The Queen
Titre original : The Queen Production : Miramax Films Pathé Renn Productions Granada Film Productions BIM Distribuzione France 3 Cinéma Canal+ Scott Rudin Productions Date de sortie USA : Le 29 septembre 2006 (New York Film Festival)
Le 6 octobre 2006 (Sortie Limitée) Le 17 novembre 2006 (Sortie Nationale) Genre : Drame Date de sortie cinéma Royaume-Uni : Le 15 septembre 2006 |
Réalisation : Stephen Frears Musique : Alexandre Desplat Durée : 103 minutes |
Disponibilité(s) en France : |
Le synopsis
La critique
Les films sur l’histoire de la monarchie britannique se comptent par centaines. Depuis que le cinéma existe, elle a en effet inspiré une quantité impressionnante de cinéastes qui, décennie après décennie, ont consacré des kilomètres de bobines pour mettre en scène les souverains anglais passés et présents. Des figures comme Richard Cœur de Lion, Jean Sans Terre, Henry VIII, Elizabeth Ire, Victoria, George V ou bien encore Edward VIII et George VI ont ainsi été les premiers rôles d’un nombre incalculable de fictions. Au milieu de toutes ces têtes couronnées de légende, une figure s’est remarquablement distinguée des autres sur les écrans, Elizabeth II, dont la notoriété et l’aura, incroyables, étaient telles que dans le monde entier, chacun comprenait qu’il était question d’elle lorsqu’il était fait mention de La Reine – The Queen...
Née à le 21 avril 1926, Elizabeth Alexandra Mary est la fille aînée du prince Albert, duc d’York, et d’Elizabeth Bowes-Lyon, l’héritière d’une grande famille aristocratique écossaise. Élevée avec sa sœur Margaret sous les ors de la monarchie, l’enfant voit sa vie totalement chamboulée en décembre 1936 lorsque son oncle, le roi Edouard VIII, abdique afin de pouvoir se marier avec la femme de sa vie, Wallis Simpson, deux fois divorcée. En vertu des règles constitutionnelles du Royaume, le père d’Elizabeth prend la succession et devient roi sous le nom de George VI. La petite fille, alors âgée d’un peu plus de dix ans, devient pour sa part de fait l’héritière directe de la couronne. Héroïque durant la Seconde Guerre mondiale au cours de laquelle elle servit notamment comme ambulancière et mécanicienne, Elizabeth est en voyage officiel au Kenya avec son époux, le prince Philip Mountbatten, lorsqu’elle apprend le 6 février 1952 la mort de son cher père. Rentrée d’urgence à Londres, la jeune femme de vingt-six ans est immédiatement proclamée Reine sous le nom d’Elizabeth II. Son sacre est organisé un an plus tard, le 2 juin 1953, en l’Abbaye de Westminster.
Épaulée par Sir Winston Churchill, Elizabeth II débute un règne long de plus de soixante-dix ans – un record au Royaume-Uni. La Guerre froide et la poursuite de la décolonisation impactent les premières décennies. L'Empire britannique s'efface peu à peu au profit du Commonwealth dont elle est la deuxième dirigeante. Les années 1970 et 1980 sont marquées par l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté Économique Européenne, la Guerre des Malouines et la grogne sociale gérée d’une main de fer par Margaret Thatcher et sa politique ultra-libérale. L’Irlande du Nord devient le théâtre d’un conflit sanglant entre la Couronne et les indépendantistes souhaitant la réunification de l’Île verte. Malgré tout, les jubilés s’enchaînent. La popularité de la Reine est grande mais elle est parfois contredite par un faible vent républicain et des tentatives d’attentats ratées comme celle de 1981.
Après Churchill, quatorze chef de gouvernement se succèdent à la tête d’un Royaume-Uni en pleine mutation. Mère de quatre enfants, Charles, Anne, Andrew et Edward, Elizabeth II voit son clan s’agrandir encore avec une succession de mariages royaux et la naissance de petits-enfants. Sa famille devient alors la proie des médias qui ne perdent pas une miette des bonheurs et des frasques de chacun de ses membres. La princesse Diana, mariée à Charles le 29 juillet 1981, cristallise en particulier l’attention, d’autant plus que le mariage bat de l’aile dès les premières heures. La séparation du couple en 1992 termine de défrayer la chronique au cours d’une année catastrophique pour la Reine qui, après avoir assisté aux divorces d’Andrew, d’Anne, puis à l’incendie du château de Windsor, parlera d’annus horribilis.
