Disney Censure Picsou
L'œuvre de Don Rosa Amputée

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Publié le 16 février 2023 à 11H30, modifié le 15 mars 2024 à 15H13

Il n'y a encore pas si longtemps, le désastreux incident Don't Say Gay venait sérieusement écorner l'image vertueuse que The Walt Disney Company s'efforce de cultiver depuis des années à coup d'inclusivité dans ses productions, à l'écran comme sur papier. De plus en plus souvent, les vraies prises de position assumées comme dans Avalonia, L'Étrange Voyage viennent remplacer les petites saynètes faciles à faire sauter dans les pays les moins avancés en matière de Droits de l'Homme, même s'il reste du chemin à parcourir. Il serait donc injuste de taxer la société de couardise, tant les efforts déployés depuis quelques années maintenant sont nombreux, surtout à la télévision et sur Disney+. Mais à trop vouloir bien faire, Disney se prend parfois les pieds dans le tapis, comme lorsque la société confond l'inclusivité, le respect des populations marginalisées et la censure. En cause cette fois-ci, deux bandes dessinées incontournables de Don Rosa que Disney aurait décidé de faire disparaître.


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Des personnages trop caricaturaux

C'est dans la journée du 14 février 2023 que l'illustre Don Rosa partage sur Facebook la nouvelle. Dans The Official Don Rosa Group, un groupe qui rassemble près de 10 000 fans de l'artiste, Don Rosa publie l'extrait d'un courriel que lui a envoyé l'un de ses éditeurs :

Dans le cadre de son engagement permanent en faveur de la diversité et de l'inclusion, The Walt Disney Company est en train de réexaminer son catalogue d'histoires. En conséquence, plusieurs œuvres qui ne correspondent pas à ses valeurs ne seront plus publiées. Cela s'applique à deux de vos histoires, Le Canard le Plus Riche du Monde [NDLR : parfois appelée aussi Le Bâtisseur d'Empires du Calisota] et Le Rêve de Toute une Vie. Ces histoires ne feront pas partie des futures réimpressions et des nouvelles éditions.

Le courriel demeure très vague, en plus de venir de l'un de ses éditeurs et non d'un représentant de Disney en personne, mais Don Rosa a rapidement avancé une théorie quant à la raison du boycott de deux de ses histoires les plus célèbres : le personnage de Bombie.

Dans Le Canard le Plus Riche du Monde/Le Bâtisseur d'Empires du Calisota, l'avant-dernière partie de son œuvre majeure La Jeunesse de Picsou, Don Rosa envoie Picsou en Afrique en compagnie de ses deux sœurs Matilda et Hortense. Et il faut bien être honnête, l'histoire dépeint les personnages africains de façon peu flatteuse. Entre le chef d'une tribu indigène crédule, le sorcier vaudou Houla Lala et le Zombie Bombie, les trois principaux personnages africains de l'histoire sont des caricatures ambulantes, des personnages noirs issus d'une terre de magie fantasmée à travers le prisme du colonialisme occidental. Il faut toutefois noter que ces deux personnages ne sont en rien des créations de Don Rosa ; ils sont en réalité nés de la plume du non moins légendaire Carl Barks, en 1949 dans l'histoire Bombie le Zombie. Quarante-cinq ans plus tard, en 1994 lorsque paraît Le Canard le Plus Riche du Monde, Don Rosa reprend donc les personnages pour les inclure dans son histoire définitive de Picsou. Le Rêve de Toute une Vie, de son côté, est une histoire parue bien plus tard, en 2002. La BD, contrairement à la précédente, ne présente quasiment aucune caricature, en dehors de la présence de Bombie dans trois malheureuses cases. Ce sont toujours trois cases de trop pour Disney semble-t-il.

Les méthodes hypocrites de Disney

Le Canard le Plus Riche du Monde comporte donc des représentations datées et qui pourraient mettre mal à l'aise une partie du lectorat, c'est un fait. Dans le même temps, il faut tout de même préciser que Picsou n'a pas spécialement le beau rôle dans l'histoire lui non plus. Dépeint comme un colon blanc ivre d'argent facile, Picsou n'hésite pas à mener l'assaut sur un village de façon violente, son comportement intolérable finissant même par éloigner ses sœurs qui le somment à plusieurs reprises de ne pas se conduire ainsi. Dans tous les cas, que cette censure soit due aux personnages racistes ou au comportement exécrable de Picsou, devenu entre temps l'un des plus grands héros de la firme, il est dommage que Disney ne tente même pas de simplement recontextualiser ces récits. Pourquoi la société aux grandes oreilles préfère-t-elle cacher les œuvres qu'elle juge problématiques plutôt que de proposer à des spécialistes de développer un appareil critique à même d'accompagner ces récits, à une époque où la représentation et la diversité sont des sujets essentiels et largement discutés ? Glénat l'a d'ailleurs très bien fait dans La Dynastie Donald Duck, qui rassemble l'intégralité des récits de Carl Barks dont la fameuse histoire Bombie le Zombie, dans le vingt-troisième tome Perdus dans les Andes. La plateforme Disney+ propose de son côté des avertissements avant des films comme Pinocchio ou Peter Pan, pourquoi serait-il impossible de faire la même chose avec une série de comics ?

Disney est une société inclusive et qui a à cœur de pousser la diversité, c'est vrai. Mais Disney, souvent incapable de composer avec un passé qui n'est pas aussi rose que la firme aimerait le faire croire, tend de plus en plus à cacher sous le tapis ses œuvres les moins policées en faisant comme si elles n'avaient jamais existé. Sans même parler de Mélodie du Sud, des centaines de programmes du patrimoine demeurent encore aujourd'hui absents de la plateforme Disney+. Combien de ces films et de ces séries ont été jugés trop problématiques pour être diffusés aujourd'hui, effaçant dans le même temps toute une partie de la production culturelle américaine ? Une chose est certaine : en agissant ainsi, Disney ferme la porte à un dialogue enrichissant et à des échanges passionnants, en privant purement et simplement les spectateurs/lecteurs d'un large panel d'œuvres culturelles qui gagneraient à être relues avec la sensibilité d'aujourd'hui. Il vaudrait bien mieux discuter et commenter ces représentations d'hier plutôt que de nier qu'elles ont un jour existé, ce qui est peut-être une insulte pire encore.

En attendant, les lecteurs francophones peuvent toujours se procurer les deux premiers tomes de La Grande Épopée de Picsou édités par Glénat, qui rassemblent l'intégralité de La Jeunesse de Picsou et de ses récits satellites. Pour peu que Disney refuse de faire machine arrière et que ce boycott soit effectivement mis en place, il s'agit peut-être ici de la dernière occasion de profiter en intégralité de l'un des monuments de la BD Disney, et de la BD américaine tout court.


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