Les Faussaires de Manhattan

Titre original :
Can You Ever Forgive Me ?
Production :
Archer Gray Productions
Date de sortie USA :
Le 19 octobre 2018
Genre :
Comédie dramatique
Réalisation :
Marielle Heller
Musique :
Nate Heller
Durée :
107 minutes
Disponibilité(s) en France :

Le synopsis

En 1991 à Manhattan, l’écrivaine Lee Israel traverse une période difficile alors que ses ouvrages biographiques ne se vendent plus et qu’elle a désespérément besoin d’argent pour payer son loyer et soigner son chat malade, le seul être qui l’accompagne véritablement. Son destin évolue lorsqu’elle a l’idée de rédiger et de vendre des fausses lettres de célèbres artistes disparus.

La critique

rédigée par
Publiée le 14 septembre 2019

Derrière les mots se cachent parfois des maux. Les Faussaires de Manhattan illustre le chapitre de la descente aux enfers et de la rédemption ambivalente d’une écrivaine qui s’est progressivement coupée du reste de la société et ne peut plus vivre décemment de son art. Par son ton drôle et touchant, il met brillamment en scène, avec une grande humanité, l’histoire vraie d’un basculement dans l’illégalité.

Le scénario des (Les) Faussaires de Manhattan est rédigé par Nicole Holofcener et Jeff Whitty à partir des mémoires de l'auteure américaine Lee Israel parues en 2008 et dont le titre Can You Ever Forgive Me?: Memoirs of a Literary Forger est partiellement repris pour la version originale du film. David Yarnell, producteur du long-métrage et ami de longue date d’Israel, l’avait en effet persuadée de raconter les péripéties de sa vie.
Lee Israel naît le 3 décembre 1939 à New York et écrit dans les magazines dans les années 60 avant de rédiger dans les années 70 et 80 plusieurs biographies de femmes dont celle de la journaliste Dorothy Kilgallen qui apparaît dans la liste des meilleures ventes du (The) New York Times. Le violent échec de sa biographie d’Estée Lauder, cofondatrice de la marque de produits cosmétiques portant son nom, marque ensuite un coup d’arrêt dans sa carrière. Alors qu’elle sombre dans l’alcoolisme et rencontre des difficultés croissantes à s’intégrer dans la société, ses relations avec son éditeur se brouillent si bien qu'elle ne parvient plus à vivre de son métier. Ayant échoué à conserver un emploi alimentaire plus classique, elle finit par avoir l’idée au début des années 90 de rédiger des fausses lettres de célèbres auteurs et acteurs disparus (Dorothy Parker, Noël Coward…) afin de les revendre à des libraires qui en font le commerce auprès de collectionneurs. Professionnalisant son système frauduleux pour lequel elle développe une démarche artistique et s’appuyant sur un complice, Jack Hock, elle finit par être rattrapée par la loi. Elle poursuit ensuite une existence solitaire et anonyme jusqu’à la publication de sa biographie. Atteinte d’un myélome, elle décède le 24 décembre 2014. Les Faussaires de Manhattan est donc dédié à sa mémoire.

Lee Israel devait initialement être interprétée par l’actrice Julianne Moore (Neuf Mois Aussi, The Big Lebowski). Toutefois, d’importantes divergences artistiques apparaissent entre elle et Nicole Holofcener (All About Albert), censée diriger l’œuvre dont elle a rédigé le scénario. Les deux femmes quittent finalement la production et Melissa McCarthy est choisie pour incarner le personnage.
Née le 26 août 1970 à Plainfield dans l’Illinois, elle débute sa carrière d’actrice en apparaissant dans plusieurs films dont Sale Môme (2000) sous le label Disney. Elle est plus largement révélée à la télévision entre 2000 et 2007 avec la série Gilmore Girls, entre 2007 et 2009 dans la production ABC Studios Samantha Qui ? puis entre 2010 et 2016 dans Mike and Molly, pour laquelle elle reçoit un Emmy Award. Elle double également le personnage de la méchante Amy Hall entre 2002 et 2005 dans trois épisodes de la série animée Kim Possible. Dans les années 2010, l’actrice enchaîne les succès sur grand écran avec notamment, chez 20th Century Fox, Les Flingueuses (2013) et Spy (2015). Elle est choisie en 2019 par Disney pour interpréter la méchante Ursula dans le remake en prises de vues réelles de La Petite Sirène (1989).

