La Musique chez Disney
Clé de Voûte d'une Réussite

L'article

rédigé par Julien Louveau
Publié le 08 avril 2014

La musique. Un petit de mot de sept lettres qui engendre à foison dans l'inconscience collective, une foultitude de souvenirs qui font écho au cinéma et à forte raison au monde de l'animation. Les studios Disney ne faisant pas figure d'exception l'ont très bien assimilé jusqu'à transcender le genre et en faire la pierre quasi-angulaire de leurs productions, les plus acclamées aussi bien par le public que par les critiques pour leur perfection. En effet, même s'il est réducteur d'affirmer que les chefs-d'œuvre de la firme aux grandes oreilles sont sûrement appréciés de prime abord par l'abondance lyrique qui les parsème, force est de reconnaître que, de tous les éléments qui produisent un film, les bandes-originales sont très souvent les segments qui restent dans les mémoires à long terme et qui attestent par la suite auprès de ces films d'un statut prestigieux. L'écoute de ces mélodies remémorant aux spectateurs les scènes qu'elles illustrent. Qui en entendant les premières notes de Tout Le Monde Veut Devenir Un Cat, de Hakuna Matata, d'Il En Faut Peu Pour Etre Heureux ou encore plus récemment de Libérée, Délivrée, hymne d'émancipation fraîchement récompensé aux Oscars, ne laisserait pas vagabonder son esprit au gré des couplets et des refrains jusqu'à souhaiter les interpréter mais en s'abstenant (pas toujours) de le faire ? Car la grande force s'il en est des classiques Disney est bel et bien la musicalité de leur narration, et il n'est pas rare que certaines musiques héritent d'une aura si mythique qu'elles existent indépendamment du long-métrage qu'elles sont censées défendre pour vivre de leurs propres ailes.

Néanmoins l'importance accordée au quatrième art n'a pas toujours été une priorité dans l'élaboration des films d'animation, ou tout du moins pas totalement probant dans leurs résultats finaux. En témoignent les âges d'or des studios souvent affiliés aux plus beaux scores réalisés tandis que la pauvreté de certains trahissent un manque d'ambition parfois flagrant, se traduisant à juste titre par un amer insuccès. Mais chaque période de disette créatrice conçoit une abondante résurrection. Il se pourrait bien qu'après tout le phénix ne soit rien d'autre qu'un rongeur en culotte courte.

La compagnie de Walt Disney n'aura, en effet, de cesse de convoiter les plus talentueux compositeurs et paroliers pour faire vivre de leur talent les films qui composeront le patrimoine culturel d'un certain savoir-faire occidental de l'animation. Différentes pistes sonores qui reflèteront plusieurs périodes dissemblables mais qui ne connaîtront pas les affres du temps pour devenir d'éternels classiques. Des frères Sherman responsables de l'excentrique élocution de Mary Poppins au duo Menken/Ashman, figure de prou de la renaissance des studios pendant la fin des années 80, Mickey en mélomane averti s'acharnera souvent dans un souci de cohérence à habiller ses productions d'atours symphoniques. La réception n'en est que plus appréciable lorsque les disques caracolent en tête des ventes et que les airs s'inscrivent aisément dans la culture populaire. La preuve la plus flagrante de cette réussite est le nombre hallucinant de récompenses diverses et variées cumulées tout au long de la prolifique carrière des studios.

Cela n'empêchera pas pour autant les fructueuses collaborations avec des figures musicales plus populaires telles qu'Elton John ou Phil Collins, afin de se calquer sur les goûts de l'époque et de s'allouer une publicité, onéreuse certes mais opérante ; ou bien même à inviter de prodigieux génies de l'ère classique à l'instar de Tchaïkovski, Beethoven ou encore Schubert. Un arrivisme qui insufflera une majesté indéniable aux films jouissant d'un tel traitement de faveur mais qui malencontreusement se tourneront vers un élitisme parfois écrasant à l'instar de La Belle au Bois Dormant ou le diptyque Fantasia.

