Ne Parlons Pas des LGBTQ+
Disney et la Loi « Don't Say Gay »

L'article

rédigé par Matthieu Baudry
Publié le 19 mars 2022

Pendant plus de deux semaines au mois de mars 2022, The Walt Disney Company et son CEO Bob Chapek ont été au cœur de la tourmente. En effet, et alors que la proposition de loi « Parental Rights in Education » est en passe d'être adoptée à la Chambre des Représentants de Floride, Disney semble ne pas vouloir prendre position. Ce projet de loi, surnommé « Don't Say Gay » (littéralement « Ne Dites Pas Gay »), prévoit entre autres d'interdire purement et simplement les discussions autour des sujets LGBTQ+ dans les écoles de Floride. Dans ces conditions, et alors même que cette future législation est en décalage total avec les valeurs prônées et défendues par Disney, la société au Château Enchanté demeure muette. Quand Bob Chapek se décide enfin à prendre la parole le 9 mars 2022, il est non seulement trop tard, puisque la proposition « Don't Say Gay » vient d'être votée au Sénat de Floride la veille, mais ses propos maladroits et la mollesse de son discours ont en plus de quoi rendre furieux tout à la fois les fans, les communautés LGBTQ+ et les employé•es de la société. Le 11 mars 2022, Chapek s'adresse à ses équipes dans un communiqué rendu public, en prenant pour la première fois sa part de responsabilité : « Vous aviez besoin que je sois un meilleur allié dans le combat pour l'égalité, et je vous ai laissé tomber. Je suis désolé. »

Retour sur quinze jours de communication de crise où les discours maladroits, internes comme publics, et les silences pesants n'ont fait qu'accroître la colère, la tristesse et l'incompréhension des fans et de nombre d'artistes et employé•es au sein même de The Walt Disney Company.

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Après quatre années particulièrement éprouvantes passées sous la présidence de Donald Trump, les communautés LGBTQ+, entre autres minorités, sont épuisées. Sitôt en place, le successeur de Trump, Joe Biden, signe un ordre exécutif le 20 janvier 2021 garantissant une meilleure protection des personnes LGBTQ+. Le décret dispose notamment que les personnes trans et non-binaires ne doivent en aucun cas subir de discrimination médicale, une proposition qui avait déjà été mise en application par Barack Obama avant d'être révoquée par le gouvernement Trump en 2020. Quelques jours plus tard, Biden signe par décret l'autorisation des personnes trans à rejoindre l'armée, détricotant ainsi maille par maille toutes les lois anti-LGBTQ+ promulguées par le Président précédent.

Les États-Unis n'ont toutefois rien d'un bloc monolithique. Pendant que d'un côté Washington, D.C. offre davantage de sécurité aux personnes LGBTQ+, de l'autre, plusieurs États, majoritairement républicains, poursuivent leur guerre à l'inclusivité au moyen de centaines de projets de loi destinés à priver de liberté les minorités, voire carrément à les mettre en danger. Fin 2021, le Sénateur Rob Standridge a ainsi signé deux projets de loi visant à interdire l'exploration des thèmes LGBTQ+ dans les écoles et universités de l'Oklahoma, en dehors des cursus universitaires spécialisés dans ces questions, arguant que « [d]e plus en plus d'écoles tentent d'endoctriner les étudiants en les exposant aux questions d'identités sexuelles, de genre et ethniques à travers les cours. Mes propositions visent à assurer que ce type de leçons reste à la maison et en dehors des classes. » Les propositions permettraient d'ailleurs à des parents d'élèves de demander le retrait d'un livre abordant ces sujets des bibliothèques scolaires ; l'employé•e en charge du retrait aurait alors trente jours pour se débarrasser du livre, sous peine de licenciement.
Au Texas et en Caroline du Sud, les deux Gouverneurs en place ont quant à eux demandé à ce que des enquêtes soient menées dans les bibliothèques des écoles publiques, pour s'assurer qu'aucun « contenu pornographique et obscène » n'y figure, l'autobiographie Gender Queer : A Memoir de Maia Kobabe étant à ranger dans cette catégorie d'après Henry McMaster, le Gouverneur de Caroline du Sud.


