The Crow
L'affiche du film
Titre original :
The Crow
Production :
Miramax Films
Date de sortie USA :
Le 13 mai 1994
Genre :
Fantastique
Réalisation :
Alex Proyas
Musique :
Graeme Revell
Durée :
102 minutes
Disponibilité(s) en France :
Autre(s) disponibilité(s) aux États-Unis :

Le synopsis

Eric Draven, guitariste de rock, file le parfait amour avec sa fiancée Shelly. Une nuit, alors que des bandes arpentent les rues de Detroit pour commettre meurtres et larcins, tous deux sont agressés chez eux par les membres d'un gang conduit par Top Dollar, un parrain du crime. Eric assiste impuissant au viol puis au meurtre de sa compagne avant d'être exécuté à son tour. Un an après leur mort, un mystérieux corbeau se pose sur sa tombe et le ramène à la vie : il est venu le guider pour lui permettre d'assouvir sa vengeance...

La critique

rédigée par
Publiée le 24 mai 2018

"Selon une ancienne croyance, lorsque certaines personnes meurent, un corbeau ramène leur âme sur leur terre natale. Mais il arrive parfois que l'âme du défunt ne trouve pas le repos. Alors parfois, seulement parfois, le corbeau ramène cette âme sur Terre pour qu'elle arrange les choses."

Premier film fantastique produit par Miramax du temps de Disney, The Crow est une oeuvre hors du commun, au destin tragique et controversé. Réalisé par Alex Proyas, il a acquis le statut de film culte en raison de la mort de son interprète principal, Brandon Lee, décédé lors du tournage dans des conditions étranges. Aussi sombre que bouleversant, il est aujourd'hui un véritable phénomène, dont la genèse n'a de cesse de fasciner les amateurs de films fantastiques.

The Crow est donc l'adaptation d'une bande dessinée éponyme du dessinateur James O'Barr, publiée en 1989. Né en 1960 à Detroit de parents inconnus, James O'Barr passe son enfance dans un orphelinat. Dès son plus jeune âge, il s'intéresse au dessin et à l'illustration. Il enchaîne alors plusieurs petits boulots afin d'acheter son premier matériel lui permettant d'exercer sa passion. Adopté à l'adolescence, il finit par quitter le foyer familial à 17 ans pour vivre avec sa petite amie de l'époque. Si les ennuis s'enchaînent sur le plan financier, James O'Barr trouve une forme de stabilité émotionnelle et le couple finit par se fiancer. Hélas, un événement tragique met fin à ce bonheur : en se promenant dans les rues de Detroit, la compagne de O'Barr est percutée de plein fouet par un conducteur ivre ayant perdu le contrôle de son véhicule, la tuant sur le coup. Profondément marqué par ce drame, James O'Barr sombre dans la dépression. Il s'engage dans l'armée américaine, affecté au poste d'illustrateur pour des manuels de combat, espérant à tout prix oublier l'accident.

C'est en 1981 que James O'Barr commence à travailler sur The Crow, alors qu'il stationnait à Berlin avec les Marines. Toujours marqué par le décès de sa fiancée, le jeune homme cherche à exorciser cette douleur par l'écriture et le dessin. Inspiré de l'univers gothique, d'écrivains comme Lewis Carroll et Edgar Allan Poe, ou encore de groupes de rock tels The Cure ou Joy Division, il crée un personnage capable de revenir d'entre les morts afin de réparer les injustices, guidé par l'amour et la vengeance. The Crow raconte ainsi le parcours d'un jeune homme, Eric Draven, tué avec sa fiancée la veille de leur mariage par des malfrats. Un an plus tard, Eric se relève de sa tombe pour retrouver les responsables et rétablir le bien dans une ville rongée par la criminalité. Il est alors accompagné d'un corbeau, son guide dans sa quête vengeresse. En mettant en scène un couple séparé par la mort, James O'Barr trouve là un exutoire à son malheur et y injecte toute sa douleur et sa colère.

