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Disney et les LGBT+
De l'Identification à l'Inclusion

L'article

rédigé par Matthieu Baudry
Publié le 27 juin 2020

La diversité et la représentation des cultures et des populations dans les médias sont aujourd'hui des sujets centraux de la société, ardemment discutés et férocement débattus. Le cinéma, et tout particulièrement le cinéma occidental, traîne en effet bien des casseroles après lui, Hollywood ayant, pendant plus d'un siècle, malmené dans ses productions l'image de nombreuses communautés, aboutissant dans le même temps à renforcer les stéréotypes peu flatteurs déjà tenaces dans l'inconscient collectif. Il suffit de voir l'embrasement qu'a suscité le casting d'Halle Bailey en 2019 dans le rôle d'Ariel pour saisir la pleine mesure des grands défis d'aujourd'hui et de demain qui attendent les studios de cinéma : faire front face aux critiques et aux menaces de boycott et donner à toutes et à tous une chance de briller, et de se voir représenté•es dignement.

Car la représentation, et surtout au cinéma, sert deux buts bien distincts, mais parfaitement complémentaires. D'abord, elle est un véritable catalyseur d'espoir pour les communautés qui se voient peu souvent représentées de manière positive dans les médias de masse. Quand Black Panther arrive au cinéma en 2018, en présentant un roi africain, issu d'un pays plus avancé technologiquement que n'importe quelle autre contrée occidentale, les dents ont grincé dans de nombreux groupes radicaux. Cela n'a pourtant pas empêché, durant la période d'Halloween 2018, quelques mois après la sortie du film, de voir le costume de Black Panther au sommet des ventes, et le symbole du « Wakanda pour toujours » être utilisé par de nombreux athlètes noirs durant les compétitions sportives.

Black Panther (2018)

Dans le même temps, la représentation est aussi d'importance capitale pour démanteler les idées préconçues tenaces de la société vis-à-vis d'une communauté en particulier. À une époque où, dès son plus jeune âge, l'humain est sans cesse bombardé d'informations et d'images, il est primordial que les médias redoublent de vigilance pour proposer des messages plus inclusifs, qui participent à l'ouverture d'esprit des spectateurs. La série Ellen, diffusée de 1994 à 1998 sur ABC et produite par Touchstone Television (aujourd'hui ABC Studios), a fait date en présentant pour la première fois à la télévision nationale, dans une série de grande écoute, le coming-out d'un personnage principal. Le 14 avril 1997, Ellen DeGeneres se confie d'abord au magazine Time, avec la phrase « Yep, je suis gay », puis, le 30 avril 1997, elle est invitée pour discuter de son homosexualité dans The Oprah Winfrey Show, à peine quelques heures avant que son personnage, dans la série Ellen, n'annonce à son tour qu'elle est lesbienne dans l'épisode The Puppy Episode, devant 42 millions de téléspectateurs. Il est certain qu'Ellen DeGeneres, avec ce coming-out très médiatisé, a contribué à faciliter la libération de la parole dans l'espace public concernant l'homosexualité, ce qui ne l'a pas empêchée toutefois d'être la cible de très violentes attaques des années après la diffusion de l'épisode, prouvant alors que le chemin serait encore long.

Couverture du Time (14 avril 1997)
The Oprah Winfrey Show (30 avril 1997)

Forcément, les tentatives d'inclusion des studios de cinéma, qualifiées d'« ultra-polissage » et de « politiquement correct », sont loin de faire l'unanimité, et notamment lorsqu'il s'agit de présenter à l'écran une sexualité qui sort un tant soit peu du schéma hétérosexuel. Il suffit de voir les accusations depuis quelques années, à chaque nouvelle production ou presque, des réfractaires qui appellent à un boycott de Disney, accusé d'être à la solde des lobbys et de vouloir convertir magiquement les plus jeunes à l'homosexualité, pour comprendre que la représentation de la multiplicité sociétale ne se fait pas sans douleur.
Ridicules à plus d'un titre, ces arguments virulents donnent néanmoins à réfléchir à la place qu'ont accordé les productions estampillées Disney et Pixar aux personnages LGBT+ depuis plus de 90 ans maintenant, et de quelle façon tant de personnes Queer ont trouvé, en leur film Disney préféré, une identification, un salut face au rejet de la société.