Au cœur de la tourmente au sein d’un royaume où un certain désamour pour la monarchie se fait ressentir un peu plus chaque jour, Elizabeth II célèbre ses quarante ans de règne au moment de la signature du Traité de Maastricht. Le Royaume-Uni prend néanmoins une place à part au sein de l’Union européenne avec le refus de la monnaie unique et le maintien des contrôles aux frontières. Les réformes vont bon train, en particulier sous l’égide du Travailliste Tony Blair dont la popularité auprès du public est au moins aussi grande que la méfiance de la souveraine à son encontre. La mort de Diana, tuée dans un accident de voiture survenu à Paris le 31 août 1997, continue d’entacher une monarchie exsangue. La Reine vit là l’une des pires crises de sa vie. L’hostilité, grandissante, n’est calmée que grâce à quelques entorses aux protocoles salvatrices et à l’apparition – tardive – de la souveraine qui s’incline devant le cercueil de feu la princesse à qui elle rend hommage en direct à la télévision.
Les années passant, la popularité d’Elizabeth II est finalement revigorée. Les festivités se succèdent pour célébrer les cinquante, soixante et soixante-dix ans de règne de la monarque acclamée dans le monde entier. Vue comme un repère incontournable, Elizabeth II affronte les bonheurs et les malheurs, privés et publics. Les scandales liés à Andrew et à son petit-fils Harry sont une énième tare au sein d’une famille scrutée jour et nuit par la presse. Son apparition remarquée aux côtés de Daniel Craig lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Londres en 2012 est en revanche un moment génial témoignant de l’humour incroyable de la souveraine. Sa présence au Parlement de Westminster vêtue d’un manteau bleu et d’un chapeau rehaussé de fleurs jaunes est perçue comme une opposition personnelle au Brexit approuvé par la majorité des Britanniques en 2016. Son allocution à la télévision durant la pandémie de Covid-19 et le confinement de tout le Royaume est une autre preuve de son empathie. Sa présence, seule sur l’un des bancs de la chapelle Saint-George du château de Windsor, lors des obsèques de son bien-aimé mari, le prince Philippe, décédé le 9 avril 2021, est un autre moment d’une profonde tristesse ayant ému le monde entier. Sa causerie autour d’un thé avec l’ourson Paddington à l’occasion de son jubilé de platine formera enfin une tendre parenthèse au crépuscule de sa vie...
Préférant vivre à Windsor plutôt qu’au palais de Buckingham, Elizabeth II nourrit toute sa vie une passion pour les chevaux, la chasse et les grandes étendues sauvages d’Écosse. Laissant de plus en plus de responsabilités à son fils Charles et à son petit-fils William, c’est ainsi en son château de Balmoral qu’elle s’éteint le 8 septembre 2022. L’annonce de son décès est alors suivie d’une vive émotion et d’une pluie d’hommages à travers le monde, marquant la fin du règne le plus long de toute l’Histoire du Royaume-Uni.
Proclamée Reine en 1952 et sacrée l’année suivante, Elizabeth II n’a cessé, durant toute sa vie, d’attirer, parfois malgré elle, les caméras du monde entier. Dès sa naissance en 1926, la petite princesse fait la Une des actualités diffusées au cinéma. Onze ans plus tard, elle apparaît dans The Coronation of King George VI and Queen Elizabeth, un court-métrage produit par 20th Century Studios à l’occasion du sacre de son père. Mise sur le devant de la scène durant la Seconde Guerre mondiale au cours de laquelle est parle à la radio et encourage autant les troupes que les civils, la souveraine tient ensuite le haut de l’affiche de Voyage Autour du Monde de la Reine d’Angleterre, un long-métrage documentaire également produit par 20th Century Studios en 1954 dans lequel il est fait état du voyage de six mois que son époux Philippe et elle ont réalisé, avec notamment un passage remarqué en Australie et en Nouvelle-Zélande.
D’autres périples sont à leur tour filmés, comme sa visite en Amérique du nord montrée dans Queen Elizabeth Hailed by United States and Canada (1957). Les galas et autres jubilés sont eux aussi portés sur le grand et petit écran. La vie de la Reine et de la famille royale sont par ailleurs retracées dans pléthores de documentaires tels que les récents Elizabeth II, Destin Royal produit par National Geographic en 2021, et Elizabeth : Regard(s) Singulier(s) de Roger Michell sorti en 2022. En 1969, Richard Cawston réalisait par ailleurs Royal Family, un film commandé tout spécialement par la Couronne. Diffusé sur les ondes de la BBC, le documentaire était alors destiné à montrer aux Britanniques la vie privée de la souveraine et de ses proches. L’expérience fut cependant malheureuse. Jugé trop intimiste par la Reine, le film fut rapidement censuré et interdit de diffusion.