Une fois son projet terminé, James O'Barr attend quelques années avant que The Crow ne sorte en librairie. L'auteur essuie, en effet, plusieurs refus de la part des éditeurs, qui jugent l'histoire particulièrement sombre et les dessins d'une violence inouïe. L'absence de couleur et le style gothique extrêmement appuyé sont également critiqués. Finalement, c'est grâce à la maison d'édition Caliber Comics que The Crow trouve le chemin des librairies. Le personnage d'Eric Draven apparaît la première fois en 1989 dans Caliber Presents #1, puis dans la série limitée The Crow #1-4 la même année et publiée en quatre volumes, respectivement intitulés "Pain", "Fear", "Irony" et "Despair". Il revient dans A Caliber Christmas, puis dans Caliber Presents #15 (1990), où est proposé un aperçu du cinquième et ultime volet de la saga, "Death". Hélas, l'éditeur arrête la série et met un terme à sa collaboration avec O'Barr. Malgré cette décision, The Crow gagne le coeur des lecteurs de comics et devient un symbole de la culture underground. C'est Tundra Publishing qui reprend la série et permet ainsi à l'auteur de conclure sa saga en joignant les épisodes déjà publiés en deux romans graphiques et en y ajoutant un troisième album reprenant "Death" dans son intégralité, mettant ainsi un point final aux aventures d'Eric Draven.

En seulement quelques mois, The Crow est un grand succès de librairie et il ne faut pas longtemps pour que le cinéma fasse les yeux doux à James O'Barr. En 1992, Jeff Most et John Shirley, respectivement producteur et auteur de science-fiction, se montrent en effet intéressés par une adaptation de l'œuvre sur grand écran. Jeff Most, qui souhaite faire une entrée fracassante dans le cinéma, jette ainsi son dévolu sur The Crow. Encore novice, il préfère céder les droits au producteur Edward Pressman. Tandis que Pressman et Most mettent le projet sur les rails, John Shirley est affecté à l'écriture du scénario en collaboration avec James O'Barr. La firme Paramount Pictures se charge quant à elle de la distribution et de la production du film. La date du tournage est alors prévue pour février 1993.

Une fois le scénario terminé, Edward Pressman et Jeff Most se mettent à la recherche d'un metteur en scène. Ils choisissent Alex Proyas, un réalisateur né en Égypte en 1963 et installé à Sydney. Passionné de cinéma dans sa jeunesse, il tourne son premier court-métrage en 1980, Groping, qui lui vaut plusieurs récompenses. Il se fait ensuite remarquer en réalisant de nombreux clips musicaux pour des groupes tels Crowded House, INXS ou encore The Cure. Il sort son premier long-métrage à la fin des années 1980, le film de science-fiction indépendant Spirits of the Air, Gremlins of the Clouds (1989). Il accède à la notoriété dans les années 1990 grâce à The Crow (1994), au thriller futuriste Dark City (1998), qu'il écrit et produit lui-même, et la comédie Garage Days (2002). Assez rare derrière la caméra, il réussit tout de même à se faire un nom dans le fantastique et la science-fiction, notamment avec I, Robot (2004) et Prédictions (2009). Après plusieurs projets abandonnés, il revient sur le devant de la scène en 2016 avec Gods of Egypt.

Côté casting, le rôle-titre est d'abord proposé aux acteurs River Phoenix et Christian Slater. Néanmoins, Alex Proyas, qui souhaite rendre le film accessible à un public plus habitué aux salles de cinéma, n'est pas satisfait. Il recherche quelqu'un au physique imposant qui soit également capable de faire ressortir toute la sensibilité du personnage principal. Finalement, c'est Brandon Lee qui incarne Eric Draven. Fils du légendaire Bruce Lee, qui a donné ses lettres de noblesse au cinéma d'action, Brandon Lee grandit en découvrant la comédie et la pratique des arts martiaux aux côtés de son père. Il n'a que huit ans lorsque ce dernier meurt d'un oedème cérébral. Sa mère choisit alors de déménager aux États-Unis où il poursuit son apprentissage des arts martiaux et prend des cours à l'académie Actors Studio. Après avoir été tête d'affiche dans quatre productions (L'Héritier de la Violence, Laser Mission, Dans les Griffes du Dragon Rouge, Rapid Fire), Brandon Lee voit en The Crow l'occasion de s'éloigner de l'image de son père et de dévoiler son jeu dramatique.