Une Lecture Queer des Films Disney

Dans son essai Tinker Belles and Evil Queens: The Walt Disney Company From the Inside Out (2000, New York Univesity Press), Sean Griffin propose notamment à son lectorat d'étudier les films des Walt Disney Animation Studios à travers le prisme des Gender Studies (études de genre). L'auteur constate en effet que nombreux sont les personnages de Disney, dès les années 1930, à ne pas correspondre aux canons des sexes et des genres pourtant glorifiés par la société. La démarche de l'auteur est très simple : plutôt que d'associer une sexualité à un personnage, Griffin avance que le public LGBT+ a toujours, face aux films Disney, développé une lecture alternative des histoires et des personnages, parfois même de manière inconsciente :

Des films de Bette Davis à l'art nouveau, de Chet Baker à James Dean en passant par Wonder Woman, les communautés gay et lesbienne se sont souvent rassemblées autour d'une relecture de certaines parties de la culture populaire. […] Souvent, un [spectateur] « joue » avec [l'œuvre] en dissociant certains éléments de l'ensemble – rendant le tout plus facile à retravailler. À cause du relatif manque d'œuvres traitant explicitement de l'homosexualité, analyser avec une « sensibilité gay » implique souvent de sélectionner une scène, une image ou une section de l'œuvre qui correspond à ce que l'individu recherche, puis à rejeter le reste (comprendre : ignorer la portion de l'œuvre qui ne se prête pas à une « lecture gay »). (p.50)

Très personnelle au demeurant, et résistant aujourd'hui difficilement au passage du temps, dans un monde où les personnages LGBT+ commencent à se voir enfin représentés, la « lecture gay » proposée par l'auteur a tout de même ceci d'intéressant qu'elle permet de mieux saisir comment les histoires de Disney ont réussi à parler à tous et ont résonné parfois différemment chez le public LGBT+, et cela même si elles ne présentent quasiment que des personnages hétérosexuels. Et tout a commencé... par une souris !

Une affiche précise que Mickey
est toujours... joyeux ! (c.1930)

Dès ses débuts sur grand écran, Mickey Mouse remporte en effet un franc succès auprès de tous les publics. Petite souris anthropomorphique ayant le goût de la musique et de la fête, il évolue dans un quasi-constant brouhaha de danse et d'aventures excitantes au début de sa carrière, ce que Sean Griffin nomme « les années carnavalesques ». Ces aventures présentaient alors un Mickey moins sage, souvent facétieux et plus téméraire qu'aujourd'hui. Notant que l'expression « être un Mickey Mouse » était marquée péjorativement dans les années 30 – elle l'est toujours aujourd'hui, dans une moindre mesure –, Sean Griffin explique qu'une partie de la sous-culture gay des années 30 a fini par s'approprier le terme, les homosexuels l'utilisant majoritairement comme un message codé destiné à se reconnaître entre eux, sans risquer de divulguer leur sexualité à une personne mal-intentionnée et intolérante. L'historien Allan Bérubé rapporte quant à lui avoir trouvé une photo des années 30, sur laquelle figure un bar fréquenté majoritairement par la communauté gay à Berlin, et qui s'appelait le Mickey Mouse. Toujours durant les mêmes années, un groupe de femmes lesbiennes de Chicago avait pour habitude de se réunir lors de soirées appelées « Mickey Mouse's parties ». C'est donc dire que, si Mickey n'était pas à proprement parler une icône gay durant ces années-là, son aura, sa célébrité, son goût de la fête et sa bonhomie sont rapidement devenus, dans plusieurs cercles gays étasuniens et européens, un symbole rassembleur dans une communauté forcée de se faire discrète.

Willie, le Bateau à Vapeur (1928)
Mickey au Moyen-Âge (1933)