Interprétant pour la première fois une personne réelle, Melissa McCarthy “tombe amoureuse” de Lee Israel et s'avoue rapidement fascinée par sa complexité. Cet intérêt se ressent tant la performance de la comédienne est magistrale. Elle lui vaut d’ailleurs d’être nommée pour l’Oscar de la Meilleure actrice, finalement remporté par Olivia Colman pour son interprétation de la reine Anne dans La Favorite (2018). McCarthy incarne parfaitement cette écrivaine fauchée et alcoolique qui maîtrise l’art du sarcasme. Son sens de la comédie confère en effet au personnage sa malice et amuse le spectateur tout en parvenant à le toucher profondément.
Il est bouleversant de voir un esprit aussi vif que celui de Lee Israel s’enfermer en toute conscience avec l’aide de l’alcool, le nocif consolateur auquel elle a largement cédé. Les barrières qu’elle a placées dans ses rapports avec les êtres humains s’effondrent toutefois avec son chat Jersey, seul compagnon de confiance à qui elle a décidé d’offrir de l’affection. Alors que sa vie professionnelle s’est effondrée et que sa vie personnelle avoisine le néant, le félin est le seul à lui donner une motivation pour rester en vie en lui assignant un objectif précis : gagner assez d’argent pour pouvoir le soigner. Sa relation avec l’animal est d’ailleurs à l’origine d’une scène touchante pour qui s’est déjà attaché à ces compagnons à quatre pattes. Mais l’écrivaine finit tant à tort qu’à raison par s’ouvrir à ses congénères humains.

Jack Hock est le principal d’entre eux. Vieille connaissance de Lee Israel retrouvée par hasard dans un bar de Greenwich Village, cet excentrique fantaisiste et insouciant gagne progressivement la confiance de l’écrivaine en lui apportant une aura positive compensée par une fiabilité toute relative. Faisant fi des normes et des règles, il survit en vendant de la cocaïne de mauvaise qualité qu’il ne consomme que trop, ceci lui valant quelques aventures malheureuses. Par sa désinvolture, il s’avère être le parfait complice imparfait pour vendre des lettres contrefaites.
Sam Rockwell (Iron Man 2, 3 Billboards - Les Panneaux de la Vengeance) et Chris O’Dowd (The IT Crowd, Thor : Le Monde des Ténèbres) sont d’abord sélectionnés pour jouer le personnage de Jack Hock. Toutefois, c’est finalement Richard E. Grant qui décroche le rôle. Né le 5 mai 1957 dans le Swaziland britannique, l’acteur anglais est principalement connu pour avoir joué dans Withnail et Moi (1987), La Dame de Fer (2011) et Logan (2017). Fin 2019, il doit apparaître en tant que général du Premier Ordre dans Star Wars : L’Ascension de Skywalker. Nommé pour le rôle de Hock à l’Oscar du Meilleur Acteur dans un second rôle, le comédien impressionne par l’énergie qu’il parvient à lui donner. Alors qu’il lui confère d’abord uniquement une image fantasque, il parvient rapidement à le rendre émouvant, son jeu s’adaptant à la perfection aux situations dramatiques. Censé être dans l’ombre de Melissa McCarthy, Richard E. Grant partage en réalité l’affiche avec elle sans aucune difficulté.