Le sergent Albrecht, honnête flic de terrain enquêtant sur la mort puis la résurrection d'Eric, est, pour sa part, interprété par Eric Hudson. Originaire du Michigan, ce dernier passe une grande partie de sa carrière en guest star dans de nombreuses séries. Au cinéma, il est connu pour son rôle de Winston Zeddmore dans S.O.S. Fantômes  et S.O.S. Fantômes 2. Il joue également dans La Main sur le Berceau, The Watcher, Miss FBI : Divinement Armée, Dragonball Evolution et dans la série Grace and Frankie.

Michael Wincott est, lui, l'antihéros du film, le machiavélique Top Dollar, responsable de la mort d'Eric et de sa fiancée. Né à Toronto au Canada, Michael Wincott sort diplômé de la prestigieuse Julliard School of Drama. Passionné de théâtre, il joue sur les planches de New York et enchaîne les seconds rôles au cinéma. Très connu pour ses personnages de méchant, il a également la chance de jouer dans de grosses productions : Robin des Bois, Prince des Voleurs, 1492, Christophe Colomb, Alien : La Résurrection, Ghost in the Shell. En 2002, il prête sa voix à Scroop dans La Planète au Trésor - Un Nouvel Univers pour Disney. Sa voix ténébreuse et rocailleuse deviendra sa marque de fabrique, au point qu'il double régulièrement pour des jeux vidéo.

Tony Todd incarne Grange, le bras droit de Top Dollar, qui finit par traquer le corbeau, source de l'immortalité d'Eric Draven. Né à Washington, Tony Todd intègre la prestigieuse O'Neill National Theatre Institute. Il apparaît dans une dizaine de pièces avant de devenir lui-même enseignant en art dramatique. Il fait sa première apparition au cinéma dans Sleepwalk (1986), puis dans Platoon et enfin La Nuit des Morts-Vivants, remake du film culte de George A. Romero. C'est à partir des années 1990 que Tony Todd devient une icône du cinéma fantastique avec la trilogie Candyman, Wishmaster et les sagas Destination Finale et Hatchet où il tient un rôle récurrent. À la télévision, il fait quelques petites apparitions dans des séries telles Smallville, Charmed, 24 Heures Chrono, X-Files ou encore Dead of Summer.

Le reste du casting est essentiellement composée de seconds couteaux. David Patrick Kelly (Les Guerriers de la Nuit, Commando, John Wick) est T-Bird, chef de la bande engagée par Top Dollar pour liquider Eric. Rochelle Davis incarne Sarah, une jeune skateuse proche d'Eric et prise pour cible par Top Dollar, dans ce qui sera sa seule incursion au cinéma. Michael Massee (Se7en, Lost Highway, le Gentleman dans The Amazing Spider-Man et sa suite) interprète Funboy, le toxicomane de la bande qui avait une liaison avec la mère de Sarah. Jon Polito (The Big Lebowski, Les Aventures de Rocketeer, Stuart Little) est Gidéon, le recéleur qui a écoulé la bague de fiançailles offerte par Eric à sa dulcinée. Enfin, pour incarner Shelly, la fiancée d'Eric, les producteurs font d'abord appel à Cameron Diaz. Mais l'actrice se désiste à cause de désaccords sur le script. Le rôle est donc offert à Sofia Shina, actrice et chanteuse canadienne.

Plongé dans une atmosphère gothique et très noire, The Crow repose sur une histoire des plus simplistes. Un homme qui a été assassiné avec sa compagne revient d'entre les morts, ressuscité par un étrange corbeau, afin d'exécuter ses agresseurs et trouver le repos avant de rejoindre l'au-delà. Un postulat de départ intriguant et efficace, empli de surnaturel mais sans réelle originalité, qui aurait pu servir de base à n'importe quelle série B. Heureusement, c'est tout le contraire qui se passe à l'écran. En terme de réalisation, de rythme et de charisme des personnages, The Crow est une véritable claque narrative et visuelle, en tous points fidèle à l'œuvre originale de James O'Barr. Porté par un héros n'obéissant qu'à son désir de vengeance, le film est une balade dans un univers à part, proche de l'Enfer, où le crime est légion. Detroit est ici le théâtre de meurtres, viols et trafics en tous genres. La police est impuissante et les bandes règnent en maître, mettant la ville à feu et à sang jusqu'à ce que se dresse un homme, invincible et consumé par la rage, prêt à tout pour rétablir la justice...