En 1938, le court-métrage Ferdinand, le Taureau présente, pour la première fois chez Disney, un personnage indéniablement Queer dépeint de manière positive. Véritablement symbole de la virilité en occident depuis l'antiquité, le taureau est un animal associé par essence à la force et à la puissance. C'est donc un personnage totalement à contre-courant qui est présenté dans le court-métrage, Ferdinand refusant il est vrai de se battre avec les autres taureaux, préférant plutôt rester assis sous son arbre pour y renifler les fleurs puis, battant de ses longs cils, admirer les papillons. Une fois adulte, et alors même qu'il est devenu le plus grand et le plus puissant des taureaux de la prairie, c'est par un concours de circonstances qu'il est emmené dans une arène de corrida, de laquelle il ressortira vainqueur en refusant de se battre, préférant humer les fleurs lancées plus tôt au matador.
Trois ans plus tard, en 1941, Le Dragon Récalcitrant a pour héros une bien curieuse créature. Mettant à mal tous les poncifs qui veulent qu'un dragon soit une bête sanguinaire qui détruit tout sur son passage, le dragon présenté dans le moyen-métrage est, tout à l'inverse, versé dans les arts, joueur de flûte traversière et amoureux des belles-lettres, notamment de la poésie. Sir Giles, un vieux chevalier plein de fougue, est amené à le rencontrer et à partager avec lui quelques vers, avant de savamment mettre en scène une bataille pour tromper les villageois, désireux de voir la bête vaincue. Si les deux personnages partagent une personnalité en totale opposition avec leur physique, ce brouillage des genres est également, c'est à souligner, finalement accepté par leur entourage, la mère de Ferdinand comme Sir Giles n'éprouvant que bienveillance envers ces personnages qui ne se conforment en rien aux stéréotypes que la société tente vainement de leur imposer.

Ferdinand, le Taureau (1938)
Le Dragon Récalcitrant (1941)

Au-delà du brouillage des genres, Sean Griffin émet également l'hypothèse, dans son essai, que les films d'animation Disney présentent une autre caractéristique qui résonne intrinsèquement dans la communauté LGBT+. En prenant l'exemple d'Alice au Pays des Merveilles et du (Le) Magicien d'Oz – ce dernier est d'ailleurs, en même temps que Judy Garland, l'un des plus grands symboles de la communauté LGBT+ –, l'auteur note en effet que de nombreux films Disney présentent des personnages qui se sentent en marge de la société, à tel point qu'ils plongent, parfois malgré eux, dans un nouvel univers où tout semble possible, où leur différence sera, au bout du compte, leur plus grande force. C'est alors dans les années 90 que la « lecture gay » commence à devenir un sujet très discuté et un exercice auquel s'adonnent plus volontiers qu'autrefois les critiques, pour tenter d'analyser de potentiels sous-textes gays, alors même que se multiplient les histoires de héros qui se sentent en décalage le plus total avec la société qui les entoure.
Il faut dire que les années 80 et 90 sont un moment charnière dans l'histoire de la communauté LGBT+, et le besoin d'identification, de reconnaissance et d'acceptation se fait plus prégnant. Vingt ans après les émeutes de Stonewall, et en plein durant « les années sida », débute le renouveau des Walt Disney Animation Studios, avec la sortie de La Petite Sirène en 1989. Dans une période où les tensions sociales, les crises identitaires et la marginalisation des homosexuels, accusés durant une très large partie des années 80 de répandre le « cancer gay », sont à leur paroxysme, les films d'animation Disney offrent un échappatoire salutaire.

Howard Ashman

Quand le brillant parolier, Howard Ashman, et son fidèle partenaire de toujours, le génie compositeur Alan Menken, s'attèlent à l'élaboration de la partition de La Petite Sirène, Ashman est ouvertement gay et engagé dans une lutte contre la maladie, d'abord en secret ; le parolier étant séropositif. Forcément, les films sur lesquels Ashman a travaillé ont été largement privilégiés dans les exercices de relecture à travers le prisme de la « sensibilité gay », d'autant que la contribution du parolier ne s'est pas arrêtée à l'écriture des morceaux musicaux ; l'homme a aussi largement participé à l'approfondissement des personnages et de l'histoire de La Petite Sirène. Le récit d'une sirène, irrésistiblement attirée par un monde fantasmé mais dont l'accès lui est interdit, et nourrissant un amour défendu, résonne donc fatalement avec quiconque se sent en décalage avec le monde qui l'entoure, et tout particulièrement avec la communauté LGBT+, dans une période où la stigmatisation homosexuelle est prédominante. Il faut évidemment ajouter à cela la présence du personnage d'Ursula, grandement inspirée de la drag queen et égérie de John Waters, Divine, et sa chanson, Pauvres Âmes en Perdition, qui incite Ariel à succomber à ses désirs, mais à la condition de risquer de perdre en contrepartie la présence et le soutien de sa famille. Partir Là-Bas, enfin, est souvent comparée à Over the Rainbow (Le Magicien d'Oz), et fréquemment intégrée dans le canon des chansons LGBT+, composé de nombreux morceaux peignant des rêveries d'un autre monde, d'un univers des possibles où, enfin, la personnalité des individus serait libre de s'exprimer sans danger ni oppression.


