Normal People

« Je ne suis jamais seule, quand je suis avec toi. » Marianne à Connell.

S’il fallait résumer simplement Normal People, il serait de bon ton de dire qu’au cœur de cette histoire, se trouvent deux personnages qui se comprennent plus que la plupart des gens ne pourront jamais comprendre une autre personne. Pour autant, tous deux ont mal compris les choses les plus simples l'une de l'autre. Et c'est peut-être pour cela qu'eux aussi sont des « gens normaux ».

Normal People est une série dramatique en 12 épisodes d’environ 30 minutes, sortie en avril 2020 en coproduction Hulu, BBC Three et Element Pictures et basée sur le roman du même nom, écrit par l’auteure irlandaise Sally Rooney, paru en 2018.
Née en 1991, l’écrivaine, qui se présente comme ouvertement marxiste et féministe, a obtenu un master de littérature anglaise et américaine à Trinity College, célèbre université de Dublin. Au cours de ses études, elle rédige son premier roman, Conversations entre Amis, paru en 2017 et devient rapidement la porte-parole de la génération des Milléniaux. Avec Normal People, son deuxième livre, elle obtient notamment le prix Costa du meilleur roman, l’un des prix littéraires les plus prestigieux en Angleterre.

À la suite du succès du livre, le studio Hulu annonce le 30 mai 2019 avoir commandé une mini-série tirée de Normal People, avec la participation de Sally Rooney à la rédaction du scénario, et réalisée par Lenny Abrahamson et Hettie Macdonald.
Lenny Abrahamson est un réalisateur irlandais, principalement connu pour le film Room, sorti en 2015 et pour lequel Brie Larson (Captain Marvel) a obtenu l’Oscar de la Meilleure Actrice en 2016. Hettie Macdonald, quant à elle, est une réalisatrice anglaise de cinéma, de théâtre et de télévision (Doctor Who, Howards End). Outre Sally Rooney, co-scénariste des six premiers épisodes, la série a bénéficié du travail de Alice Birch (The Young Lady, The Wonder) et Mark O’Rowe.

Normal People est donc une série qui raconte une première histoire d’amour, dans toute sa sensibilité, son intensité et sa complexité, avec une représentation extrêmement convaincante des sentiments amoureux, par leur naturel et leur tendresse immense. Une série qui, non seulement dresse un portrait à la fois pudique, romanesque et cru d’une génération qui découvre la vie, mais également une initiation sensuelle, intellectuelle de deux jeunes adultes « normaux » : Marianne Sheridan et Connell Waldron, et ce, avec une grande intelligence et un regard contemporain.

La série, comme le livre, commence durant la dernière année de lycée de Marianne et Connell, à Carricklea, ville fictive du Comté de Sligo, au nord-ouest de l’Irlande. Marianne est la fille brillante, mais intimidante et sauvage du lycée. Timide et complexée, elle est très solitaire, tout en se permettant de répondre aux autres, les professeurs comme les élèves, avec une certaine insolence. Connell est, quant à lui, le beau gosse aux yeux clairs. Sportif, c’est un garçon très doué et sensible, au caractère réservé, toujours entouré de ses amis populaires.
La série s’attarde sur la découverte du désir et de l’amour. D’un amour profond et inconditionnel qu’ont deux personnes l’une pour l’autre. C’est aussi une série sur l’abandon de soi et la découverte de la sexualité. En secret, Connell et Marianne vont apprendre à s’aimer, entre tâtonnement et pression sociale. Elle est issue d’une famille bourgeoise violente et toxique, il est le fils de la femme de ménage, et n’assume pas son attirance pour la marginale de la classe, face à son groupe de copains. La fin de lycée, pleine d’amertume, se conclut sur leur rupture.

Il s’opère alors un véritable tournant à l’université. Sur les conseils de Marianne, Connell a candidaté lui aussi à Trinity College pour un cursus littéraire au lieu de partir faire du droit à la fac du coin. Ils se retrouvent donc quelques mois plus tard à Dublin au cours d’une soirée. Ici, Marianne est une fille dans son élément : elle est à l’aise, entourée et courtisée. Connell, quant à lui, est paumé au milieu des codes de son nouvel univers et se sent seul et déraciné. Après leur rupture, quelques mois auparavant, ils recommencent à se fréquenter et leur relation évolue entre amour et amitié. L’un et l’autre vont s’aider à grandir : Marianne va pousser Connell à croire en son avenir. Connell va aider Marianne à soigner son ego. La beauté de leur relation tient autant à cet échange intellectuel qu'à leur attirance physique et aux sentiments forts qu’ils éprouvent l’un pour l’autre.
Les personnages ressemblent à leur public. Marianne, c’est le soi de tous les introvertis, avant d’avoir trouvé la ou les personnes qui leur ressemblent et partagent le même monde, et qui apprennent à se mettre littéralement et mentalement à nu, entre doutes et sentiments contradictoires avec le besoin de plaire à l’autre. Connell c’est le soi des anxieux. Un taiseux, qui subit de plein fouet le regard des autres sur sa situation sociale et son appartenance à la classe ouvrière dans un milieu bourgeois.