Plusieurs romans ouvertement LGBTQ+ édités par Disney pourraient être retirés des écoles

Face à cette guerre contre la littérature LGBTQ+, beaucoup d'enseignants et de bibliothécaires sont démunis, car les conservateurs ne se contentent plus seulement d'exprimer à cor et à cri leurs opinions sur les réseaux sociaux, comme ils le faisaient il y a de cela quelques années ; désormais, les associations font presque systématiquement appel aux instances afin de les aider à éradiquer des écoles les sujets LGBTQ+, via des plaintes déposées auprès de la police ou en apostrophant directement les Gouverneurs. L'American Library Association rapporte ainsi avoir reçu plus de 330 demandes d'examens en vue de retirer des livres des écoles, et cela sur la seule période de l'automne 2021, du jamais-vu auparavant..

Début 2022, une nouvelle proposition de loi en Floride prend de l'ampleur aux États-Unis et commence même à se faire connaître à l'international. Portée par les Républicains floridiens avec le soutien du Gouverneur Ron DeSantis, la proposition, surnommée « Don't Say Gay » par ses opposants, vise une fois encore à censurer les sujets LGBTQ+ à l'école. Sous prétexte de donner aux parents un plus grand pouvoir sur l'éducation reçue par leurs enfants, la proposition, plusieurs fois remaniée depuis son dépôt en janvier 2022, indique vouloir « empêcher les écoles d'encourager les discussions tournant autour des orientations sexuelles et des identités de genre dans les classes », et même de permettre à un parent de porter plainte contre l'école ou les enseignant•es en cas de non-respect de ces consignes. Volontairement floue, tout comme d'autres propositions de loi similaires déposées en Indiana, au Kansas ou encore au Tennessee, la campagne « Don't Say Gay » donne ainsi les pleins pouvoirs à des parents conservateurs qui refusent purement et simplement que les diversités sexuelles et de genre soient évoquées près de leurs enfants, au risque de mettre en danger de jeunes LGBTQ+ en pleine construction.


« Disney doit agir maintenant »
Publicité de la AIDS Healthcare Foundation

Disney ne Répond Plus

Forcément, et alors que cette loi va à l'encontre des valeurs que la société entend défendre, tous les regards sont tournés vers The Walt Disney Company. Il faut dire que Walt Disney World Resort, implanté dans l'État, emploie des milliers de personnes et participe à l'économie de la Floride comme aucune autre entreprise, et cela sans même parler de toute l'activité économique entourant la Disney Cruise Line. C'est donc dire que le pouvoir de la Souris est grand en Floride. Apostrophée à de multiples reprises sur les réseaux sociaux, y compris par des politiciens Démocrates qui conspuent le projet de loi, Disney fait la sourde oreille et ne dit pas un mot. C'est alors le média The Orlando Sentinel qui, le premier, avance les potentielles raisons de ce curieux silence le 26 février 2022 :

Disney a donné de l'argent à tous les sponsors et les co-sponsors de l'infâme proposition "Don't Say Gay". […] Disney sait qui sont ces gens. Le Sénateur Républicain Dennis Baxley a appuyé des propositions anti-gay pendant des années, y compris une loi visant à empêcher les couples gays d'adopter des enfants qui n'auraient autrement pas de famille du tout. Baxley a une fois comparé les enfants vivant avec des parents de même sexe à des enfants élevés par des alcooliques et des parents abusifs, avant de déclarer : "Je ne suis pas phobique, mais je ne peux simplement pas approuver l'homosexualité". L'année suivante, Disney a signé un chèque à la campagne de Baxley. Et un autre après ça. Et encore un autre l'an dernier.


Le Démocrate Jonathan D. Lovitz enjoint Disney à agir

L'information se répand comme une traînée de poudre, et Disney rejoint la liste des entreprises qui ont financé les campagnes des représentants de la proposition « Don't Say Gay ». Et elles sont nombreuses : Comcast Corporation, AT&T, Walgreens, UnitedHealth Group ou encore Duke Energy, de multiples grands groupes ayant des intérêts économiques dans l'État ont arrosé plus ou moins généreusement les défenseurs de la loi. Est-ce à dire que Disney feint l'inclusivité dans ses films, ses séries et ses Parcs à Thème pour mieux défendre dans l'ombre les politiciens qui portent ces projets ? Assurément pas. Il faut également se souvenir que Disney participe chaque année au financement des campagnes des candidats des deux partis, et en majorité celles des Démocrates, plus progressistes que les Républicains conservateurs. Quoi qu'il en soit, il est certain que la société de Mickey aurait mieux fait d'accorder davantage d'attention aux idées des candidats qui ont empoché ses chèques au fil des années ; la pilule est difficile à avaler pour les communautés LGBTQ+, et avec raison, d'autant que la communication de Disney ne va rien arranger à l'affaire.

