Christian Renaut
Le Spécialiste qui Dissèque les Séquences Cultes Disney
L'article
Après De Blanche Neige à Hercule, 28 Longs Métrages d’Animation des Studios Disney et Les Héroïnes Disney Dans les Longs Métrages d’Animation, deux livres majeurs dans le paysage littéraire disneyen français, Christian Renaut revient avec une nouvelle série d'ouvrages qui se proposent de décrypter les plus grands moments de l'animation Disney. Le premier, Les Séquences Cultes des Classiques Disney : Blanche Neige - Pinocchio - Fantasia édité chez L'Harmattan, invite dès lors son lectorat dans les coulisses de la création des trois premiers chefs-d’œuvre de Disney ; l'auteur y passe au crible dix séquences emblématiques, parmi lesquelles la transformation de la Reine en sorcière, la fuite en radeau de Pinocchio et Geppetto poursuivis par la terrifiante baleine Monstro ou encore l'hypnotisant ballet fantomatique au sommet du Mont Chauve. Pour Chronique Disney, Christian Renaut s'est prêté au jeu des questions afin de parler de son incroyable parcours à travers les années et de la conception de cette nouvelle série d'essais.
[Chronique Disney] Votre parcours est passionnant, vous avez rencontré des dizaines et des dizaines d'artistes Disney à travers les années, comment cela a-t-il commencé ?
[Christian Renaut] Je suis passionné par Disney depuis mon plus jeune âge. J'ai collectionné des articles, des photos, des dessins et puis, très rapidement, le côté technique, les coulisses m'ont intéressé, et j'ai continué à développer cette passion. Après avoir lu tout ce qui existait à l'époque, je me suis demandé ce que je pouvais bien faire de cette passion, et je me suis dit que je pourrais peut-être écrire un livre moi aussi. Des livres écrits en français par des Français, il n'y en avait pas des masses dans les années 80 donc ce n’était pas gagné, d'autant que je n'étais pas journaliste, je n'étais pas écrivain, je n'étais pas connu et je n’habitais pas à Paris. J'ai eu la chance de croiser la route de Philippe Videcoq-Gagé, qui m'a ouvert les portes. Grâce à lui, j'ai pu rencontrer Frank Thomas et Ollie Johnston, je me suis pris d'amitié avec eux et dans la foulée, je me suis dit : « Il y a plus qu'à aller à Burbank et essayer de faire des interviews et des recherches » !
Je suis arrivé en 1987 aux États-Unis en pensant naïvement être accueilli à bras ouverts aux archives. Je dis naïvement parce que j'étais censé avoir une sorte de visa de la maison-mère à Paris que je n'ai jamais obtenu, alors tant pis, j'y suis allé quand même. Quand je suis arrivé, la situation était assez catastrophique, il n'était pas question qu'on me laisse entrer aux archives. Je n'en ai jamais eu la confirmation, mais je suppose que Frank et Ollie m’ont appuyé pour que je puisse entrer et faire mes recherches. Ils m’ont aussi ouvert leur carnet d’adresses. J'ai rencontré beaucoup d'artistes, ils étaient tellement accessibles et peut-être intrigués qu'un Français s'intéresse à leur parcours. J'étais invité chez eux à manger, c'était simple. La plupart étaient en retraite, les langues se déliaient un peu, j'ai découvert que tout n’était pas aussi rose qu’on le prétendait chez Mickey. Maintenant, avec internet, c'est beaucoup plus facile d'entrer en contact, et comme beaucoup d’artistes me connaissent désormais, je n'ai pas trop de mal à les rencontrer. Je suis même amis avec certains d’entre eux, comme Kathy Zielinski qui a travaillé sur Ursula, Jafar et Frollo.
[Chronique Disney] Vous avez encore rencontré des artistes récemment ?
[Christian Renaut] Oui, j'en rencontre encore très souvent. L’une des dernières rencontres en date, et je suis assez content parce qu'elle ne donne jamais d'interview, c’est avec Lorna Cook, qui a fait partie de la bande de Don Bluth. Elle était charmante, c'était une rencontre très intéressante.