Pour interpréter ces personnages si forts et complexes sur lesquels repose la série, il fallait un casting impeccable, et pour cela Normal People ne s’y est pas trompé tant la justesse de l’interprétation de ces deux presque inconnus à l’époque, leur magnétisme évident, leurs conversations tout comme les scènes érotiques, sublimement filmées, magnifient leur histoire, pourtant déjà très belle en soi. 
Daisy Edgar-Jones interprète le rôle de Marianne Sheridan. Née en 1998, elle est une actrice britannique, formée au National Youth Theater. Après un premier rôle dans la série britannique Cold Feet en 2016, elle se fait connaître à l’international avec un rôle dans les deux premières saisons de la coproduction Franco-Americano-Britannique La Guerre des Mondes, diffusée entre 2019 et 2022. Mais c’est avec son rôle dans Normal People, qu’elle connaît la consécration et se voit offrir des rôles dans des films et séries de plus grande envergure. En 2022, elle incarne le rôle de Kya, l’héroïne de la transposition sur grand écran du succès littéraire Là où Chantent les Écrevisses, écrit par Delia Owens. Cette même année, sur Disney+, elle est l’un des personnages principaux de deux productions de la plateforme : Fresh, film dont elle partage l’écran avec Sebastian Stan, et Sur Ordre de Dieu, mini-série avec Andrew Garfield et adaptation du livre du même nom de Jon Krakauer.

Paul Mescal incarne Connell Waldron. Acteur irlandais, né en 1996, il est diplômé d’une licence de lettres à Trinity College et ancien joueur de football gaélique, comme son personnage. En parallèle, il étudie le théâtre à la Lir Academy de Trinity College et interprète ses premiers rôles sur les scènes de Dublin dans des adaptations de William Shakespeare, F. Scott Fitzgerald, James Joyce ou encore Hans Christian Andersen. Normal People est son premier rôle télévisuel. Rôle, qui non seulement lui permet de décrocher le British Academy Film Award (BAFTA) du meilleur acteur, mais qui lui ouvre aussi les portes du grand écran. Après un second rôle dans le film The Lost Daughter, en 2021, première réalisation de l’actrice Maggie Gyllenhaal, il décroche l’année suivante le rôle principal du film Aftersun, pour lequel il obtient une nomination à l’Oscar et au BAFTA du meilleur acteur en 2023. Cette même année, il est attendu dans Carmen, adaptation cinématographique contemporaine de l’opéra de Georges Bizet, par le danseur et chorégraphe français Benjamin Millepied.

Au-delà des sujets brillamment abordés, Normal People est aussi une série très esthétique et irrésistible, tout en étant sombre et intransigeante grâce à une réalisation et un jeu élégants. La sobriété de l’ensemble renforce sa beauté et sa justesse. Les plans sont magnifiques. Les scènes d’intimité sont superbement filmées, avec une incroyable délicatesse. Ici, aucun voyeurisme, les séquences érotiques ne sont jamais présentées gratuitement ou de façon malséante. Au contraire, l’un des grands points forts de la série est que chacune des scènes se veut comme une représentation honnête de l’intime et montre l’harmonie entre les deux acteurs. À ce sujet, le créateur de la série, Lenny Abrahamnson, a déclaré « Dès le début, nous avons cherché à instaurer un climat de confiance et de sécurité entre les acteurs et toute l’équipe, avec l’objectif de réaliser vraiment une œuvre d’art ». Et pour réaliser cette œuvre d’art, la production s’est attachée les services d’une coordinatrice d’intimité et directrice de mouvement, Ita O’Brien. Cette dernière, qui a notamment travaillé sur Le Dernier Duel, Empire of Light ou la série The Great, est une véritable pionnière de ce métier, qu’elle a contribué à définir. Danseuse au théâtre pendant dix ans et actrice durant huit, elle exerce comme coordinatrice d’intimité depuis 2014. De ce fait, elle prépare les scènes de sexe, tout en faisant en sorte que les acteurs soient à l’aise et que leur consentement et leurs limites soient respectés.