Face à ces révélations, Disney et Bob Chapek se murent dans le silence, alors que Bob Iger s'est déjà opposé au projet de loi sur les réseaux sociaux quelques jours plus tôt. Il faut dire que l'ancien CEO de The Walt Disney Company a toujours su exprimer ses idées à travers les années, y compris quand celles-ci étaient en contradiction totale avec des projets de loi puritains. En 2019, il avait notamment fait part au média Reuters de son hésitation à continuer la production de films en Géorgie si la proposition de loi visant à empêcher les femmes d'avoir recours à l'avortement au-delà de six semaines de grossesse était adoptée. Bob Chapek, lui, semble donc beaucoup plus réservé dans ses prises de parole. Interrogé par The Hollywood Reporter le 2 mars 2022, Geoff Morrell, le Chief Corporate Affairs Officer fraîchement nommé, note d'ailleurs que « [p]eu importe les opinions politiques personnelles de Bob [Chapek], il n'est pas un activiste et n'apporte aucun agenda partisan au travail. […] Il pense que le meilleur moyen d'aider à créer un monde plus inclusif passe par le contenu inspirant que nous produisons, la culture accueillante que nous créons et les différentes organisations que nous soutenons. »


Bob Iger soutient les propos du Président Biden, qui parle d'un « projet de loi haineux »
« Si elle passe, cette loi mettra en danger de jeunes gens LGBTQ vulnérables. »

S.O.S Société, Nous Sommes Là Pour Vous Aider...

La politique de l'autruche ne suffit plus, aussi Disney va-t-il communiquer pour la toute première fois le lendemain, le 3 mars 2022. Dans un communiqué officiel relayé par l'émission Good Morning America, diffusée sur ABC, toute la neutralité que Bob Chapek semble vouloir à tout prix cultiver est illustrée à merveille, tant les quelques lignes livrées au public sont lisses. Alors que des manifestations proches de Walt Disney Wold Resort sont prévues pour le jour même, Disney fait le choix de rester vague et de ne pas dénoncer publiquement la proposition « Don't Say Gay » :

Nous comprenons à quel point la situation est importante pour nos employé•es LGBTQ+ et pour beaucoup d'autres. Pendant presque un siècle, Disney a été une force unificatrice qui a rassemblé les gens. Nous sommes déterminés à demeurer un endroit où tout le monde est traité avec dignité et respect. Le plus gros impact que nous puissions avoir sur la création d'un monde plus inclusif passe par le contenu inspirant que nous produisons, la culture accueillante que nous créons ici et les organisations que nous soutenons, y compris celles qui représentent la communauté LGBTQ+.


Manifestation proche de Walt Disney World Resort le 3 mars 2022
Crédit photo : savelgbt, Instagram

De manière prévisible, le communiqué est âprement commenté par les médias comme par les fans, qui reprochent à Disney de ne s'engager en aucune façon contre la proposition de loi et de cultiver un discours politiquement correct tiède. La colère gronde, y compris au sein de ses propres rangs, aussi Bob Chapek prend-il pour la première fois la parole – ou plutôt la plume – le 7 mars 2022, dans un mémo interne adressé à l'ensemble de ses équipes. Dans une lettre qui va achever de provoquer l'ire de nombre de ses employé•es, et tout particulièrement celle des équipes de Pixar Animation Studios, Chapek indique qu'il s'est entretenu avec un groupe de personnes LGBTQ+ au sein de Disney, avant de donner les raisons de son silence :

Comme nous l'avons vu bien des fois, les déclarations publiques d'entreprises n'aident que très peu à changer les choses ou les mentalités. À la place, elles sont reprises par un bord et par l'autre pour enflammer et diviser davantage. Tout simplement, elles peuvent être contre-productives et saper les moyens les plus efficaces d'obtenir un changement. Je ne veux pas que quiconque prenne notre manque de communication pour un manque de soutien.