L'absence d'originalité du film est donc habilement contourné par un scénario mélangeant action, surnaturel, amour et fantastique. The Crow réussit à alterner entre les genres pour livrer un conte macabre, à l'ambiance froide et austère tout en restant très poétique. Car The Crow est avant tout l'histoire d'une douleur, palpable tout au long du récit, celle d'un homme tourmenté, voulant apaiser son âme. Représentée avec force au détour d'une scène de résurrection parfaitement maîtrisée et prenante, cette douleur laisse finalement place à la colère. Elle éclate à plusieurs reprises lorsque le personnage, invulnérable, s'en prend à ses agresseurs. Le film ne se limite donc pas à raconter l'histoire d'un héros basique : Eric Draven ne commet pas de crime par plaisir ou par instinct, contrairement à la bande dessinée qui le présentait comme une machine à tuer que rien n'arrête. Malgré sa résurrection, Eric Draven n'est pas une incarnation du Diable et n'est pas non plus possédé par une entité maléfique. Il reste un humain qui vient réparer une injustice. Une humanité exprimée notamment au cours de flash-backs où la fragilité du héros est exposée au spectateur. C'est cette nuance entre fureur et humanité qui rend le personnage particulièrement poignant, parvenant presque à légitimer ses actes malgré leurs violences. Se dégage alors une mélancolie constante, teintée de tristesse, de passion et de folie.

Si le point de départ et le matériel de base le font passer pour une œuvre sombre et morbide, The Crow est aussi un film d'amour. Au-delà de la violence de son propos, le scénario explore, en effet, toute une palette de sentiments autre que la douleur et la vengeance. Eric Draven n'est pas seulement guidé par la haine, mais essentiellement par l'amour qu'il porte à sa fiancée décédée. Sa véritable obsession consiste à lui rendre hommage après une mort injuste et à se débarrasser de cette culpabilité qui le ronge. Ses actes sont donc motivés par un sentiment beaucoup plus fort, beaucoup plus intense que ce qu'il semble être au premier abord. Cette même motivation le conduit à sauver des vies tant qu'il le peut encore, dont celle de Darla, la mère de Sarah, sur le point de mourir d'une overdose. Peu développée dans le film, la relation entre la jeune Sarah et sa mère toxicomane touche malgré tout le spectateur. Il est donc aussi question d'amour maternel, sentiment filial qui pousse Darla à devenir une meilleure personne pour le bien de sa fille. The Crow trouve ainsi un juste équilibre entre amour et noirceur et sait se montrer à la fois haletant et touchant, que ce soit lors de ses scènes d'action ou lors de moments plus calmes, qui se concentrent sur la psychologie des personnages. Là encore, l'opus touche à tous les genres et a de quoi séduire un large public.

Tout comme la bande dessinée, The Crow est une œuvre qui parle du deuil. La perte d'un être cher y est dépeinte, voire caricaturée, au travers de scènes prenantes où le spectateur retrouve les différentes étapes vécues par les survivants. Le film passe ainsi par tous les chemins de cette difficile épreuve, emmenant avec lui le spectateur, impliqué plus que jamais. Par la "renaissance" d'Eric Draven et sa prise de conscience de la réalité, le public découvre le déni, alors que la colère et le marchandage prennent la forme des actes de vengeance et de la cruauté dont il fait preuve envers ses ennemis. La dépression, quant à elle, est dépeinte à travers les flash-backs et ses moments de faiblesse. Enfin, l'acceptation clôt le propos lorsque le héros comprend qu'il ne peut changer la réalité et ne demande qu'à rejoindre sa bien-aimée dans l'au-delà. Alternant entre tension et émotion, The Crow sait dès lors rester fidèle à son modèle de papier, mais réussit toutefois à se démarquer en apportant une vision plus mélancolique et poétique du deuil. Là où le matériel d'origine jouait énormément sur la violence graphique, le film se focalise plus sur les sentiments et les émotions. L'action n'est donc pas omniprésente, ce qui permet aux acteurs de livrer plusieurs aspects de leur talent, en particulier pour Brandon Lee dont le jeu et le charisme confirment qu'il était fait pour tenir ce rôle.