La résultante de ce travail est que le spectateur est face à une représentation extrêmement convaincante des sentiments amoureux. Les scènes intimes, rarement filmées ainsi, sont à la fois puissantes et d’une délicatesse incroyable et mettent les deux personnages sur un pied d’égalité. Le consentement est abordé explicitement sans en ôter le romantisme ou la sensualité des scènes d’amour. D’autres thématiques déterminant la vie d’adulte sont, elles aussi, abordées avec le plus grand soin : acceptation des désirs, fragilité masculine, dépression, santé mentale, relation abusive, fossé social. La question du regard et de la pression sociale, cette peur de ne pas être à la hauteur de ce que les autres attendent de vous, se retrouve également au cœur de l’histoire, cachée derrière cette romance. La masculinité est quant à elle étudiée minutieusement et permet de mieux en dévoiler les failles et limites, avec, en miroir, des personnages féminins qui malgré tout portent en eux le poids des attentes d’une société patriarcale.

La série est non seulement brillante et réaliste, mais elle réussit à raconter avec pudeur et justesse les premiers émois et premières relations amoureuses. Ainsi que les égarements d’une génération un peu paumée, qui a du mal à s’engager dans des sentiments et pour qui le sexe permet parfois de se trouver. Ceci ancre profondément Normal People dans le monde réel et permet au spectateur de se retrouver dans une relation qui lui semblera familière, pleine de contradictions, où l’honnêteté et la spontanéité sont mises en avant, tout en livrant un regard précieux sur la jeunesse actuelle et le difficile passage à l’âge adulte, avec tous les questionnements qui tournent autour des relations humaines de manière générale.

Normal People est une série extrêmement fidèle au roman. Les dialogues sont respectés. Pour autant, elle permet de développer davantage des scènes par son esthétique et la justesse d’interprétation des acteurs quand celles-ci sont juste effleurées dans le livre. La série est aussi plus facile à suivre, étant davantage linéaire dans sa progression, alors que le livre alternait les points de vue entre Marianne et Connell à chaque chapitre et se permettait de nombreux flashback. La musique joue également pour beaucoup dans le succès de l’adaptation. Composée par Stephen Rennicks (Room), la partition est magnifique et vient appuyer les moments forts de l’histoire, sans jamais prendre le pas sur les sons environnants. La musique originale est de plus soutenue par une bande son assez éclectique, dont les titres concluent judicieusement chacun des épisodes. La sélection se voulant en lien avec l’évolution des goûts musicaux de Connell et Marianne durant leurs premières années d’adulte.

Acclamée par la critique et plébiscitée par le public, la série est louée pour sa justesse. Variety écrit d’ailleurs qu' « avec son tiercé élégant d'écriture, de mise en scène et d'acteur, Normal People de Hulu est tout aussi sombre et sans compromis que le roman de Rooney - un exploit qui prend plusieurs épisodes pour être pleinement absorbé. En fait, il m'a pris jusqu'à environ la moitié du chemin pour comprendre à quel point cela m'affectait. Alors que la relation de Marianne et Connell s'approfondit, Normal People devient aussi immersif que le livre qui l'a inspiré, vous faisant à la fois envie et peur de savoir ce qui se passe ensuite. » Diffusée principalement par le biais de plateformes ou de services à la demande, la série s’exporte et connaît le succès dans le monde entier. Fin 2020, la BBC annonce que le record de vues sur sa plateforme a été battu avec plus de 62,7 millions de vues pour Normal People depuis sa mise en ligne à la fin du mois d’avril.

Outre le BAFTA du meilleur acteur obtenu en 2021 par Paul Mescal, la série remporte neuf prix sur quinze nominations aux Irish Film & Television Awards (IFTA) de la même année, parmi lesquels l’IFTA de la meilleure série dramatique, du meilleur réalisateur pour Lenny Abrahamson, du meilleur scénario pour Sally Rooney et du meilleur acteur pour Paul Mescal. Entre 2020 et 2021, elle obtient également plusieurs nominations prestigieuses dont les Golden Globe Awards de la meilleure mini-série pour Normal People, de la meilleure actrice dans une mini-série pour Daisy Edgar-Jones, ainsi que les Emmy Awards du meilleur acteur dans une mini-série pour Paul Mescal, du meilleur réalisateur pour Lenny Abrahamson pour l’épisode 5 et du meilleur scénario pour Alice Birch et Sally Rooney, pour l’épisode 3.

Normal People est un véritable bijou télévisuel, une série à la beauté fulgurante, enracinée dans le monde réel sur une histoire « normale » personnelle, ultra-intimiste et pourtant terriblement universelle, où le banal est rendu captivant tant il est profondément juste. Une histoire compliquée, car ancrée dans des réalités qui la dépassent, portée par des personnages riches et complexes, interprétés par des acteurs d’une justesse incroyable, qui apportent force aux dialogues et aux gestes. Apprendre. À aimer, à grandir, à vivre. C’est ce que raconte avec finesse Normal People, une série saisissante et émouvante, dont il sera dès lors difficile de se remettre.