Le CEO en profite également pour revenir sur les financements apportés aux Républicains défenseurs de la proposition et pointés du doigt par différents médias quelques jours plus tôt :

Finalement, je veux répondre aux préoccupations concernant nos contributions financières aux politiciens de Floride. Bien que nous n'ayons pas donné d'argent à une quelconque personnalité politique pour soutenir directement cette proposition, nous avons donné de l'argent aux Républicains et aux Démocrates qui se sont positionnés des deux côtés de cette proposition. Je peux aussi vous dire que Geoff Morrell, notre nouveau Chief Corporate Affairs Officer, va réévaluer nos stratégies de soutien autour du monde – y compris les dons politiques –, alors qu'il commence à intégrer les équipes de communication, de stratégie publique, de relations avec le gouvernement et de CSR [Responsabilité Sociétale de l'Entreprise].

Lors du Disney 2022 Annual Meeting of Shareholders, qui s'est tenu le 9 mars 2022, Bob Chapek a réaffirmé cette fois-ci publiquement l'engagement de Disney auprès des personnages LGBTQ+, tout en tentant maladroitement de justifier le silence de la société. Le CEO a de plus tenu à aborder le sujet juste avant que ne débute la session de questions-réponses avec les actionnaires :

Nous étions opposés à la proposition de loi depuis le début, mais nous avons décidé de ne pas prendre position publiquement à ce sujet car nous pensions que nous pourrions être plus efficaces depuis les coulisses, en nous engageant auprès des législateurs des deux côtés de la loi. Nous avions l'espoir que nos longues relations avec ces législateurs nous permettraient de parvenir à un meilleur résultat. Mais malgré des semaines d'efforts, nous n'avons pas réussi. J'ai appelé le Gouverneur DeSantis ce matin pour lui faire part de notre déception et de nos craintes que cette proposition, si elle venait à être adoptée, pourrait être utilisée pour cibler de jeunes gays, lesbiennes, non-binaires et personnes trans ainsi que leurs familles. Le Gouverneur nous a écoutés et a accepté de me rencontrer ainsi que des membres LGBTQ+ de notre équipe en Floride pour discuter de nos craintes. […] Aujourd'hui, nous signons la déclaration de Human Rights Campaign qui s'oppose à ce genre de propositions dans le pays, et nous donnons cinq millions de dollars aux organisations, y compris à Human Rights Campaign, qui travaillent à protéger les droits des LGBTQ+.


Bob Chapek présente les nouveautés au Disney 2022 Annual Meeting of Shareholders
le 9 mars 2022

Les réactions n'ont pas tardé après cette nouvelle prise de parole. Une porte-parole du Gouverneur DeSantis a assuré que c'était la première fois qu'ils entendaient Disney à propos de la proposition « Don't Say Gay », et qu'un rendez-vous n'avait pas encore été pris. De son côté, Disney a rétorqué que si c'était bien la première fois que Bob Chapek appelait DeSantis, ses équipes étaient toutefois en contact avec le bureau du Gouverneur depuis six semaines. L'association Human Rights Campaign a elle aussi réagi immédiatement après les propos de Chapek, en refusant purement et simplement le don de Disney tant que la société n'aurait pris aucune action concrète en faveur de la défense des LGBTQ+. Enfin, le Gouverneur en personne a pris la parole le lendemain, accusant Disney de « wokisme ». Pour la première fois, Disney et Bob Chapek condamnent donc la proposition de loi en public, un peu tard cependant ; la veille, la proposition « Don't Say Gay » a été votée au Sénat floridien. Désormais, il ne manque plus que la signature du Gouverneur pour que la loi entre officiellement en vigueur durant l'été 2022.

Le 11 mars 2022, enfin, Bob Chapek reprend une ultime fois la plume pour écrire à ses équipes dans un mémo publié sur le site officiel de The Walt Disney Company, et dans lequel il accepte sa part de responsabilités dans la gestion catastrophique de cette crise qu'il a lui-même largement contribué à faire enfler :

À mes chers collègues, mais surtout à notre communauté LGBTQ+,

Merci à tous ceux qui m'ont contacté pour partager leur douleur, leur frustration et leur tristesse face à la réponse de la compagnie à la proposition "Don't Say Gay" en Floride. Vous parler, lire vos messages et vous rencontrer m'a aidé à mieux comprendre à quel point notre silence était douloureux. Il est clair que le souci n'est pas seulement lié à une loi en Floride, mais qu'il s'agit ici d'un nouvel obstacle aux droits humains fondamentaux. Vous aviez besoin que je sois un meilleur allié dans le combat pour l'égalité, et je vous ai laissé tomber. Je suis désolé.