Heidi Guedel, Linda Miller, Lorna Cook et Emily Juliano
[Chronique Disney] Un souvenir que vous chérissez tout particulièrement ?
[Christian Renaut] Il y en a tellement !
[Chronique Disney] La rencontre avec Frank et Ollie dès le début, c'est quand même extraordinaire !
[Christian Renaut] (Rires). Ah oui ! Ça s'est passé à Paris grâce à Philippe Videcoq-Gagé, on était en face de Notre-Dame, quelques années avant la sortie du (Le) Bossu de Notre-Dame d'ailleurs c'est amusant, et j'étais comme un gamin ! En discutant au restaurant, j'apprends qu’Ollie Johnston et sa femme Marie vont aller au Mont-Saint-Michel. Le lendemain, j'étais disponible, alors j'ai proposé de les emmener ! J'ai passé toute la journée avec Ollie qui me racontait tout de façon impromptue, c'était une journée absolument inoubliable. J'ai eu beaucoup de chance. Et je suis arrivé à la bonne époque, les artistes étaient encore relativement en forme. J’ai aussi rencontré Marc Davis une fois, en 1987. Onze ans après, en 1998, je vais à une convention où il se trouve, tout le monde s’affole autour de lui pour lui demander une dédicace et je me dis qu’il m’a évidemment oublié. Et là, sa femme Alice me reconnaît et ils m’invitent à manger chez eux ! J’ai rencontré quatre des Neuf Vieux Messieurs au final : Ward Kimball, Frank Thomas, Ollie Johnston et Marc Davis.
Les Neuf Vieux Messieurs
[Chronique Disney] Vous possédez un véritable trésor mémoriel, comptez-vous rendre disponible un jour ou l’autre des collections de ces interviews ?
[Christian Renaut] Il y en a déjà une bonne partie dans la série Walt’s People de Didier Ghez, jusqu’au Volume 7. Mais quand la série des (Les) Séquences Cultes des Classiques Disney sera finie, je pense que j'aurai presque tout mis ! Mais peut-être qu'un jour je sortirai tout, oui.
[Chronique Disney] Avant d'écrire votre premier volume des (Les) Séquences Cultes des Classiques Disney, vous avez signé deux autres ouvrages, De Blanche-Neige à Hercule et Les Héroïnes Disney. Pouvez-vous nous parler de la conception de ces livres ?
[Christian Renaut] J’ai commencé à réfléchir à un livre en 1985, et De Blanche Neige à Hercule est sorti en 1997, ça donne une idée du long parcours du combattant ! Il est sorti au moment où je n’y croyais plus, quand des gens « bien intentionnés » me disaient que ça ne se ferait jamais, que personne ne me connaissait etc. Ma rencontre avec Dreamland, avec Xavier Pezet et Thierry Steff a été décisive. Ce qui est génial, c’est que j’avais une liberté absolue. Ils ne m’ont jamais rien fait changer ; aujourd'hui, ça ferait frémir ! C’est la même chose pour Les Héroïnes Disney, j’étais libre, y compris au niveau de l’iconographie, j'obtenais les images que je voulais, les roughs, les clean-up, c’était la jeunesse dorée. Depuis, les archives sont fermées, à part pour un petit bassin d'auteurs maison, et il n'y a plus le droit non plus d'utiliser les séries de dessin d'animation image par image, donc c'est de plus en plus limité.
[Chronique Disney] Une réédition des (Les) Héroïnes Disney a un temps été envisagée. Peut-on encore l’espérer ?