La Petite Sirène (1989)

En 1991, quelques mois seulement après la mort de Howard Ashman, La Belle et la Bête vient enchanter les spectateurs du monde entier. Plus encore que La Petite Sirène peut-être, les chansons comme les personnages de Belle et de La Bête se prêtent à merveille à une relecture Queer, surtout à l'aune du travail d'Ashman. Chez de nombreux analystes, le personnage de la Bête a en effet été perçu comme une allégorie de la maladie et du VIH, victime d'une malédiction monstrueuse dont l'issue est presque toujours fatale et l'espoir d'en réchapper, très mince. À ce propos, Alan Menken, dans le documentaire Howard – The Howard Ashman Story, réalisé par Don Hahn en 2018, évoque que si le parolier n'a pas nécessairement insufflé consciemment cette partie de sa propre histoire dans le film, il n'en reste pas moins que le long-métrage se prête admirablement à une relecture Queer, surtout dans le contexte de l'époque où le VIH et l'homosexualité étaient automatiquement associés :

Les parallèles que les gens voient, et je les vois aussi – mon Dieu, ils sont remarquables. Mais je ne crois pas qu'il l'ait fait consciemment. Ce n'était pas son genre. Il était vraiment concentré sur la musique, sur l'histoire pour servir les personnages et servir l'arc narratif, et c'était tout. Mais le sous-texte est là, clairement.

Une nouvelle fois, les personnages, que cela soit le personnage de Belle, qui se sent en décalage profond avec les habitants du village ou encore La Bête, vue seulement comme un monstre dangereux, sont parfois reçus d'une manière tout à fait significative par les communautés LGBT+. La chanson Tuons la Bête vient dans le même temps illustrer toute la haine exprimée à l'égard de l'inconnu qui ne rentre pas dans le moule de la société : « L'inconnu nous effraie, l'imprévu nous terrorise et cette chose mystérieuse nous inquiète ». Gaston, enfin, est au contraire fréquemment analysé comme le symbole d'une masculinité toxique poussée à son paroxysme. Véritable modèle pour les habitants du village, qui vantent ses exploits et sa virilité à nulle autre pareille, celui devant lequel « toutes les filles sont à genoux » et qui est « le roi des balèzes » est définitivement un personnage auquel personne ne peut consciemment adhérer, au-delà de ses motivations machiavéliques, et certainement pas une large partie des intellectuels homosexuels, qui revendiquaient déjà au moment de la sortie du film une fluidité des genres et la déconstruction des canons de la masculinité.


La Belle et la Bête (1991)

Une année plus tard, Aladdin sort à son tour dans les salles, avec des chansons pour certaines écrites par Howard Ashman, avant son tragique décès, le 14 mars 1991. Si une fois encore, l'histoire d'Aladdin, celle d'un paria de la société qui essaye tant bien que mal de se faire passer pour ce qu'il n'est pas, dans le but de se faire accepter, trouve un écho tout particulier chez les LGBT+, c'est surtout une chanson coupée du script qui attire l'attention en 1994, lorsqu'elle est révélée au public : Proud of Your Boy. La chanson devait alors accompagner une scène dans laquelle Aladdin promet à sa mère qu'il la rendra fière : « Je ferai de mon mieux, qu'est-ce que je peux faire d'autre ? Puisque je ne suis pas né parfait comme Papa ou toi, Maman, je vais essayer, essayer de te rendre fière de ton garçon. »
Reprise ultérieurement dans l'adaptation du film en comédie musicale sur les planches de Broadway en 2011, l'auteur du livret Chad Beguelin y voit un profond sous-texte Queer en 2014, dans une entrevue accordée au magazine Out :

Proud of Your Boy est une de ces chansons qui, je pense, parle à tout le monde parce qu'à un certain moment, et peu importe à quel point la relation que vous avez avec votre famille est horrible, vous voulez rendre vos parents fiers. Je ne veux pas parler à la place de Howard Ashman, mais pour moi, en tant qu'homosexuel, j'y vois un sous-texte, ce moment où vous réalisez [que vous êtes gay] et que vous vous demandez ce que vos parents vont en penser.