Nos employé•es voient dans la puissance de cette grande société l'opportunité de faire le bien. Je suis d'accord. Oui, nous devons utiliser notre influence pour promouvoir ce bien en racontant des histoires inclusives, mais aussi en nous élevant pour les droits de tous.

Dès maintenant, nous augmentons notre soutien aux groupes de défense pour combattre des législations similaires dans d'autres États. Nous travaillons dur pour mieux encadrer nos donations politiques afin que notre soutien reflète mieux nos valeurs. Et aujourd'hui, nous suspendons pour le moment toutes nos donations politiques dans l'État de Floride. Mais je sais qu'il y a beaucoup plus à faire. Je suis déterminé à travailler avec vous tous et à continuer de m'engager avec la communauté LGBTQ+ pour devenir un meilleur allié. Vous entendrez parler de nos progrès dans les prochaines semaines.

Je crois sincèrement que nous sommes une bien meilleure société grâce à notre communauté LGBTQ+. J'ai raté le coche dans ce cas précis, mais je suis un allié sur lequel vous pourrez toujours compter – et je serai un ardent défenseur des protections, de la visibilité et des opportunités que vous méritez.


De nombreuses filiales de The Walt Disney Company ont affiché le 11 mars 2022 leur soutien aux LGBTQ+
et ont pris position contre les projets de loi qui fleurissent dans le pays

Le Bruit et la Fureur des Employé•es de Disney

Ces silences, ces hésitations et ces prises de parole hasardeuses sont d'autant plus difficiles à accepter qu'en 2016, Disney avait été la première société à s'élever contre une proposition de loi en Géorgie visant à autoriser les commerçants à refuser de servir des gens dont le mode de vie entrait en contradiction avec leurs croyances religieuses. Dans la foulée, Netflix et les majors du cinéma hollywoodien avaient emboîté le pas à la Souris pour dénoncer cette proposition ; le Gouverneur de Géorgie, Nathan Deal, avait alors posé son veto sur la proposition. En 2022, les Républicains de Géorgie ont de nouveau pour projet de faire passer une loi similaire à la campagne « Don't Say Gay » floridienne ; il ne reste qu'à espérer que Disney tienne ses promesses et s'engage avec vigueur contre cette nouvelle proposition, alors que de plus en plus d'États conservateurs tentent un passage en force dans le pays pour interdire l'évocation des sujets LGBTQ+ à l'école.


La Clé de l'Inclusion, rajoutée en 2021 à la formation des Cast Members

Malgré une ultime lettre de Bob Chapek qui se veut rassurante, force est de constater que Disney a mis beaucoup trop longtemps à répondre à la colère des fans, et notamment celle des personnes LGBTQ+ qui sont d'ailleurs très nombreuses à travailler dans toutes les divisions de The Walt Disney Company. À ce sujet, de multiples voix se sont élevées ces derniers jours pour venir combler le silence de Disney ; le compositeur Alan Menken, Dana Terrace, la créatrice de la série Luz à Osville, Lilan Bowden, l'une des stars de la série Andi ou encore Benjamin Siemon, l'un des scénaristes de La Bande à Picsou (2017), ont ainsi fait part de leur déception et de leur colère sur les réseaux sociaux, en même temps que les mots-dièse #BoycottDisney et #DisneyDoBetter gagnaient de l'ampleur. Au sein de l'entreprise, des groupes de personnes LGBTQ+ se sont rassemblés pour écrire des lettres à Bob Chapek en personne, enjoignant ce dernier à sortir du silence et à prendre publiquement position au nom de The Walt Disney Company. La lettre rédigée par les employés LGBTQ+ de Pixar et leurs alliés va même plus loin et entend bien démontrer toute l'hypocrisie du mémo que Bob Chapek a envoyé à ses équipes le 7 mars 2022 :

Chez Pixar, nous avons personnellement vu des histoires magnifiques, pleines de personnages variés, revenir de chez Disney réduites en miettes. Presque chaque moment d'affection ouvertement gay est coupé à la demande de Disney, peu importe les protestations des équipes créatives et de la direction de Pixar. Même si créer du contenu LGBTQ+ était la solution pour améliorer les législations discriminantes à travers le monde, il nous est interdit de le créer. Au-delà du "contenu inspirant" que nous ne sommes même pas autorisés à créer, nous exigeons une action [face à la proposition de loi ''Don't Say Gay''].