[Christian Renaut] Il y a une énorme demande pour le ressortir, d’autant qu’il a été édité à peu d’exemplaires. Cela a failli se faire chez Huginn & Muninn, ils avaient même fait une couverture, mais c'est impossible aujourd'hui de refaire le même livre. J'avais réécrit deux ou trois chapitres, je les ai traduits et envoyés à Disney, mais ils sont revenus avec des ratures partout. Si on veut utiliser des images dans les livres, cela coûte déjà très cher et on ne peut pas demander n’importe lesquelles, c'est Disney qui les sélectionne et il faut aussi accepter leur droit de regard sur le texte. Il faut éviter tout ce qui est trop critique et surtout ce qui est trop analytique. Je réfléchis quand même à une version des (Les) Héroïnes Disney sans images, j’ai complètement retravaillé et mis à jour le texte, et j'ai fait tellement de nouvelles interviews depuis, j'ai appris des choses super intéressantes, par exemple sur Belle. J’ai aussi mieux appréhendé le rôle majeur des clean-ups, les gens qui font le tracé définitif des personnages, et en ai interviewé beaucoup.
[Chronique Disney] Parlons de votre livre Les Séquences Cultes des Classiques Disney : Blanche Neige - Pinocchio - Fantasia, comment ce projet a commencé, comment a-t-il germé dans votre esprit ?
[Christian Renaut] Je me suis dit « soit je n’écris plus rien parce que je n’accepte pas ce contrôle trop strict, soit j’écris sans photos ». J'avais appris tellement de choses, j’avais tellement d’interviews et je voulais partager avec les autres passionnés. Ça faisait une quinzaine d'années que j’avais plusieurs projets, je me disais qu’on a tous plein de scènes en tête sans trop savoir comment elles sont conçues. Par l'intermédiaire de Didier Ghez, j'ai fait une petite enquête, un sondage pour connaître les scènes cultes des autres fans, et puis j'en ai dégagé une première sélection de séquences, assez similaire à la mienne. À chaque fois, il y a dix séquences étudiées. Avec des films comme Pinocchio, Blanche Neige et les Sept Nains et Fantasia, c'est très dur de sélectionner. Le problème des choix !
[Chronique Disney] Vous avez consulté des fans Disney pour la sélection, mais vous citez aussi beaucoup d’historiens et de spécialistes dans vos remerciements. Ce livre est vraiment le fruit d’une réunion d’experts du monde entier.
[Christian Renaut] Oui, il y a des références absolues. Pour le volume 2 par exemple, lorsque je traite d’Alice au Pays des Merveilles, il y a Brian Sibley qui m’a conseillé, il connaît tout sur le bout des doigts. Pour parler de Mary Poppins, je vais à nouveau le contacter, il a rencontré P.L. Travers et Julie Andrews, il est excellent. Pour les films sud-américains comme Saludos Amigos, J.B. Kaufman a relu les chapitres et m'a donné des conseils. Pour Blanche Neige et les Sept Nains aussi, j'ai eu le concours de Dave Johnson, il sait tout sur ce film ! Il a tout relu et je lui en suis très redevable.
J.B. Kaufman et Diane Disney Miller
[Chronique Disney] Vous citez des centaines de noms dans le livre, des grandes pointures du studio jusqu’aux intervallistes et autres membres du département Encre et Peinture. C’était important pour vous de mettre en valeur des artistes moins connus ?
[Christian Renaut] Oui, les artistes qui lisent mes livres apprécient que je parle de gens moins connus. Les artiste clean-up ont un talent fou par exemple. C’est quelque chose que j’ai ressenti en rencontrant des artistes qui n’étaient pas sur le devant de la scène, ils ont souffert du statut des Neuf Vieux Messieurs qui étaient toujours mis en avant. Ce qui au départ n'était qu'une blague sortie par Walt Disney a pris beaucoup d'ampleur. Parfois, je dresse un portrait un peu plus long des artistes moins connus quand untel ou untel a eu un rôle important sur une séquence. Je consulte aussi des étudiants de la CalArts où des animateurs ont suivi l’enseignement de grandes pointures comme Elmer Plummer ou Marc Davis. Dès que je sens qu’il y a une opportunité de jeter un éclairage sur une personne, je ne m’en prive pas. Il y a des animateurs comme Hal King, Cliff Nordberg ou Eric Cleworth qui ont fait énormément de choses mais il n'y a pas d'interview, pas de portrait sur eux, rien. J'ai demandé à des artistes et des proches parce que je trouve normal qu'ils aient voix au chapitre, même si c'est limité. Parfois même, je rencontre leurs enfants. J'ai eu une grande chance pour le troisième volume, j'ai discuté avec les enfants de Joe Rinaldi qui a travaillé sur le scénario de La Belle et le Clochard.