Depuis l'origine des Disney Brothers Studio en 1923, la musique est un intermédiaire fondamental à l'issu d'une production animée, de surcroît lorsque celle-ci se révèle, comme l'ensemble des réalisations en ce temps, muette. Les Alice Comedies ne feront pas exception à la règle. Il s'agit d'une série de courts-métrages réalisés entre 1923 et 1927, librement inspirée de l'œuvre génialement loufoque du romancier Lewis Carol, mettant en scène une jeune actrice de chair et de sang dans un univers cartoonesque tout au long des 57 épisodes qui la constituent. Pour rendre plus fluide et moins monotone l'action, il est coutume lors de la diffusion en salle de faire intervenir un ou plusieurs musiciens interprétant une musique tantôt guillerette, tantôt morose pour illustrer le récit, comme un simulacre sonore influençant la réaction du public. Loin d'être sophistiquées et spectaculaires, celles-ci sont bien souvent improvisées. Jusqu'aux années 1920, l'animation musicale est confiée principalement à un piano, voir un orchestre, si des effets plus saisissants sont souhaités. L'instrumentiste choisissait des tempos et une ligne rythmique générale. Chaque rupture du dialogue que le spectateur devinait sur les personnages, chaque cartoon était l'occasion pour le musicien de réexposer la tonalité de l'œuvre. Souvent l'interprète se contentait d'images stéréotypées telles que des gammes descendantes quand un personnage descend un escalier, des gammes ascendantes quand celui-ci monte un escalier, des accords plaqués pour la fermeture d'une porte, etc. Il faut en convenir : rien de réellement sensationnel ni d'avant-gardiste dans la distraction cinématographique. Toutefois, cet essai conduira Walt Disney à préluder une nouvelle saga étonnante dans son évolution sonore : les Silly Symphonies, mais aussi et surtout un certain cartoon mettant en scène un rongeur espiègle, un antagoniste à la figure patibulaire et une embarcation à vapeur qui fera date dans l'Histoire du divertissement par sa singularité de première œuvre animée au son synchronisé.

Willie, le Bateau à Vapeur est ainsi un court-métrage de sept minutes qui acquit une popularité sans précédent par l'incorporation d'un air omniprésent aux variantes saugrenues. Ce même air qui désormais ouvre chaque nouvelle œuvre des studios, achevant son statut mythique aux yeux des puristes. Un jingle orphelin car nul n'est en mesure d'avérer sa paternité encore aujourd'hui. Mais un sonal peut en cacher un autre, et pas des moindres. Depuis 1985 avec Taram et le Chaudron Magique, chaque levé de rideau s'accompagne des premiers accords de l'iconique Quand On Prie la Bonne Étoile, écrite par Ned Washington et composée par Leigh Harline. Bien entendu, elle connaîtra les faveurs d'une nouvelle orchestration lorsque le logo sobrement bleuté à l'arc féérique laissera place à l'avalanche de magie digitale en 2006 avec Pirates des Caraïbes : Le Secret du Coffre Maudit. Pour faire simple, si Mickey Mouse est sans conteste l'incarnation visuelle de Walt Disney, cette chanson en est le pendant audio.

Mais en quoi la musique est elle importante dans un film ? Invariablement elle est avant tout un récepteur d'émotion. Elle peut souligner, tempérer et/ou accentuer un stade souvent important d'une histoire. Elle est en quelque sorte le narrateur, ou du moins le fil conducteur qui facilite l'immersion du spectateur. Ôter la bande son d'un long-métrage et il perd alors toute son essence. Il est cependant judicieux de se rendre compte qu'une musique peut revêtir diverses utilités et qu'elle peut se diviser en catégories, à savoir :

  1. les musiques narratives qui sont généralement chantées par des personnages ou par des tiers ;
  2. les musiques à caractère commercial utilisées dans un cadre de popularisation ; reprenant de façon immuable le titre phare d'un film dans l'optique de promouvoir sa sortie sur les écrans ou en dvd ;
  3. les musiques d'ambiances qui consacrent une forme aboutie et plongent le spectateur dans une œuvre et enfin ;
  4. les musiques dites d'hommages ou d'influences.