Jusque là habitué aux films de séries B ou d'action, comme son père avant lui, l'acteur cherchait avec ce The Crow à se démarquer et convaincre le plus grand nombre de son talent. Brandon Lee prouve effectivement qu'il est bien plus qu'un acteur de seconde zone suivant les traces de son patriarche. Il impose par son jeu un héros meurtri et fragile à la fois, sans trop en faire ni verser dans le ridicule. Sa fragilité contraste avec la colère qui gronde dans son cœur de héros et explose aux yeux du spectateur dans les moments de folie où il s'en prend à ses bourreaux. Les personnages qui l'entourent apportent, chacun à sa manière, leur contribution au développement de l'intrigue. Michael Wincott incarne un Top Dollar sadique et psychopathe, génie du crime et tenant d'une main de fer un groupe de trafiquants et de meurtriers. N'ayant aucun scrupule à s'en prendre à des innocents, ni même un enfant, il impose sa loi et élimine quiconque se dresse devant lui.

La jeune Sarah, narratrice de l'histoire, est l'élément émotionnel de The Crow. Lumineuse et loin du cliché de l'enfant insupportable, elle apporte un peu de légèreté à l'ensemble. Elle représente à la fois l'innocence et l'espoir, celle d'une enfant grandissant dans un milieu violent, qui veut s'en sortir et garder son humanité. Le sergent Albrecht, bien que limité et trop peu présent, joue, quant à lui, habilement les flics au grand cœur et se révèle beaucoup plus sympathique qu'il n'y paraît. De même, les personnages secondaires savent tirer leur épingle du jeu en apportant une contribution intéressante au film, notamment Shelly, dont les apparitions montrent une autre facette du héros, plus torturée et touchante. Il est néanmoins dommage que certains acteurs surjouent leur rôle, comme David Patrick Kelly et John Polito, certes amusants mais parfois trop caricaturaux.

Pour ce qui est de la réalisation, Alex Proyas plonge son film dans une ambiance quasi-mystique et poétique, misant en grande partie sur son visuel. Il fait ici le choix de la dystopie afin de créer au mieux l'environnement où évolue le héros. Se déroulant en grande partie dans un univers contemporain, The Crow adopte ainsi un style très proche du clip musical par l'utilisation de filtres de couleur, se servant du visuel pour exprimer les sentiments des personnages et leurs tourments. L'omniprésence du noir-et-blanc pour les moments plus tristes et l'utilisation, très rare, de couleurs vives pour les scènes de jour rendent le tout très efficace. The Crow prend ainsi des airs de cauchemar où les seules couleurs présentes sont celles du feu et du sang. Malgré son manque d'expérience à l'époque, Alex Proyas parvient incontestablement à se placer au niveau de grands réalisateurs comme Tim Burton, dont les travaux sur Batman, sorti deux ans plus tôt, l'ont fortement inspiré pour la mise en place de son univers.

The Crow ne se limite toutefois pas à une adaptation case par case de la bande dessinée et réussit à s'en démarquer entièrement. Si le visuel se rapproche du style de James O'Barr, la structure du récit est différente. La bande dessinée commençait, il est vrai, par un personnage principal déjà transformé et racontait une histoire ponctuée de flash-backs retraçant les événements à l'origine de sa résurrection. De son côté, Alex Proyas choisit une narration linéaire, plus adaptée au cinéma ; l'opus commençant donc avec la résurrection du héros, le drame qu'il a subi, puis sa vengeance. Un choix qui s'avère judicieux et permet plus facilement de ressentir la souffrance du personnage, le spectateur étant frappé dès les premières images par sa détresse. Par la suite, le film suit le même chemin que le comic, en adéquation avec sa structure narrative, reproduisant en tout point le cauchemar d'Eric Draven sans dénaturer l'œuvre originale.