L’alchimie entre les deux acteurs est totale et permet à la relation amicale de Lee et Jack de se dérouler sous les yeux du spectateur de façon à la fois fusionnelle et contrariée. Ces deux protagonistes cassés qui ne cherchent pas à être réparés se retrouvent dans leurs failles et s’apportent malgré eux un soutien qui leur devient indispensable. S’instaure entre les deux une certaine dépendance alors que chacun vit avant tout par et pour une autonomie qu’ils croient protectrice. Leurs interactions, ainsi que celles qu’ils entretiennent avec les personnages secondaires, bénéficient de dialogues réussis et dynamiques qui ne cèdent jamais à la facilité. Ils prennent, en effet, le temps d’instaurer une conversation qui n’a pas systématiquement pour objet de faire avancer l’intrigue. Ils permettent ainsi de mieux cerner ceux qui les prononcent et ne sont jamais aussi anodins qu’ils pourraient le laisser croire.
L’homosexualité de ces deux personnages est abordée sans fard mais ne constitue pas pour autant un point de développement de l’intrigue. Elle permet seulement d’appréhender les traits de caractère de Lee et de Jack et les relations qu’ils entretiennent aussi bien avec autrui qu’avec eux-mêmes. Une scène de dîner potentiellement romantique avec une femme jouée par Dolly Wells (Le Journal de Bridget Jones) illustre ainsi avant tout le décalage entre Lee et le reste du genre humain et son incapacité à se livrer à ses congénères. La sexualité de Jack est quant à elle mise en avant pour montrer la vanité et le caractère de séducteur invétéré de ce fêtard charmeur dont les réveils sont toujours plus délicats que les couchers. Sa liberté lui réserve un destin bouleversant présenté avec la douceur et l’humour triste et tendre qui caractérisent Les Faussaires de Manhattan.

Le film s’attache à dépeindre le monde cruel et hypocrite des écrivains new-yorkais, notamment lors d’une scène qui invite le spectateur lors d’une soirée mondaine. Ce monde empli de snobisme semble récompenser ceux qui abandonnent l’idée d’une écriture audacieuse pour lui préférer une redoutable efficacité commerciale. L’auteur qui reste en marge de ce système bien établi se voit implacablement isolé et renforce une solitude qui trouve déjà matière à s’exprimer pour celui ou celle qui exerce son métier seul face à son imagination. Le syndrome de la page blanche est ainsi évoqué, mais Les Faussaires de Manhattan écrit également l’histoire d’une inspiration non récompensée parce qu’elle n’a d’intérêt pour personne d’autre. Un livre mérite-t-il d’être écrit s’il n'intéresse aucun lecteur ? Certes, la question n’est pas explicitement posée mais la frustration de Lee convoque l’opposition irréconciliable entre l’art et l’approche mercantile de l’édition.

Le thème principal du film est évidemment celui de la définition du caractère d’œuvre lorsque son auteur se fond dans le moule établi par un autre artiste. Le travail de Lee Israel dans ses fausses lettres est, il est vrai, de s’immerger totalement dans l’esprit de la personne dont l’identité est usurpée. Si elle est pleinement consciente de se trouver dans l’illégalité, elle n’éprouve aucun problème moral et a bel et bien le sentiment de constituer une œuvre, la sienne, parfaitement légitime. De fait, elle fournit un travail de recherche important sur chacun des artistes imités et fait preuve d’un talent certain pour parvenir à son méfait. Exprimer de la créativité dans un cadre déjà établi et par définition restreint pourrait même, selon un certain point de vue, prétendre à plus de mérite que créer à partir d’une feuille blanche en bénéficiant ainsi d’une totale liberté. Un autre regard pousserait à considérer que les bornes préexistantes facilitent nettement la réalisation de ce qui ne saurait alors être qu’un pastiche, une imitation. Une question sans réponse unique que Les Faussaires de Manhattan aborde avec intelligence.

Après le départ de Nicole Holofcener, la direction de l’opus revient à Marielle Heller. Née le 1er octobre 1979 à Marin en Californie, la cinéaste est d’abord attirée par la comédie et joue au sein d’une troupe de théâtre pour enfants avant d’étudier les arts dramatiques à l’université puis à la Royal Academy of Dramatic Art de Londres. Elle débute sa carrière au théâtre et apparaît dans quelques films et séries dont Spin City en 2002. Heller passe finalement à la réalisation en 2015 avec The Diary of a Teenage Girl qui est nommé pour le Grand Prix du Jury du Festival de Sundance et reçoit l’Ours de Cristal du film pour jeunes de plus de 14 ans au Festival International du Film de Berlin. Elle poursuit dans la même lignée en 2018 avec Les Faussaires de Manhattan et parvient à attirer sur son seul nom l’acteur Tom Hanks (Seul au Monde, Dans l’Ombre de Mary - La Promesse de Walt Disney) qui rejoint la production de son prochain projet intitulé A Beautiful Day in the Neighborhood après avoir appris sa présence derrière la caméra. Une belle reconnaissance de son travail !