De toutes les catégories précitées, la musique narrative est sans nul doute la plus fameuse. Dans un style purement musical, son approche auprès de l'audience est la suivante : souligner par la chanson un moment important du récit en véhiculant une narration plus limpide et ludique pour l'auditoire (et plus particulièrement pour les enfants). De cette façon, le spectateur est happé par l'émotion d'une situation et comprend qu'il s'agit d'une scène essentielle au bon déroulement de l'histoire. La réussite de ce procédé permet d'une part de vivre plus intensément l'aventure des héros mais aussi et surtout de se rappeler une situation précise après visionnage au travers de la bande sonore qui s'écoute indépendamment. Ainsi et sans que le spectateur ne le sache réellement, il se focalise sur la raison qui a conduit les créateurs à illustrer de cette manière cette scène en particulier et non pas une autre. En d'autres termes, l'esprit du public se conditionne afin de mieux recevoir et appréhender le message véhiculé par le scénario. Pour illustrer ce cas de figure, il convient d'étudier quelques-unes des plus illustres chansons narratives. La plupart du temps, les premières d'entre elles affluent dès les premiers instants afin de présenter le personnage principal et ses aspirations. Dans Pinocchio, Quand On Prie la Bonne Étoile en est un parfait exemple. Intervenant dans les premières minutes, elle transpose en quelques secondes les désirs les plus profonds de Geppeto et introduit les personnages qui vont amorcer le conte mais surtout l'évènement qui concevra l'aventure : l'invocation qui donnera naissance au petit pantin de bois. Dans Cendrillon, la musique introductive de la belle souillon et de sa cour animalière intitulée Tendre Rêve écrite et composée par Mack David, Al Hoffman et Jerry Livingston, n'est ni plus ni moins une chanson d'anticipation concernant son destin : croire en ses rêves d'amours contre vents et marées et ils se réaliseront quoiqu'il advienne. Ainsi dès leur intronisation, le spectateur connait leur dénouement. Blanche Neige n'est pas en reste avec son Je Souhaite / Un Chant (mais que d'espérance de la part des vedettes Disney !) de Larry Morey et Frank Churchill, qu'elle s'autorise à fredonner aux abords du puits avant sa rencontre clandestine avec le Prince. Ariel, elle aussi, vante avec la véhémence qui est la sienne les mérites d'une vie terrestre, loin de la mer, avec Partir Là-Bas des maîtres Howard Ashman et Alan Menken, bien que, pour cette dernière, sa présentation se fait plus tôt dans le film La Petite Sirène aux travers d'un opéra aquatique enjoué qui se conclut par son… absence. La musique est alors émissaire de son attitude doucement anarchique et spontanée. Enfin, il est possible d'assister à rien de moins qu'au cycle de la vie et au baptême du seigneur des savanes Simba, dans les premières minutes du virtuose Le Roi Lion...
Se faisant, la majorité des héros Disney dispose de leur propre hymne initiatique qui fait exploser leur dramaturgie. Se calquant sur la personnalité des intervenants, elles peuvent être aussi bien être calmes et apaisées qu'entraînantes et enjouées.