Dans une entrevue accordée à Charles Isherwood dans le magazine The Advocate et parue le 1er décembre 1992, l'animateur de Jafar, Andreas Deja, lui-même ouvertement gay, avouait avoir conçu son personnage, peut-être de manière inconsciente, comme un homme gay « pour lui donner cette théâtralité, cette élégance ». Responsable de l'animation de Scar dans Le Roi Lion (1994), Deja écrit sur son blog en 2017 qu'il a rencontré pour la première fois Oprah Winfrey en 1995, et que cette dernière lui a demandé : « Dites-moi, tous mes amis gays me disent que Scar est gay... est-ce qu'il est gay ? ». L'animateur lui a répondu que non, en tout cas pas dans l'histoire, avant d'en profiter pour souligner que, pour lui, Gaston et Jafar ne le sont pas non plus. Une chose est en tout cas certaine : nombreux étaient les hommes homosexuels à déceler des traits Queer chez ces méchants, qui partagent tous un certain goût pour la théâtralité, typique de la représentation de l'homosexualité dans un nombre incalculable d'œuvres.

Dessin préparatoire de Proud of Your Boy
Aladdin (1992)

Bien d'autres personnages issus des productions animées de Disney sont fréquemment relus et interprétés comme gays, du duo composé de Timon et Pumbaa dans Le Roi Lion en passant par pratiquement toute la galerie des méchants Disney, dont la plupart sont dépeints comme jouant profondément avec les genres, et notamment les dandys, en plus de venir déranger l'ordre établi et menacer la romance hétérosexuelle du film. Le personnage de Shang dans Mulan (1998) est souvent cité comme étant le premier personnage bisexuel de Disney, son intérêt pour Mulan semblant prendre racine alors même que la jeune femme a endossé le rôle de Ping. Le refus qu'exprime Merida de se marier dans Rebelle (2012), ou l'obligation qu'a Elsa de cacher ses pouvoirs au début de La Reine des Neiges (2013) avant de nouer une profonde et sincère amitié avec Honeymaren dans La Reine des Neiges II (2019), ne cessent d'alimenter les débats sur la sexualité supposée de ces princesses modernes. Ce qu'il faut alors retenir de ces décennies d'analyses, c'est que ces histoires et ces personnages permettent une identification spécifique et nécessaire à nombre de personnes qui se sentent exclues d'une société qui ne les accepte pas encore complètement. Et si les histoires de héros parias du système, partis à la recherche d'un bonheur salutaire dans un monde merveilleux, touchent évidemment par leur universalité bien au-delà de la seule communauté Queer, il était grand temps que Disney commence à proposer des personnages ouvertement LGBT+.

Vers une Représentation Nécessaire

Associée pendant de très nombreuses années dans l'imaginaire collectif à l'image de « l'Oncle Walt » et aux valeurs conservatrices des Pères Fondateurs des États-Unis, The Walt Disney Company est toujours très vivement critiquée lorsqu'elle essaye de glisser, çà et là, des personnages LGBT+ dans ses productions, et tout particulièrement dans celles qui portent le label Disney. Les pétitions se multiplient depuis plusieurs années pour faire interdire les Gays Days et les célébrations liées à la Gay Pride dans les Parcs Disney. Des groupes ultra-conservateurs appellent au boycott de pratiquement chaque nouvelle œuvre Disney ou Pixar qui sort et plusieurs films et séries se sont fait censurer, voire bannir dans de nombreux pays d'Afrique ou d'Asie, en raison de la présence de personnages gays. Le traitement du personnage de Le Fou dans La Belle et la Bête (2017) a ainsi suffi à déchaîner les passions. À peine fut-il annoncé que le personnage serait gay que les scandales ont éclaté : le film fut interdit aux moins de 16 ans en Russie, et il a bien manqué de se faire bannir en Malaisie ; il l'aurait d'ailleurs été si la scène avait été plus longue ou plus explicite. Les performances du label Disney au box-office tendent pourtant à prouver que ces protestations n'ont qu'un très faible impact sur The Walt Disney Company financièrement parlant. Mieux, elles sont profondément révélatrices du fait que, chez Disney, des changements dans la représentation des personnes LGBT+ tendent à s'opérer.