Le cinéma de Marielle Heller parle selon elle “d’être humains qui tentent de naviguer à travers le monde”, cette description correspondant parfaitement à son travail sur Les Faussaires de Manhattan. Sa mise en scène est subtile, intelligente et joue pudiquement avec le regard des personnages en posant sa caméra dans des angles qui saisissent parfaitement le centre de gravité des scènes. Elle met également en valeur les lumières nocturnes et diurnes de New York au point d’en faire un personnage à part entière du film. La ville est sublimée comme rarement au cinéma, non pour son gigantisme comme cela est courant mais au contraire pour l’intimité de ses librairies et bars.
Totalement conforme à l’identité new-yorkaise, la bande originale jazzy du long-métrage est composée par le frère de la réalisatrice, Nate Heller, qui avait déjà travaillé avec elle sur son premier film. Le compositeur joue harmonieusement avec un piano qui ponctue ironiquement certaines situations légères et humoristiques tandis que les cuivres apportent une gravité supplémentaire aux moments difficiles traversés par les personnages. Pour ne rien gâcher, des morceaux sélectionnés avec goût ponctuent les scènes avec leur jazz intemporel : I Thought Of You Last Night par Jeri Southern, Bad Luck par Dinah Washington, Street Of Dreams par Peggy Lee et bien d’autres.

Les Faussaires de Manhattan est projeté pour la première fois le 1er septembre 2018 au Festival du Film de Telluride, dans le Colorado, avant de figurer le même mois au programme du Festival International du Film de Toronto. Le long-métrage sort dans les salles américaines le 19 octobre 2018 et parvient à faire un peu mieux que se rembourser en générant des recettes de 11,8 millions de dollars à l’international, alors qu’il n’a initialement pas accès à certains marchés.
Il faut en effet attendre le 31 juillet 2019 pour voir le film distribué dans les salles françaises par Condor, qui avait déjà porté sur les écrans Cœurs Ennemis (2019) quelques mois plus tôt. Il réunit alors difficilement 79 000 personnes durant ses deux premières semaines d’exploitation dans l’hexagone. Il est en effet bien difficile pour une œuvre indépendante à la thématique exigeante de se frayer un chemin dans une période estivale bien davantage favorable aux blockbusters. Il est donc à regretter qu’une date de sortie moins tardive n’ait pas été trouvée.

La critique n’en est pas moins dithyrambique et acclame sans réserve Les Faussaires de Manhattan, principalement pour la performance extraordinaire de ses deux acteurs principaux et la qualité de son script. Il figure à ce titre parmi les dix meilleurs films de 2018 selon le National Board of Review et reçoit le titre de meilleur scénario adapté de la part de l’influente Writers Guild of America. Il récolte également de nombreux prix décernés par des associations ou dans des festivals locaux. S’il n’y remporte aucune statuette, l’opus fait l’objet de trois nominations lors de la cérémonie des Oscars 2019. En plus de celles de de Melissa McCarthy et de Richard E. Grant, le script de Nicole Holofcener et Jeff Whitty est en effet nommé pour le Meilleur Scénario adapté. Une reconnaissance méritée !

Les Faussaires de Manhattan est une grande réussite qui aborde avec douceur et un humour doux-amer les péripéties de deux êtres marginalisés. En narrant avant tout l’histoire vraie de Lee Israel, il pose des questions profondes sur le processus de création et la condition de l’artiste. Magnifié par le jeu de Melissa McCarthy et de Richard E. Grant ainsi que par la mise en scène de Marielle Heller, il amuse, bouleverse et provoque l’humanité du spectateur en dévoilant celle de ses personnages.

Comme un excellent livre, Les Faussaires de Manhattan reste en mémoire bien longtemps après la conclusion du dernier chapitre. Il est temps de tourner la page de garde et de le dévorer !

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