Mais parfois, une chanson peut aussi intercéder de l'extérieur. C'est à dire qu'aucun des protagonistes ne poussent la chansonnette mais que leurs actions et leurs sentiments sont retransmis par le biais d'un orateur inconnu (tout du moins dans l'histoire). Plus rares, elles sont pour autant présentes dans quelques-uns des joyaux Disney tel que Bambi, Les Aventures de Bernard et Bianca, Toy Story, Tarzan, La Planète au Trésor - Un Nouvel Univers, Volt, Star Malgré Lui ou encore Ratatouille. Certaines parfaitement incorporées et réussies, elles sont toutefois moins percutantes que leurs homologues et parfois décalées en raison d'une présence juste sonore et non plus visuelle. Il est évident que l'auditoire sera davantage électrisé par une ballade auquel il pourra apposer un visage et une animation, le pathos sera alors à son paroxysme. Il semblerait d'ailleurs que ce sentiment soit partagé, leur nombre restreint témoignant d'une frénésie relative auprès des consommateurs. Ainsi donc et pour enrayer la propagation de ce style, les musiques purement narratives seront habituellement chantées par des personnages de second plan à qui sera attribué une aura d'observateur de l'histoire. Clopin du film Le Bossu De Notre-Dame, les cinq muses d'Hercule ou le coq troubadour de Robin des Bois en sont de parfaits exemples. Une exception intéressante vaut pourtant son pesant d'or. Quelques fois ce sont de plus glorieux ambassadeurs qui ont l'honneur de figurer dans un grand classique. Lilo & Stitch accueillent rien de moins que Elvis « the King » Presley en personne pour mettre en musique leurs aventures dans l'île paradisiaque de Hawaï, car comme chacun le sait, la voix du rock est inhérente à l'atoll depuis son célèbre concert à Honolulu.

Dans une approche plus mercantile et de popularisation, il se concède très souvent une piste phare parmi celles que le film propose et qui aura la lourde tache d'impulser sur les ondes radios le long-métrage avant sa projection en salle. Le protocole est toujours le même et est immuable depuis le début des années 90 : attiser la curiosité des gens en leur administrant une chanson aux paroles fortes et à la mélodie entêtante. Sans trop en révéler sur la trame, elle dévoile suffisamment d'éléments pour que l'auditeur se questionne sur la présence de cette chanson dans le film, le moment de sa diffusion et qu'elle en sera la version cinéma. Car oui, même si la structure mélodique est identique, elle diverge toujours de celle incluse dans le long-métrage par son arrangement et son interprète. La voix officiant dans l'œuvre originale n'ayant plus l'exclusivité, il sera préférable de solliciter des chanteurs plus populaires, qu'ils soient déjà bien installés dans le paysage médiatique ou en phase de « starification ». La Belle et La Bête est ainsi chantée en version originale  par la - alors - quasi-inconnue aux États-Unis, Céline Dion, remplaçant ainsi Paige O'Hara pourtant émérite dans sa propre version. Une interprétation qui propulsera sa carrière mondiale jusqu'à connaître la consécration avec une autre musique de film mettant en scène un naufrage. Le film Aladdin connait le même processus d'interprétation avec Ce Rêve Bleu, chanson ayant connu deux versions, la première de Brad Kane et Lea Salonga, bien plus naïve et harmonique, et la seconde de Regina Belle et Peabo Bryson aux accords R'n'B et à la production plus américaine. L'Air Du Vent empruntera un chemin identique aux travers de Judy Kuhn et Vanessa Williams. Honnêtement, ces moutures n'atteignent jamais la beauté des transpositions cinématographiques. Surchargées de sons ampoulés qui contrastent fortement avec la finesse des arrangements originaux, leurs écoutes ne dépassent que très exceptionnellement la période où le film est montré en salle, pour ensuite être définitivement oubliées.

Il faut également noter la présence dans les médias de compositions inédites (ou non incluses dans un film, mais parfois présentes en générique de fin) afin de répandre la sortie d'un nouvel animé. Anne Meson, jeune égérie française de Disney officiant à l'époque de Disney Parade auprès de Jean-Pierre Foucault, chantait ainsi le courage d'Oliver et de sa clique pour le compte du film Oliver et Compagnie, ou encore celui de Bernard et Bianca en visite au pays des kangourous. Des morceaux certes en déca de ce que peuvent proposer les auteurs fétiches de l'écurie mais ayant connu une belle popularité grâce à une propagande léchée et redoutable : la diffusion des dites chansons dans les programmes jeunesses.