La Belle et la Bête (2017)

En fait, dès 1996, Le Bossu de Notre-Dame brise les codes et les tabous, en intégrant pour la toute première fois dans un film d'animation Disney au cinéma, un personnage ouvertement homosexuel : Rocaille. La gargouille ne cache en effet pas, durant tout le film, son attrait marqué pour Djali. Et si la version française du long-métrage présente Djali comme une femelle, Esméralda faisant toujours référence à l'animal avec le pronom personnel « elle », il n'en est pas de même dans la version originale, puisque Djali y est... un mâle ! Certes, Rocaille est, du trio qu'il compose avec Muraille et La Volière, assurément le plus excentrique des compagnons de Quasimodo ; pour autant, l'humour des situations où il est montré en train de courtiser Djali n'invalide en rien ses sentiments. Les personnages n'évitent pas non plus les clichés de l'époque ; Rocaille se déguise en Esméralda durant la chanson Un Gars Comme Toi, quant à Djali, il porte une boucle à l'oreille droite, un bijou qui a longtemps été considéré, au sein de la communauté gay, comme un symbole distinctif. Il est à noter que Le Bossu de Notre-Dame 2 : Le Secret de Quasimodo (2002) va encore plus loin, puisque Djali succombe enfin aux charmes de la gargouille.
Le spectatorat français, habitué à voir le film accompagné du doublage de son pays, est donc passé à côté de l'idylle. Tout à l'inverse, nombreux sont les étasuniens qui perçoivent des sous-textes homosexuels dans Le Bossu de Notre-Dame, et ce dès la sortie du film. La chanson Out There (Rien Qu'un Jour) partage même, fortuitement, son titre avec une autre chanson d'un groupe de défense gay, sortie un peu plus tôt cette année-là. Au-delà de la coïncidence, les paroles de la chanson se prêtent à merveille à une « relecture gay » : elle est chantée par un personnage forcé de rester caché, et qui souhaite pourtant braver les interdits pour découvrir le monde et ses merveilles dont il rêve ardemment. Quelques jours avant la sortie du film, la Convention Baptiste du Sud des États-Unis a voté un boycott total, qui ne s'achèvera qu'en 2005, de The Walt Disney Company, enjoignant tous ses fidèles à bannir la Compagnie au Château Enchanté de leur vie ; cela inclut donc les Parcs à Thème Disney, les films produits par toutes les filiales de Disney ou encore la chaîne ABC. Le groupe religieux a fait savoir que ce boycott était motivé par le fait que Disney « dénigre les valeurs chrétiennes », en permettant par exemple aux partenaires des employés homosexuels de bénéficier des mêmes avantages sanitaires et sociaux que les hétérosexuels, mais aussi que la compagnie fait « la promotion de l'homosexualité », en n'interdisant pas les Gays Days dans les Parcs Disney. La sortie de plusieurs films produits notamment par Miramax Films, dont Prêtre en 1995, est également pointée du doigt à l'époque.

Le Bossu de Notre-Dame
(1996)
Le Bossu de Notre-Dame 2 :
Le Secret de Quasimodo (2002)

En 2016, avec la sortie de Zootopie, nombreux sont les spectateurs qui s'interrogent sur la relation qu'entretiennent les voisins de Judy Hopps, deux antilopes du nom de Bucky et Pronk. Le générique de fin du film vend alors la mèche, leur attribuant le même nom de famille : Oryx-Antlerson. Dépeints comme désagréables et se querellant, cette première représentation d'un couple gay marié au cinéma chez Disney laisse perplexe nombre de spectateurs, qui expriment leur déception sur les réseaux sociaux. Jared Bush, le co-réalisateur du film et l'interprète original de Pronk, a donc pris la parole sur Twitter le 30 novembre 2016, pour rappeler aux spectateurs que tous les couples se chamaillent : « C'est un couple gay marié. Mais ils ne se crient pas dessus parce qu'ils sont gays, ils crient parce que c'est un couple réaliste. »
En 2019, à l'occasion de la sortie de Toy Story 4, la présence d'un couple lesbien dans l'école de Bonnie défraie à nouveau la chronique. Alors que leurs apparitions sont très furtives, la présence de ces deux mamans déclenche de nouveau l'ire des associations conservatrices américaines, dont la plus célèbre et la plus bruyante, One Million Moms, qui est furieuse que Disney ose « désensibiliser la jeunesse », alors que la Compagnie de Mickey devrait plutôt, selon l'association, « s'en tenir au divertissement, plutôt que de vouloir promouvoir des styles de vie controversés ».


