvoir les exprimer à travers et au sein de Disney. Et évidemment, cela n’aurait pas pu être aussi fort que si j’avais été à la tête d’une entreprise de BTP ou dans un laboratoire pharmaceutique. Chez Disney, je pouvais parler au plus grand nombre donc j’ai saisi cette chance tout en faisant, cela va sans dire, le meilleur travail possible sur le cœur du métier, le corps de business de l’entreprise.
[ChD] En fait, votre arrivée chez Echo Studio est une suite logique ?
[JFC] Précisément. Après avoir montré au marché que des projets comme Il Était une Forêt, Mon Maître d’École, La Marche de l’Empereur ou Sur le Chemin de l’École étaient porteur alors que très peu de distributeurs misaient dessus, j’ai reçu beaucoup de propositions. Des projets souvent très intéressants mais que, par définition, je ne pouvais pas sortir chez Disney parce qu’il n’était pas possible d’en faire plus d’un par an, voire un tous les deux ans. Sans parler des sujets qui ne correspondaient absolument pas à la marque Disney et c’est alors absolument normal de ne pas les traiter. Au fur et à mesure de mon cheminement, je me suis dit qu’il était dommage de laisser tout ce terrain en friche, tous ces projets sur des étagères et tous ces réalisateurs sans appui et j’ai donc pris la décision de franchir le pas. Parce que toutes ces personnes, souvent de grande qualité, de grande conviction, ont le droit de voir leur projet aboutir que ce soit sur le grand ou le petit écran mais également sur les plateformes. Et je me suis dit que j’avais quelque chose à faire pour que cela devienne réalité…
[ChD] Comment définir Echo Studio ?
[JFC] Echo Studio existe depuis deux ans. C’est un studio qui présente la particularité d’avoir une ligne éditoriale forte axée sur les films engagés et engageants. Le principe est que nous travaillons avec des producteurs ou nous produisons directement. Ce peut être des films de cinéma, de télévision, des séries. Ce peut être aussi des productions à destination des plateformes. Le genre peut être du documentaire ou de la fiction. Le format peut être des longs, moyens ou courts métrages. Le spectre est très large. L’essentiel est que le format doit être adapté au contenu qu’il supporte. S’il nécessite 10 fois 1 heure, cela sera 10 fois 1 heure, l’idée étant que les images peuvent contribuer à changer le monde ou en tout cas à sensibiliser le plus de public possible à certains sujets. Il s’agit de faire en sorte que les gens découvrent un thème ou des solutions aux problèmes ou à la situation soulevés pour ensuite faire bouger les lignes et agir. Sur toute cette seconde partie, après la fabrication et la distribution de l’œuvre, c’est-à-dire l’action, on veut pouvoir donner aux gens qui le souhaitent toutes les clés pour changer les choses. Echo Studio c’est donc produire, diffuser et une fois que la connaissance est acquise, aider à l’action. La mission d’Echo Studio est d’aller sur des sujets que les gens ne connaissent pas forcément ou des sujets que les gens connaissent mais sur lesquels nous apportons des solutions. Ce peut être l’éducation, l’environnement, les droits de l’Homme, les migrants, l’esclavage moderne… Le panel de sujets est très large mais l’objectif reste le même : apporter au sujet la connaissance sur des problématiques et proposer des solutions.
[ChD] Pouvez-vous nous donner quelques exemples du catalogue d’Echo Studio ?
[JFC] Par exemple, dans le genre documentaire, nous avons Demain est à Nous de Gilles de Maistre que je connais bien pour avoir travaillé avec lui pour Le Premier Cri. Côté fiction, j’ai envie de citer Freedom dont on a acquis les droits pour le monde entier. C’est un film de fiction australien dont l’action se déroule entre le Cambodge et la Thaïlande, tourné en langue Khmers. C’est un long-métrage vraiment dur sur l’esclavage moderne et le trafic d’êtres humains liés à la surpêche. Freedom est un superbe film qui représente l’Australie à l’Oscar du Meilleur Film Étranger et qui a déjà remporté beaucoup de prix dans de nombreux festivals.
Nous travaillons aussi sur le film de Yann Arthus-Bertrand qui s’appelle Woman et qui sortira en salles le 4 mars 2020. Il réunit une centaine de femmes de cinquante pays différents qui prennent la parole pour parler de leur condition de femmes. Nous avons également en projet Marche sur l'Eau, un film sur l’accès à l’eau préparé par Aïssa Maïga qui sortira dans un an.
Nous avons aussi sorti un film sur la pêche électrique qui s’appelle Watt the Fish qui a été diffusé sur Ushuaïa TV et sur France 3, sans oublier One Way Ticket qui est un film sur des migrants africains qui partent aux États-Unis et qui, lui, sera diffusé sur France 2.
En fait, notre catalogue est riche de tous les formats, tous les genres et vise comme vous le voyez tous les modes de distribution : cinéma, télévision et plateformes.
[ChD] Que pouvons-nous vous souhaiter dans cette nouvelle aventure en dehors de Disney ?
[JFC] La seule chose que vous pouvez me souhaiter est que tous les contenus que nous allons proposer aient l’impact que nous espérons pour eux afin qu’ils remplissent la mission qui est la leur. Je crois vraiment au bénéfice dans nos sociétés du « soft power » et de « l’engagetainment » qui réunit l’engagement et le divertissement au sens noble du terme. J’ai eu la chance d’être pendant 30 ans dans une société comme Disney qui sait proposer des divertissements de qualité. C’est ce que j’aime produire, que je sais promouvoir et je veux mettre aujourd’hui ma compétence au service de causes et de sujets auxquels je crois et qui, j’en suis convaincu, méritent l’attention du plus grand nombre et au-delà, l’action du plus grand nombre.
*Entretien téléphonique réalisé le mercredi 13 novembre 2019.