[Chronique Disney] Pouvez-vous nous parler de votre vision de l'historiographie ? Vous écrivez une histoire plus réaliste et nuancée de la société, en apportant une quantité impressionnante d’informations glanées dans des documents de la compagnie et dans vos propres échanges avec les artistes.
[Christian Renaut] Pendant tellement d'années, on a voulu nous vendre Disney comme un univers magique où tout le monde s'entendait à merveille. Je ne voulais pas faire comme certains livres qui sont des horreurs qui démontent Disney, ce n'était pas du tout mon propos. Mais entre ces livres qui déversent des atrocités et le côté vernis merveilleux de Walt et du studio, il y avait un juste-milieu. J'essaye de montrer Walt Disney comme il était. Il y avait énormément de compétition et des coups bas aux studios, mais je ne m'étends pas trop dessus parce que ce n'est pas le sujet du livre. Il ne faut pas être dupe de l’enjolivement et du côté trop lisse et parfait.
Walt Disney lors d'une séance de storyboarding sur Pinocchio
[Chronique Disney] Le terme « séquence » est très large, il vous permet de traiter de mille sujets différents au fil des chapitres en plus de l’animation. Comment avez-vous abordé ces analyses ?
[Christian Renaut] J'ai longtemps hésité pour le terme « séquence ». En anglais, c'est « The Best Of », la séquence me permettait d’aborder davantage de choses que de simples scènes. Je ne voulais pas tomber dans la surinterprétation. Les analyses sont toujours réalisées à la lumière de ce que je sais, de ce que j'ai vu et entendu. Les choses concrètes et réelles. C'est toujours pour montrer à quel point les scénaristes étaient inventifs avec des références incroyables et je voulais leur rendre hommage comme aux animateurs. Je parle aussi d’architecture surtout sur les premiers films. C'est Robin Allan qui m'a ouvert les yeux sur ce sujet, pour comprendre comment les artistes ont puisé leurs inspirations dans telle période historique, tels costumes…
[Chronique Disney] Y a-t-il une séquence que vous êtes particulièrement déçu d'avoir dû laisser de côté ?
[Christian Renaut] Oh, il y en a tellement ! Pour Fantasia, j'aurais bien tout mis ! J'avais pensé à la lutte entre le tyrannosaure et le stégosaure, à Toccata et Fugue en Ré Mineur aussi. Pour Les 101 Dalmatiens, j'aurais bien voulu faire l'appel du soir, l'enchaînement des aboiements. Pareil pour Merlin L’Enchanteur, tout le monde s'attend au duel de magie entre Merlin et Madame Mim, mais moi, j'aurais bien écrit sur la scène des écureuils que j'aime beaucoup. Et dans Alice au Pays des Merveilles, la séquence des cartes. Il y en a vraiment plein.
[Chronique Disney] Le second tome est paru en anglais récemment, sous le titre The Best Of Disney's Animated Features - Volume 2. Que peuvent retrouver les lecteurs dans la suite de la série ?
[Christian Renaut] Dans le deuxième volume, il y a deux chapitres sur Dumbo, quatre sur Bambi, avec bien sûr la mort de la mère de Bambi, une séquence de La Boîte à Musique aussi : All the Cats Join In. Pour Saludos Amigos, il y a la toute fin, Aquarela do Brasil et pour Cendrillon, la scène de la robe de bal évidemment avec la marraine la bonne fée. Et la partie de thé pour Alice au Pays des Merveilles. Quant à la suite, je suis déjà bien avancé dans le volume 3.
Merci à Christian Renaut pour sa gentillesse, sa patience et sa disponibilité. Les lecteurs peuvent se procurer le premier tome de la série ici et le second tome ici (en anglais uniquement). Les lecteurs qui le souhaitent peuvent contacter directement Christian Renaut via Facebook pour obtenir un exemplaire dédicacé.