Bucky et Pronk Oryx-Antlerson (2017) et le couple de mamans (2019)

Ces pratiques de présenter des personnages gays en arrière-plan, presque sous le manteau, ont tout de même fini à terme par susciter la grogne de nombreux médias LGBT+, qui enjoignent Disney à ne pas se montrer aussi frileux, arguant qu'une « caution gay » n'est plus suffisante. Et la colère est compréhensible, après tant d'années laissés dans l'ombre, ou dépeints comme des personnages ridicules, immoraux ou dangereux au cinéma, les LGBT+ veulent enfin se voir représentés dans des rôles positifs, et non plus caricaturés.
La surprise est alors totale en 2020, et un immense cap est franchi, puisque deux personnages ouvertement homosexuels apparaissent dans des productions signées Pixar. La première, En Avant, présente en effet le personnage de l'agente de police Specter, une femme qui parle, au détour d'une phrase, de sa petite amie. Quelques mois après, le 22 mai 2020, Disney+ propose Out, le septième court-métrage de la série SparkShorts, racontant l'histoire d'amour de deux hommes, Greg et Manuel. Le court coche alors toutes les bonnes cases : des personnages plus vrais que nature, le traitement tout en délicatesse du difficile sujet du coming-out, une épreuve qui rythme la vie de la majorité des personnes LGBT+, et même un vrai et franc baiser d'amour entre Greg et Manuel. Nul doute qu'il faudra attendre encore quelques années avant de voir arriver sur grand écran un prince ou une princesse ouvertement homosexuel•le dans un film d'animation Disney, mais ces quelques exemples illustrent à quel point la (juste) représentation est nécessaire. Loin d'être un simple caprice, elle permet d'offrir aux jeunes générations la représentation d'un monde protéiforme, où chacun est à même de se reconnaître, de se sentir simplement libre d'exister tel qu'il est. Plus simplement, de se sentir légitime et d'être soi-même.

En Avant (2020)
Out (2020)

The Walt Disney Company assume donc de plus en plus sa part et tente d'offrir, petit à petit, une représentation plus complète, et notamment à la télévision, autant d'ailleurs dans ses séries « live » qu'animées. Le 26 janvier 2014, l'épisode de Bonne Chance Charlie (Disney Channel), Le Grand Chamboulement, présente un couple de mamans. La série Andi (Disney Channel) diffusée quelques années plus tard, est quant à elle proprement historique dans l'histoire de The Walt Disney Company. Le personnage de Cyrus, qui s'était déjà ouvert à ses amis quant à son attirance pour les garçons, prononce pour la première fois le 8 février 2019, dans l'épisode Cérémonie d'Adieu, les mots « Je suis gay ». Disney n'a pas non plus été frileux pour les contenus originaux de Disney+, en incluant ainsi deux personnages gays dans High School Musical : La Comédie Musicale - La Série.

Bonne Chance Charlie (2014)
Souvenirs de Gravity Falls (2016)

Du côté des séries animées aussi, les attirances s'expriment plus librement qu'au cinéma. Durant le dernier épisode de Souvenirs de Gravity Falls (Disney XD) nommé Confrontation Finale et diffusé le 15 février 2016, les personnages du Shérif Blubs et du Député Durland annoncent qu'ils sont « mordus de pouvoir... et d'amour ! » l'un pour l'autre. Le 5 aout 2017, la série télévisée Docteur La Peluche (Disney Junior) diffuse pour sa part l'épisode Les Mesures d'Urgence, dans lequel apparaît un couple de mamans. Rebelote sur Disney XD le 4 avril 2020, dans le premier épisode de la troisième saison de La Bande à Picsou (2017), Challenge of the Senior Junior Woodchucks !, dans lequel le spectateur rencontre pour la première fois les deux papas de Violet, Ty et Indy.