Bien que spéciale, la réalisation fait aussi preuve d'inventivité et de trouvailles sympathiques, comme le fait de voir certains événements à travers les yeux du corbeau ou lors du plan final du film. Ainsi, Proyas joue avec les lumières, en particulier pendant les scènes d'église qui accentuent le côté maléfique de son héros, et avec la caméra cherchant à donner plus de réalisme et de vigueur à l'ensemble. Le spectateur est alors transporté par un sentiment de fascination et de frayeur lorsqu'apparaît l'ombre menaçante et morbide d'Eric Draven. Certains peuvent regretter toutefois que l'émotion soit trop souvent coupée au profit de l'action. Gothiques et obscurs à souhait, les décors reflètent pourtant une grande beauté, contrastant complètement avec le ton sombre de l'opus. Oscillant entre flashbacks et scènes d'action tendues, The Crow est une réussite en terme de réalisation et contourne habilement son manque de moyens.

Côté bande originale, sa musique est signée de Graeme Revell. Né en 1955 en Nouvelle-Zélande, Graeme Revell entre à l'université d'Auckland en vue d'être diplômé en économie et politique. Une fois ses études terminées, il travaille dans un hôpital psychiatrique en tant qu'aide soignant. Passionné de musique depuis son enfance, il produit un disque dans le but de développer la perception musicale de ses patients. Ses vrais débuts en musique s'effectuent toutefois au sein du groupe de rock SPK, pour lequel il compose plusieurs chansons. C'est à ce moment-là que George Miller et Phillip Noyce le contactent pour travailler sur le film Calme Blanc en 1989, qui lui fera remporter un prix aux Australian Film Industry Awards. Il compose quelques temps pour des films d'horreur (Chucky, la Poupée de Sang, Psychose IV), avant de s'attaquer à des productions plus sérieuses (La Main sur le Berceau, Boxing Helena, The Craft). Par la suite, il écrit les bandes originales de films plus populaires (Planète Rouge, Lara Croft : Tomb Raider, Daredevil, Sin City, la trilogie Pitch Black), mais aussi pour la télévision (les séries Eleventh Hour, The Forgotten, Gotham). Pourtant, c'est véritablement grâce à sa partition sur The Crow que Graeme Revell réussit à se faire connaître. Mélangeant instruments électroniques et ambiance ethnique, sa musique accentue les moments dramatiques tout en donnant du rythme aux scènes d'action et de combats. Le compositeur plonge encore plus le spectateur dans l'univers noir dépeint par le film et rend justice à ce dernier, le tout accompagné d'une bande-son dantesque et rock'n'roll : Rage Against The Machine, The Cure, Nine Inch Nails, Pantera.

Bien que particulièrement réussi et maîtrisé, si le film est devenu culte, c'est en partie à cause des difficultés et de faits troublants que l'équipe technique a rencontrés - un ouvrier s'est gravement brûlé suite à un choc électrique, un agent de publicité a été blessé dans un accident de voiture - donnant à The Crow sa réputation d'œuvre maudite. Mais le véritable drame fut sans aucun doute la mort de Brandon Lee à la fin du tournage, causé par le dysfonctionnement d'une arme à feu sur le plateau. Lors de la scène en question, Michael Massee (Funboy) doit, en effet, tirer sur Brandon Lee dans l'estomac alors qu'il rentre dans son appartement : le coup part et l'acteur s'effondre au milieu du décor, mais ne se relève pas. Brandon Lee est immédiatement conduit à l'hôpital où il ne peut être sauvé malgré les efforts des médecins. L'acteur meurt le 31 mars 1993 à l'âge de 28 ans. Alors qu'il devait épouser sa fiancée, Eliza Hutton, à la fin du tournage de The Crow, il est inhumé quelques jours plus tard au côté de son père. Suite à une enquête interne, il est révélé que l'arme en question avait été chargée avec des balles réelles pour les besoins d'une scène tournée précédemment et que l'une d'entre elles était restée coincée sans que l'équipe ou les acteurs ne soient au courant. La même arme fut ensuite chargée à blanc pour les besoins de la scène de l'appartement. En lieu et place de la cartouche à blanc, c'est finalement la balle réelle qui part lors du coup porté à Lee par Massee...