La fiction s’est également emparée de l’image de la Reine notamment incarnée par Jeannette Charles (Y a-t-il un Flic pour Sauver la Reine), Caroline Sadowska (Hubert, son Altesse Caninissime), Freya Wilson (Le Discours d’un Roi), Emma Thompson (Playhouse Presents), Penelope Wilton (Le BGG - Le Bon Gros Géant) puis Claire Foy, Olivia Colman et Imelda Staunton (The Crown). Côté animation, l’image d’Elizabeth II est, entre autres, reprise dans Royal Corgi, Les Simpson ou bien encore Cars 2.
Auteur plusieurs fois primé du (Le) Dernier Roi d’Écosse, Frost/Nixon, l’Heure de Vérité, Jeux de Pouvoir, Au-Delà et Bohemian Rhapsody, Peter Morgan s’empare à son tour du personnage d’Elizabeth II au début des années 2000. Fin connaisseur de la monarchie anglaise qu’il a déjà abordée dans Deux Sœurs Pour un Roi, la reconstitution de l’histoire d’amour entre Henry VIII et les sœurs Boleyn, le scénariste se garde cependant bien d’écrire une histoire complète de la vie de la souveraine, une tache bien complexe à laquelle il se consacrera néanmoins dix ans plus tard au moment de concevoir la série à succès The Crown. Pour l’heure, Morgan fait le choix de s’attarder sur un épisode précis de l’histoire d’Elizabeth II, sa gestion calamiteuse du décès de la princesse Diana.
Survenue à peine dix ans plus tôt, l’événement est alors encore dans toutes les mémoires. Le monde entier s’était retrouvé pour pleurer la défunte dont les obsèques avaient été retransmises en mondovision. La détresse du peuple britannique et des admirateurs de la princesse avait à l’époque autant marqué les esprits que l’absence de réaction immédiate de la part de la Couronne. Le protocole imposait en effet de ne pas mettre les drapeaux en berne pour une personnalité désormais étrangère à la famille royale. Le Prince Charles et les deux sœurs de Diana, Sarah et Jane, s’étaient vu refuser un avion officiel pour se rendre en France. Restée à Balmoral, loin du tumulte, la Reine avait refusé fermement d’intervenir pour commenter la tragédie. Son mari, Philippe, et sa mère, Elizabeth, avaient conforté dans son esprit l’inutilité de gesticuler pour la mort, aussi tragique soit-elle, d’une femme qui avait selon eux déjà causé assez de tort à leur famille de son vivant. Les radios et les postes de télévision avaient été retirés afin de protéger William et Harry du monde extérieur...
Le silence de la Reine et de ses proches était assourdissant. L’absence de l’image tutélaire de la souveraine avait beaucoup choqué. La tristesse de l’événement n’avait alors pas tardé à laisser sa place à une colère sourde de la part des Britanniques, émus par si peu de compassion. Les Républicains et les opposants se frottaient les mains. La monarchie, séculaire, avait tremblé sur ses bases. Tony Blair, fraîchement nommé Premier ministre quelques mois plus tôt, avait par conséquent dû la jouer fine afin de convaincre la Reine d’enfreindre le protocole, de rentrer au plus vite à Londres pour y prendre la parole dans le but de témoigner de son soutien. Près d’une semaine s’était ainsi écoulée entre la mort malheureuse de Diana survenue le 31 août 1997 et l’allocution télévisée de la Reine retransmise en direct le vendredi 5 septembre depuis l’un des salons de Buckingham Palace... Une semaine de flottement au sein de l’une des monarchies les plus regardées dans le monde... Une semaine de colère et de révolution silencieuse au cœur de la population britannique... C’est cette semaine décisive et cette crise majeure que Peter Morgan raconte dans The Queen.
Sulfureux, le script de Morgan arrive sur le bureau de Stephen Frears dès 2003. Né le 20 juin 1941 à Leicester, dans le centre de l’Angleterre, le réalisateur et producteur est l’un des artistes les plus prolifiques et acclamés au Royaume-Uni et dans le monde. Alternant entre tous les genres cinématographiques, ce dernier commence modestement sa carrière dans les années 1960 en tant qu’assistant du réalisateur Karel Reisz. Après avoir mis en scène son premier film, Gumshoe, diffusé sur la BBC en 1970, Frears rencontre le succès dès 1985 avec My Beautiful Laundrette, une dénonciation du racisme ambiant au Royaume-Uni et de la rudesse de la politique de Margaret Thatcher. Récompensé à Cannes pour Prick Up Your Ears, il réunit ensuite un casting prestigieux dans Les Liaisons Dangereuses, l’adaptation de l’œuvre de Choderlos de Laclos avec Glenn Close, John Malkovitch, Michelle Pfeiffer et Keanu Reeves qui remportent trois Oscars (Scénario, Décors, Costumes). Travaillant en Angleterre et aux États-Unis, Stephen Frears signe ensuite Les Arnaqueurs, Héros Malgré Lui, Mary Reilly, Madame Henderson Présente, Philomena, The Program, Florence Foster Jenkins, Confident Royal, The Lost King... The Queen reste l’un de ses plus grands triomphes.