Docteur La Peluche (2017)
La Bande à Picsou (2020)

La série animée Disney la plus progressiste de toutes est certainement Star Butterfly (Disney XD et Disney Channel), qui a entraîné la colère des conservateurs en proposant plusieurs épisodes très inclusifs. Dans la seconde saison, la série (et c'est une première pour une série animée signée Disney) montre un couple de même sexe s'embrassant, dans l'épisode Amis Pour la Vie, le 23 février 2017. Le 13 novembre 2017, dans l'épisode Princesse Turdina, de subtiles réflexions, notamment sur la fluidité des genres et sur la possibilité qu'ont les garçons à se désigner comme princesses s'ils le souhaitent, ne passent pas inaperçues et donnent du grain à moudre aux réactionnaires qui ne reculent décidément devant rien pour lutter contre une société qui commence à évoluer sans eux. La série réitère dans la dernière saison, avec l'épisode La Carte de Fidélité, le 28 avril 2019, dans lequel Jackie Lynn, le premier amour de Marco, revient de France (d'Italie dans la version française) avec sa petite amie Chloé, qu'elle a rencontrée durant son séjour. Les deux femmes s'éloignent ensuite, en se tenant la main.

Star Butterfly (2017)
Star Butterfly (2019)
Au-Delà de l'Arc-en-Ciel

Selon une étude menée par Gallup en 2017 sur 340 604 Américains âgés de 18 ans et plus, 4,5% de la population s'estime lesbienne, gay, bisexuelle ou transgenre, avec un pourcentage montant à 8,1% dans la tranche d'âge la plus jeune, celle des millénials. Les études menées en ligne, l'anonymat aidant, montrent des chiffres s'élevant à parfois plus de 6% de la population globale se définissant comme LGBT+. C'est donc dire que la population Queer est bel et bien présente et a un besoin crucial de se voir représentée sur le petit et grand écran. Il est certain que de nombreux progrès ont été réalisés et de plus en plus de pays rendent légal le mariage entre deux personnes du même sexe. Pourtant, les violences continuent à se multiplier partout dans le monde, et 20% des crimes de haine étaient, en 2019, dirigés contre une ou plusieurs personnes LGBT+.
Si toutes les tranches d'âge sont évidement concernées par la représentation positive, les plus jeunes, qui sont en plein questionnement identitaire, sont certainement ceux qui en ont le plus besoin. The Trevor Project rapporte en effet que les jeunes LGB sont cinq fois plus à même d'atteindre à leur vie que les jeunes hétérosexuels, quant aux personnes transgenres, 40% de cette communauté a tenté de s'ôter au moins une fois la vie. Dans de nombreux pays, et notamment en Afrique et au Moyen-Orient, le simple fait de ne pas être hétérosexuel est un crime passible de prison, voire de peine de mort.


Magical Pride, Disneyland Paris (2019)

Devant ces chiffres, il est aisé de comprendre en quoi la représentation positive dans les médias de personnages et d'histoires LGBT+ est nécessaire. Déconstruire les stéréotypes et les stigmates dont souffrent les communautés Queer depuis des décennies est une étape cruciale dans l'acceptation et la normalisation des modes de vie non-hétérosexuels, et en cela, Disney contribue de plus en plus, ces dernières années, à apporter son soutien aux LGBT+. Dans les autres divisions et labels de The Walt Disney Company, la représentation tend également à se développer largement, que cela soit dans les comics et les films estampillés Marvel, les productions ABC Studios et Freeform, et depuis le 20 mars 2019, suite au rachat des actifs de 21st Century Fox, dans une pléthore de labels plus adultes. Le catalogue des séries FX, ainsi que nombre de productions diffusées sur Hulu, sont indéniablement progressistes. Seule ombre au tableau, les personnages transgenres sont de loin les moins représentées, ou bien leurs rôles sont parfois assumés par des acteurs qui ne sont pas, eux-mêmes, transgenres, dans une époque où leurs droits sont constamment remis en question, et notamment aux États-Unis.

L'acteur transgenre Alex Blue Davis
Grey's Anatomy : À Cœur Ouvert (ABC, 2017)
Pose (FX, 2018)
La série traite des cultures Queer underground

Une chose est certaine cependant : les prochaines années seront déterminantes, et la représentation dans les médias a un immense rôle à jouer pour garantir qu'à terme, les actes de violence à l'égard des LGBT+ cessent enfin, pour que les jeunes Queer n'aient plus peur de se tenir la main, de s'affirmer et de s'aimer ; et Disney, plus que jamais, a un véritable rôle à jouer.

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