Les Instruments de Musique

Titre original : Toot, Whistle, Plunk and Boom Production : Walt Disney Animation Studios Date de sortie USA : Le 10 novembre 1953 Série : Genre : Animation 2D CinemaScope |
Réalisation : Charles Nichols Ward Kimball Durée : 10 minutes |
Disponibilité(s) en France : | Autre(s) disponibilité(s) aux États-Unis : |
Le synopsis
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La critique
Les Instruments de Musique, suite d'Adventures in Music : Melody, est assurément un des cartoons les plus importants des années 50 pour les studios Disney et ce, pour différentes raisons aussi bien historiques, artistiques que techniques. Retour sur cette pépite de l'histoire de l'animation.
La grande particularité des (Les) Instruments de Musique est, d'abord
et avant tout, d'avoir été tourné en CinemaScope.
Le CinemaScope est un procédé qui consiste à anamorphoser (comprimer) l'image à
la prise de vue, pour la désanamorphoser à la projection. Le dispositif optique
est basé sur celui de l'Hypergonar, inventé en 1927 par le français Henri
Chrétien. Il s'agit principalement d'une lentille cylindrique placée devant
l'objectif primaire, sphérique.
En 1953, Hollywood, qui tremble devant la démocratisation de la télévision
soupçonnée des pires conséquences, et notamment de la disparition pure et simple de
l'industrie cinématographique cherche, en effet, tous les moyens pour retenir le
public dans les salles ; l'innovation technique étant le premier d'entre eux. Le
format CinemaScope et la projection en 3-D inaugurent d'ailleurs l'offensive
commerciale.
La 20th Century Fox conclut dès 1953 un accord avec l'inventeur du
procédé, Henri Chrétien, et présente la même année (le 16 septembre 1953) le
premier film tourné en CinemaScope, La Tunique (The Robe) d'Henry
Koster. Les studios Disney obtiennent dans la foulée une licence de la
Fox pour utiliser le format. Walt Disney est donc le premier à proposer un
cartoon en CinemaScope avec Toot, Whistle, Plunk and Boom (Les
Instruments de Musique) présenté le 10 novembre 1953. L'année suivante, il
signe deux autres œuvres sous ce format ; son premier film "live", 20 000
Lieues sous les Mers
et son deuxième cartoon - mais le premier à proposer une star maison dans ce
format, Donald - Grand Canyonscope
(Donald Visite le Grand Canyon). Tous deux sortent le 23 décembre 1954.
L'année suivante, Walt Disney présente avec
La Belle et le Clochard, le premier
long-métrage d'animation en écran large.
Pourtant, le procédé ne va pas sans poser certains problèmes. Toutes les salles de cinéma ne sont pas, en effet, équipées pour diffuser ce genre d'écran large. Or, comme la technique consistant à adapter un film CinemaScope en film normal n'est pas encore mise au point, les studios Disney se voient obligés de filmer leurs cartoons deux fois. Cela nécessite ainsi deux jeux de décors, l'animation pouvant être indifféremment utilisées. Parfois, l'incidence des deux technologies va jusqu'au dialogue ! Dans Les Instruments de Musique de nombreux changements ont donc lieu. Dans la version "normale" des personnages, certains plans avec des intervenants multiples sont ainsi coupés en deux ; des zooms sont effectués différemment et des éléments n'ont pas droit à des étirements comme le piano à la fin de la séquence des instruments à cordes...
Reproduisant l'erreur commise pour les courts-métrages de la série des True-Life Adventures, RKO Pictures, le distributeur du studio Disney sur la période allant de 1937 à 1953, se montre totalement hostile à l'idée de sortir, en 1953, le premier long-métrage de la collection, Le Désert Vivant. Walt Disney, las de la grande frilosité de son partenaire, qu'il juge désormais par trop handicapante, se décide avec son frère - et accessoirement directeur financier de sa firme -, Roy Disney, de rompre l'accord de distribution. The Walt Disney Company se charge donc désormais de distribuer seule ses productions. La filiale Buena Vista Distribution Company voit pour cela le jour et organise sa toute première sortie avec Le Désert Vivant. Le film, dont le budget initial est de la moitié d'un million de dollars, en rapporte dix fois plus. Les frères Disney, prenant de cours bien des analystes, signent, une fois encore, un coup de maître et consolident au passage toute la chaîne de production de leur studio. Autre heureuse décision, le cartoon Les Instruments de Musique est choisi pour être la première partie du film animalier. Il est donc en fait la toute première œuvre à être distribuée entièrement par Buena Vista..
Mais pour en rajouter à la confusion, les différentes versions du cartoon ne
sont pas distribuées par le même studio. En 1953, RKO perd, donc, les
droits des films Disney. Pour autant, le contrat liant Disney et
RKO ne se terminant réellement qu'en 1956, ce dernier continue de
distribuer de 1953 à 1956 des cartoons ou des compilations. A tour de rôle,
Buena Vista et RKO se chargent donc, soit des cartoons tournés en
CinemaScope, soit de leurs pendants en version normale. Il faut ainsi créer deux
écrans titres différents pour chaque distributeur, et ce, jusqu'à la fin du
contrat de RKO.
Ces péripéties rendent les courts-métrages animés plus chers encore et
précipitent un peu plus la décision d'en réduire la production de masse...
Jusqu'à leur arrêt quasi-définitif, à partir de 1956.