Autre catégorie à ne pas négliger, les musiques plus diffuses mais tout aussi essentielles que celles chantées : les airs d'ambiances. Et là, force est de constater que l'excellence est souvent au rendez-vous et dès les premières productions. Ordinairement, sans doute dans un désir de diversité et pour solliciter un maximum d'inspiration, les studios engagent plusieurs compositeurs et paroliers pour un seul et même long-métrage, évitant de fait la redondance. D'un art souvent placé en retrait, les artisans de chez Disney lui ont conféré ses lettres de noblesses. Rarement des scores obtiennent une telle renommée auprès du public. Mais s'il y a bien l'une d'entre elles qui a révolutionné la conception comme la commercialisation des bandes originales est celle de Cendrillon. Première musique de film disneyenne commercialisée à grande échelle aux Etats-Unis en 1950 et jouissant du premier copyright déposé par The Walt Disney Music Company, elle connait un succès colossal sans précédent, de surcroît pour l'époque avec 750 000 exemplaires écoulés. Plus aboutie que ses prédécesseurs, elle s'appuie sur un nouveau concept intitulé mickeymousing. C'est un genre de bande originale de film qui souligne chaque évènement de l'opus par la bande sonore. Wilfred Jackson l'un des réalisateurs qui est à l'origine de cette dénomination donne la caractéristique suivante aux cartoons Mickey Mouse et premiers longs-métrages d'animation de Disney, « une musique soigneusement synchronisée avec l'action. » Ainsi, la musique ne se contente plus de combler un silence, mais d'interagir directement avec l'action aussi futile soit elle.

Sa présence est alors magnifiée et devient consubstantielle en plus de concorder avec la culture et l'époque quelle suggère. En effet, il est de bon ton de s'apercevoir de la complexité avec laquelle les compositeurs rendent hommages aux différentes sonorités ethniques. Dans Les Trois Cabaleros, la musique revêt des accents ibériques en employant toutes sortes d'instruments à cordes aux sonorités espagnoles. Dans La Petite Sirène, Alan Menken confère une atmosphère reggae rappelant les caraïbes et autres archipels exotiques des mers chaudes où se déroule l'histoire. Dans Peter Pan, le Pays Imaginaire s'habille d'une résonnante flibusterie et de souffles de flûte de pan. Dans Les Mondes De Ralph, la musique vibre en son 8 bits rappelant l'âge d'or des premières consoles Nintendo, tandis que les très robotisés Daft Punk mixent dans l'héritage élecTronique. Merlin l'Enchanteur et Rebelle, quant à eux, se vêtent d'accords moyenâgeux en formidables ritournelles.

Parfois même, pour orner une histoire sans réels repères historiques les compositeurs se voient « contraints » d'imaginer tout un univers sonore authentique, détaché de la réalité connue. C'est le cas de James Newton Howard avec ses travaux pour Atlantide, l'Empire Perdu. Afin de correspondre avec la minutie dont à fait preuve l'équipe pour crédibiliser toute une populace feinte, il entreprend la formidable manœuvre d'imaginer une musique ancestrale inédite. Se faisant il opte pour un gamelan, un ensemble instrumental traditionnel indonésien comprenant des carillons, cloches et gongs pour base, enrichi de sons plus organiques à base de céramique et de poteries. L'illusion est parfaite et l'incorporation de chœur exotique finit de transcender la perception d'une vérité altérée : ainsi grâce à la musique, le spectateur y croit !