Alan Menken s'oppose fermement au projet de loi

Suite aux excuses de Bob Chapek, la grogne est loin d'être étouffée dans les rangs de Disney. Des employé•es, sous couvert de l'anonymat, ont par exemple réagi dans les colonnes de Variety en déclarant qu'ils « [auraient dû] recevoir ces excuses le 1er mars, pas plusieurs semaines après – et pas après que la proposition de loi eut été adoptée au Sénat. » Une autre voix, encore plus lapidaire, a quant à elle asséné : « J'en ai assez des mémos qui promettent de l'action. » Cette ultime confession à Deadline résume finalement la situation de manière alarmante : « Ça a été la pire semaine que nous ayons vécue dans l'entreprise. »

Ces innombrables réactions teintées de colère et la véhémence de la lettre des artistes de Pixar semblent déjà avoir porté leurs fruits. Variety rapporte en effet en exclusivité le 18 mars 2022 que le studio à la Lampe a obtenu une petite victoire suite au chaos dans lequel s'est embourbé Disney : un baiser lesbien, à l'origine retiré du film, a été réintégré dans le long-métrage Buzz L'Éclair ! Une source proche de la production a ainsi confié au magazine que le personnage d'Alicia Hawthorne partagera bien avec sa moitié l'un de ces « moments d'affection ouvertement gay » si souvent balayés sous le tapis auparavant, pour le plus grand bonheur des artistes de Pixar comme des fans. Une petite avancée qui, c'est à espérer, sera suivie par beaucoup d'autres.


Alicia Hawthorne, Buzz L'Éclair, 2022

Une chose est en tout cas certaine : Bob Chapek va devoir travailler d'arrache-pied pour prouver que ses paroles ne sont pas creuses. À peine deux ans après son arrivée, le nouveau CEO de Disney cumule déjà les casseroles, entre les affrontements médiatiques avec Scarlett Johansson à propos de la diffusion de Black Widow sur Disney+ en même temps que sa sortie au cinéma, la sortie d'Alerte Rouge sur la plateforme provoquant la colère des artistes Pixar, et maintenant son effarante communication autour de la proposition de loi « Don't Say Gay ».

Disney a toujours revendiqué fièrement être une entreprise progressiste, en multipliant depuis plusieurs années les personnages LGBTQ+ dans ses productions. Fondamentales pour de nombreuses jeunes – et moins jeunes – personnes en pleine recherche d'identité, la représentation de tels personnages dans les grandes productions cinématographiques et télévisuelles est aujourd'hui et plus que jamais un enjeu majeur, et tout particulièrement dans une période où les Républicains tentent de passer sous silence ces sujets si essentiels. Après des représentations en demi-teinte comme celle de LeFou dans La Belle et la Bête (2017) et plus récemment dans En Avant (2020), à travers le personnage de l'Officier Specter, les LGBTQ+ ont besoin de plus d'engagement de la part de Disney et de davantage de personnages qui leur parlent, surtout dans les films d'animation Disney et Pixar.


L'Officier Specter, En Avant, 2020

Finalement, et c'est là le scénario le plus optimiste, un exécutif anonyme de Disney a confié au média Deadline que cette situation pourrait « entraîner un bond en avant de cinq à dix ans ». Une telle débâcle, si elle marquera durablement les employé•es au sein de Disney tout en écornant au passage l'image de marque de la société, pourrait peut-être provoquer un lâcher-prise de la part des grands pontes de l'entreprise et une libération de la créativité. Plus de belles paroles, de promesses et de mémos, et place aux belles histoires que les artistes ont envie de raconter, aux personnages qu'ils ont envie de peindre. Bob Chapek l'aura appris de manière brutale : la bataille pour les avancées sociétales ne se mène pas en silence.

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