Le tournage est arrêté net : acteurs et techniciens sont sous le choc du décès de l'acteur, en particulier Massee, Rochelle Davis (Sarah) et James O'Barr lui-même. Au vu des circonstances, Paramount Pictures envisage de sortir le film directement en vidéo, lassée par les multiples retards de tournage et la controverse autour du décès brutal de Brandon Lee. Cependant, Miramax Films, tout juste rachetée par Disney, se montre intéressée et reprend en charge la production et la distribution au cinéma. Pour compenser l'absence de Brandon Lee, il est alors décidé de faire appel à ses doublures pour reprendre le personnage d'Eric Draven lors des dernières scènes prévues au calendrier. Alex Proyas réutilise également les rush de scènes déjà filmées avant de les modifier par des moyens informatiques. Grâce aux effets spéciaux, le visage de Lee est ainsi réutilisé et superposé numériquement sur les visages de ses doublures. Au final, la mort de Brandon Lee aura engendré un surcoût de 15 millions de dollars en raison du procédé de numérisation nécessaire pour tourner les scènes que l'acteur n'a pu terminer. Le film sera ensuite tout naturellement dédicacé à Lee ainsi qu'à sa fiancée.

The Crow sort au cinéma le 13 mai 1994, après des mois de post-production et de montage acharnés et une promotion plutôt discrète en raison de la tragédie. Il fait alors un carton en salles. Tourné pour 23 millions de dollars de budget, il rapporte 50 millions au box-office. Le film reçoit des avis positifs de la part des critiques qui, pour la plupart, le comparent aux Batman de Tim Burton et à Blade Runner. Les journalistes saluent également le parti pris visuel, la réalisation d'Alex Proyas, la musique mélancolique de Graeme Revell, l'ambiance torturée et les effets spéciaux. Certaines critiques iront jusqu'à le considérer comme la meilleure adaptation d'un comic-book au cinéma. Les prouesses techniques développées par l'équipe du film pour combler l'absence de Lee sont également applaudies, tout comme l'interprétation, et en particulier celle de l'acteur principal. Le succès de The Crow est malgré tout essentiellement dû à la mort de Lee et des nombreuses théories qui finissent par éclore. Si une partie des spectateurs adhèrent à la thèse de l'accident, d'autres s'interrogent. Tout d'abord, parce que Brandon Lee est mort alors qu'il était une star montante du cinéma, tout comme son père, dont le décès fut tout aussi suspect. Enfin, les accidents répétés sur le tournage et l'absence de précaution lors de la manipulation de l'arme alimentent les théories les plus folles, dont celle du meurtre avec préméditation.

Précédé par une réputation houleuse nourrie par une négligence fatale, The Crow demeure malgré tout un succès critique apprécié d'une majeure partie du public. Le film est vu comme un "chef d'oeuvre gothique", une "référence en matière de fantastique", une "oeuvre à part visuellement et émotionnellement intense, marquée par la mort tragique de son interprète". Le succès est tel que Miramax commandera une suite en 1996, intitulée The Crow : La Cité des Anges avec Tim Pope à la réalisation et Vincent Pérez dans le rôle-titre, toujours composée par Graeme Revell et supervisée par James O'Barr. En 1998, The Crow : Stairway to Heaven, une série télévisée produite par Polygram Television et inspirée du premier film, est diffusée au Canada. Eric Draven est cette fois interprété par Marc Dacascos. Deux autres suites, aux qualités plus que discutables, verront ensuite le jour : The Crow 3 : Salvation (2000) et The Crow : Wicked Prayer (2005). En 2008, un projet de remake est annoncé, mais connaît de nombreuses déconvenues. Après dix ans de développement, le film, sobrement intitulée The Crow, entre en production en février 2018 pour une sortie prévue sur les écrans américains le 11 octobre 2019, avec Corin Hardy (Le Sanctuaire, The Nun) à la réalisation et Jason Momoa (Game of Thrones, Frontier, Justice League) dans le rôle mythique d'Eric Draven. Hélas, tous deux renoncent finalement pour différends artistiques et financiers ; la malédiction de The Crow n'en finissant décidément pas d'entraver toute volonté d'adaptation...

Maudit par sa genèse et son développement, chef-d'œuvre d'émotion et de fantastique aux images sophistiquées, The Crow est bien plus qu'une histoire de vengeance simpliste. Poétique, sombre, violent, profondément juste et formidablement interprété, il mérite amplement son statut de film culte.

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