Au fil des films, les compositeurs s'enchaînent à une cadence plus ou moins régulière en associations lucratives. Épisodiquement, certains interviennent à titre posthume. Walt Disney en mélomane éprouvé, affectionnait devant l'Eternel la grande musique. Il était donc tout à fait normal qu'il leur rende un vibrant hommage aux travers de quelques-uns de ses plus flamboyants travaux. Fantasia et Fantasia 2000 sont une succession de séquences mettant en scène certaines des plus belles pages du classique, de Stravinski à Ponchielli en passant par Respighi. Ils permettent au moyen de l'animation d'initier le grand public à une variante musicale peut être moins populaire au courant du XXème siècle. Chacune des entités étant composée de sept et huit séquences réorchestrées et dirigées par le chef d'orchestre Leopold Stokowski à la tête de l'Orchestre de Philadelphie pour le premier, et par le chef d'orchestre James Levine à la tête de l'Orchestre symphonique de Chicago pour le second. Dans un élan de vulgarisation bienveillant et afin d'absorber sans encombre les divertissements proposés, le narrateur juge bon d'éduquer l'auditoire en catégorisant la musique. La première dite « narrative » raconte une histoire, la suivante dite « illustrative » évoque une ou des images, et enfin la dernière dite « absolue », existe que pour et par elle-même. Il est parfaitement louable d'assigner ces en-têtes pour une raison bien particulière : le rendu visuel. Jamais auparavant l'animation est entrée autant en corrélation avec la musique. Très harmonieuses, elles sollicitent les sens tout en rassasiant les novices comme les puristes. Ainsi l'animation consiste en des dessins animés abstraits ou sophistiqués se calquant sur les flux de notes. Les plus sommaires, épileptiques dans leur aspect et qui sont utilisés en guise d'introduction renvoient une forme de synesthésie pure (phénomène neurologique par lequel deux ou plusieurs sens sont associés, ici la vue et l'ouïe), pour offrir une approche sensorielle et émotionnelle accrue. Moins célèbre que les chapitres de L'Apprentie Sorcier ou Mickey s'improvise en piètre magicien ou celui du L'Oiseau De Feu mettant en scène une nymphe des forêts, ils représentent pourtant l'idéal d'une alliance artistique musique/animation. Cette dernière devient vecteur de la musique qui figure désormais en premier plan. L'ampleur du chantier est tel que Fantasia inaugure une manœuvre auditive inédite : il est, en effet, l'unique film à jouir du système Fantasound, un des tout premiers procédés stéréophoniques, ancêtre du son Surround, développé par William E. Garity et John N.A. Hawkins pour les studios Disney. Mesdames et messieurs, Euterpe est reine en ces lieux !

La seconde tentative fut celle de La Belle Au Bois Dormant en 1959, soit 19 ans plus tard, en adaptant la plupart des thèmes instrumentaux du film tirés du ballet de Tchaïkovski dont un tiers a été conservé et transformé pour la bande originale. La critique assassine de l'époque qui incriminait une suffisance graphique et musicale totalement arbitraire provoque alors une faible fréquentation en salle. Disney devra à l'avenir fâcheusement renoncer à ses fantasmes eurythmiques et se concentrer sur les attentes de son public et concorder un peu plus sa musique avec la culture et l'époque contemporaine.

En revanche, s'il y a bien un domaine où les studios prééminent et enchantent l'auditoire, ce sont dans la concrétisation de comédies musicales directement inspirées des plus grands spectacles de Broadway. Ironiquement, Disney en souhaitant « copier » l'énergie et la richesse de ces shows, déteindra grandement sur les futurs hits de Time Square, au point qu'ils créeront le WaltDisney Theatrical Productions Ltd. en 1994 pour adapter sur scène ses plus grands classiques qui ne cessent de perpétrer encore aujourd'hui des records d'affluence. Les « responsables » de ce phénomène international ? Les biens-heureux et talentueux Howard Ashman et Alan Menken. Après le succès des longs-métrages d'animation La Petite Sirène et La Belle et la Bête, le journaliste Frank Rich du New York Times prie le studio d'adapter le dernier film sur les planches en écrivant ces lignes « Quelle est la meilleure comédie musicale en 1991 ? Pas d'hésitation, c'est la musique qu'Alan Menken et Howard Ashman ont écrit pour La Belle et la Bête. Il y a dans ce dessin animé un quelque chose qui manque à nos comédies musicales contemporaines. » Les critiques dithyrambiques inciteront à l'interprétation scénique d'autres œuvres plébiscitées comme Le Roi Lion, Le Bossu De Notre-Dame, Mary Poppins, Tarzan, La Petite Sirène, Newsies - The News Boys, Aladdin et prochainement Le Livre De La Jungle. Spectaculaires à l'écoute et de visu, elles sont les témoins d'un savoir-faire irréprochable qui assoient le génie des Studios Disney.