Ward Kimball, un des Neuf Vieux Messieurs, co-réalisateur de l'opus comme ce fut le cas aussi dans Adventures in Music : Melody, va mettre tout son talent dans le visuel et l'ambiance si particulière des (Les) Instruments de Musique. Il faut dire que l'animation du cartoon est étonnamment différente de tout ce qu'avait fait jusqu'ici les studios Disney : son animation est extrêmement simple. Elle est, en fait, en adéquation avec la mode de l'époque. L'animation spartiate s'est, en effet, popularisée durant les années 50 via des studios aux moyens limités. Ainsi, et par exemple, pour palier à son manque de financement, UPA (Mr. Magoo) utilise pour les célèbres aventures de son Mr. Magoo des personnages stylisés aux traits minimalistes... Si les studios Disney, n'ont, eux, pas ces soucis-là, ils se font critiquer par l'intelligentsia et les critiques qui les accusent de ne pas faire évoluer leur style et de rester avec une animation veillotte trop parfaite. Ils se décident, néanmoins, afin de démontrer qu'ils maitrisent toutes les formes de l'animation, y compris les plus simples, à en explorer les contours.
Le cartoon bénéficie en outre des décors uniques de l'artiste Eyvind Earle
qui donnera six ans plus tard son style si particulier à
La Belle au Bois Dormant.
Eyvind Earle est né le 26 avril 1916 à New York. Il participe à sa première
exposition artistique en 1937 aux Charles Morgan Galleries, dans sa ville
natale. C'est à cette époque qu'il postule - sans succès - chez les Studios
Disney alors situés dans les locaux d'Hyperion Avenue. Il patiente jusqu'en
1951 pour y être engagé en qualité d'artiste dédié aux décors. Il en réalise
ainsi plusieurs centaines rien que pour Peter
Pan ! Il est également crédité pour les décors expérimentaux du
court-métrage de Dingo, Dingo Toréador
(1953) et crée dans la foulée le style particulier du cartoon récompensé aux
Oscars, Les Instruments de Musique (1953). Il réalise par la suite des
décors pour l'émission de télévision
Disneyland et enchaine plusieurs longs métrages :
La Belle et le Clochard (1955) et
La Belle au Bois Dormant (1959).
Pour ce dernier, il est le responsable en titre des décors, couleurs et du style
graphique, signant là un travail vu par de nombreuses critiques comme le plus
représentatif de son talent. Il quitte le studio en mars 1958 en raison d'un
désaccord avec Clyde Geronimi fraichement nommé réalisateur du film
La Belle au Bois Dormant...
Les décors signés d'Eyvind Earle sont de véritables œuvres d'art ! Rien
d'étonnant dès lors à les voir mis à l'honneur dans multiples expositions à
travers le monde et notamment en 2006, à celle des Galeries Nationales du Grand
Palais de Paris,
Il Etait une Fois Walt Disney...
Les Instruments de Musique reprend le même principe qu'Adventures in Music : Melody avec lequel il partage le même design très particulier mais aussi le ton et certains personnages. Le spectateur retrouve donc le professeur Owl qui fait un cours sur les instruments de musique. Mais contrairement au précédent opus, son récit est passionnant car il est parfaitement bien construit alliant l'humour et les informations factuelles. Non seulement, le cartoon apprend beaucoup de choses sur les instruments mais le fait avec drôlerie. Ainsi, il démontre que tous les instruments d'un orchestre peuvent être séparés en quatre types de son : le tuuut (Toot) pour les cuivres, le fschuiii (Whistle) pour les bois, le ploc (Plunk) pour les instruments à cordes et le boum (Boom) pour les percussions. De plus, sur seulement dix minutes, il montre pour chacun l'explication de leur création : des pistons des trompettes aux trous des flutes en passant par la différence entre le violon ou la harpe et ce, de la préhistoire à l'époque contemporaine, allant de l'Egypte ancienne au moyen-âge.
Tout ceci fait que Les Instruments de Musique remporte l'Oscar du meilleur court-métrage, le premier pour un cartoon Disney depuis Der Fuehrer's Face en 1943. Lors de cette fameuse nuit des Oscars, Walt Disney monte sur scène pas moins de quatre fois sur les cinq nominations qu'il a obtenues. En plus des (Les) Instruments de Musique qui a gagné l'Oscar du Meilleur Court-Métrage (devant entre autre un autre cartoon Disney, La Chasse à l'Ours), Le Désert Vivant emporte celui du meilleur documentaire, Au Pays des Ours celui de l'oscar du Meilleur Court-Métrage sur Deux Bobines et The Alaskan Eskimo celui du Meilleur Court-Métrage Documentaire. A l'époque, ce sont en effet les producteurs qui recevaient les Oscars et non les réalisateurs ! Walt Disney en reçoit donc 4 dans la même soirée, le plus primé ce soir-là. A tel point qu'il se trompe dans les remerciements pour des (Les) Instruments de Musique. Au lieu de féliciter ses animateurs, il félicite ses photographes animaliers !
Les Instruments de Musique est une pépite de l'animation Disney. Quand une œuvre occupe une telle place à part dans l'histoire des studios en révolutionnant son style et sa technique tout en offrant un récit aussi divertissant qu'instructif, le spectateur sait qu'il est en face d'un chef d'œuvre. A savourer !