Un génie qui prend également toute sa consistance dans l'élaboration d'attractions pour les célèbres parcs à thème. De toutes celles qui les constituent, deux restes indubitablement les fer-de-lance d'une alchimie musique/attraction. La première étant évidemment le partenariat entre la brillante illustratrice Mary Blair et les frères Sherman avec l'innocent "it's a small world", montrant naïvement la multitude d'ethnies  cohabitant sur le globe par le biais de marionnettes délicieusement costumées et animées. Ce lullaby monorythmique (manière lyrique qui permet une mémorisation intense et involontaire) composée en 1964, demeure très certainement comme l'une des plus éclatantes réussites du divertissement sonore. Extrêmement populaire, elle fait écho à l'opulence visuelle du manège mais contraste également par sa relative simplicité. Il s'agit d'un parfait exemple de musique indépendante, c'est-à-dire qui s'émancipe de la raison liminaire de sa création. Cette berceuse devient tellement célèbre qu'un flot de révérences se greffent un peu plus chaque année à son aura évocatoire. Pour l'anecdote, dans le jeu-vidéo japonais Dragon Quest VIII : L'Odyssée du Roi Maudit, extrêmement populaire dans la communauté vidéo ludique, le compositeur attitré Koichi Sugiyama témoigne son affection envers ce titre en composant une variante de cet air par l'intermédiaire de Quiet Village Night. Une réussite appréciée par les gens partageant l'amour de Disney et des jeux de rôles.

La seconde a connu une renaissance en 2010 suite au décès de sa vedette mondiale (et comme le dit le film, au-delà de ses frontières également) : Captain Eo. Créé en 1986 par Georges Lucas (production), Francis Ford Coppola (réalisation), James Horner pour la musique orchestrale et Michael Jackson pour les deux morceaux We Are Here To Change The World et Another Part Of Me, elle met en scène un capitaine et son équipage dans un vaisseau spatial mandaté pour remettre un cadeau à une Reine abjecte et tyrannique. Alors au firmament de sa gloire, l'autoproclamé « Roi de la Pop » fournit un travail apologétique. La musique, parfait moulage de sons R'n'B, funk et disco communique une franche euphorie et se voit jointe à une chorégraphie militaire et léchée dont lui seul en a le secret. L'apport du mouvement et de la 3-D (les prémices !) affirme enfin son statut d'œuvre prisée et culte.

Toutefois le théâtre et les parcs à thème ne sont pas les seuls médias à témoigner d'un certain culte disneyen. Le monde électronico-virtuel s'approprie également les musiques de la compagnie. D'une part en transposant les films à succès sur console de jeu et d'autre part en créant des jeux-vidéo entièrement nouveaux se construisant sur l'univers Disney. Les plus célèbres d'entre eux actuellement sont sans conteste les sagas Kingdom Hearts, mettant en scène le jeune Sora dans des univers mêlant Disney à des personnages issu de la série fétiche des studios japonais Square-Enix, Final Fantasy ; et Epic Mickey, relecture inquiétante et psychédélique de la jeunesse de Mickey et du trop souvent oublié lapin Oswald, par le génial Warren Spector. Yoko Shimomura et James Dooley, respectivement compositeurs des susnommés surfent sur le phénomène du « fan-service », action qui consiste en la réinterprétation de quelques-uns des plus insignes thèmes musicaux en modifiant leur arrangement. Ainsi les irréductibles se féliciteront de reconnaître tel ou tel morceau.

Impossible enfin de conclure ce dossier sans aborder la multitude de tributs que différents artistes ou inconnus témoignent à l'héritage musical Disney. Comme dit plus haut, la musique est un moteur créatif universel qu'il est aisé de s'approprier. Le modus operandi reste inchangé : si un enregistrement est qualitativement réussi, la foule souhaite en faire sa propre translation. L'Étrange Noël de Monsieur Jack de Henry Selick est un parfait cas d'école. Le célèbre air Voici Halloween du compositeur Danny Elfman est désormais scandé par les enfants lors du 31 octobre. Cette musique est pour ainsi dire devenue l'analogue de Vive le Vent pour la fête macabre.

Dans un registre légèrement plus candide, le désormais traditionnel Un Jour Mon Prince Viendra  de Blanche Neige et les Sept Nains est connu pour être un standard de musique noire-américaine. En 1957, le pianiste de jazz Dave Brubeck, inspiré par une anthologie de musiques Disney appartenant à son fils, sort l'album Dave Digs Disney comprenant une version de cette chanson.

La chanson devient rapidement populaire auprès d'autres musiciens appartenant à ce courant. Plusieurs versions seront alors enregistrées comme celles de Bill Evans, Oscar Peterson, ou de Herbie Hancock. Miles Davis enregistrera même en 1961 un album jazz nommé du titre de cette même ballade, tout comme The Chet Baker Trio en 1979. Elodie Frégé a quant à elle ajoutée sa pierre à l'édifice en 2013.

Quand On Prie la Bonne Étoile de Pinocchio (encore elle !) n'est pas non plus en reste. Devenue un grand classique classé septième au registre des 100 meilleurs chansons de l'Histoire du cinéma américain par l'American Film Institute, elle est souvent reprise par des artistes tels que Louis Armstrong, Glenn Miller, Gene Simmons du groupe Kiss, Billy Joel... Elle se retrouve même dans l'ouverture du film de Woody Allen, Vous Allez Rencontrer Un Bel Et Sombre Inconnu. A noter également qu'un extrait de 18 secondes de ce thème peut se faire entendre à 4 minutes et 26 secondes du titre The Appearance of the Visitors tiré du film de Steven Spielberg, Rencontre du Troisième Type.

Plus récemment la chanteuse Lana Del Rey s'est notablement distinguée par deux fois en combinant son univers vintage à celui de Disney. Pour commencer avec le titre Young And Beautiful. Dans le sens strictement musical, aucun lien ne permet d'affirmer une telle chose pour la première tentative. Cependant, et au regard du clip accompagnant la chanson tiré du film Gatsby le Magnifique de l'australien Baz Luhrmann sortie en 2013, l'hommage y est retentissant. Sans doute férue de la Toccata et Fugue en Ré Mineur de Jean-Sébastien Bach, appendice d'introduction de l'orchestre symphonique louangeur de Fantasia, elle reprend (pour ne pas dire plagie) l'intégralité de la mise en scène et des jeux de lumière. La seconde en revanche est plus officielle. Dans le cadre de la relecture cinématographique du personnage de Maléfique en 2014, les studios Disney l'ont conviée à interpréter une version sombre et lancinante du morceau J'en ai Rêvé du film La Belle Au Bois Dormant.

Enfin, comme pour adouber un nouvel âge d'or, l'avalanche des reprises du titre Libérée, Délivrée, du film oscarisé La Reine des Neiges circulant sur le net, confirme l'ensemble des propos cités tout au long de cet article : Disney, « victime » de son succès, est condamné à enfanter toujours plus des films d'animation accompagnés de bandes-son qui s'affilieront durablement aux vies et émotions du public planétaire. Qui s'en plaindrait ?

A noter :
Hélios a signé cet article à la suite d'un « Concours des Lecteurs-Rédacteurs » organisé pour les 14 ans de Chronique Disney et permettant aux fans qui le souhaitaient alors de rédiger pour le site une analyse sur le thème de leur choix.

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