Pour porter le film, Stephen Frears offre le rôle-titre d’Elizabeth II à un autre pilier du cinéma britannique, Dame Helen Mirren. Actrice-caméléon née le 26 juillet 1945 à Hammersmith, à l’ouest de Londres, la comédienne débute au théâtre dès ses dix-huit ans en jouant dans des pièces de William Shakespeare. Membre de la Royal Shakespeare Company, elle passe au cinéma dès 1969 avec Age of Consent. Elle alterne alors entre les planches et l’écran. Sa filmographie, impressionnante, compte ainsi des films comme Excalibur, Cal, La Folie du Roi George, Le Prince d’Égypte, Mrs. Tingle, Gosford Park, Benjamin Gates et le Livre des Secrets, The Tempest, Hitchcock, Monstres Academy, Casse-Noisette et les Quatre Royaumes, Anna et Fast and Furious 9. Capable de tout jouer, Dame Helen Mirren fait partie des actrices les plus primées au monde. Lauréate de deux Prix d’interprétation féminine à Cannes (Cal, La Folie du Roi George) et sacrée aux Golden Globes (Les Orages d’un Été, The Queen, Elizabeth I), aux Oscars (The Queen) et aux BAFTA (The Queen), Elizabeth II l’élève au rang de Commandeur de l’ordre de l’Empire britannique en 2003. En juin 2015, Dame Helen Mirren interprète pour la seconde fois le rôle de la Reine dans la pièce The Audience qui lui vaut de remporter le Tony Award de la Meilleure Actrice.
Également au casting – quatre étoiles – de The Queen, James Cromwell (L.A. Confidentiel, La Ligne Verte, Spider-Man 3, Clones, The Artist) prête ses traits à un prince Philippe cassant et rancunier vis-à-vis de la princesse Diana. Alex Jennings (Bridget Jones : L’Âge de Raison, The Crown) joue le Prince Charles. Initialement prévu pour Joan Plowright qui décline pour des raisons de santé, le rôle de la reine-mère Elizabeth Bowles-Lyon est offert à la vétérane Sylvia Syms (Le Monde de Suzie Wong, La Victime). Roger Allam (V Pour Vendetta, Pirates des Caraïbes : La Fontaine de Jouvence, La Dame de Fer) interprète Robin Janvrin, présenté comme le secrétaire privé d’Elizabeth II, une fonction en réalité occupée à l’époque des faits par son prédécesseur, Sir Robert Fellowes, Janvrin n’étant alors que son adjoint. Helen McCrory (Harry Potter, Skyfall) joue quant à elle Cherie Blair. Mark Baseley campe Alastair Campbell, le sarcastique conseiller de Blair.
Le rôle de Tony Blair est enfin offert à Michael Sheen. À l’affiche de films comme Underworld, Kingdom of Heaven, Alice au Pays des Merveilles et Tron : L’Héritage, le comédien retrouve alors le réalisateur Stephen Frears qui l’avait déjà dirigé une décennie plus tôt dans Mary Reilly. Surtout, Sheen endosse pour la seconde fois le costume du Premier ministre travailliste qu’il avait déjà incarné dans Le Deal, un téléfilm de 2003 également écrit par Peter Morgan et lui aussi mis en scène par Frears. Décrivant l’amitié puis la rivalité entre Tony Blair et Gordon Brown, le téléfilm était alors le précurseur de The Queen. Son succès a en effet incité Peter Morgan et Stephen Frears à poursuivre leur incursion dans la vie politique du Royaume-Uni. Imaginant un temps dépeindre l’engagement des troupes britanniques en Irak, ces derniers font finalement le choix de se pencher sur la crise provoquée par la mort de la princesse Diana.
Annoncé dès 2004, le projet réunit alors la même équipe technique et la même tête d’affiche, Michael Sheen. Certains voient dès lors dans The Queen une sorte de suite non officielle au téléfilm Le Deal et l’élément central d’une trilogie centrée sur Tony Blair et prolongée en 2010 avec The Special Relationship, un téléfilm réalisé par Richard Loncraine pour HBO d’après un scénario de Peter Morgan et dans lequel est évoquée la relation d’amitié entre Blair, toujours joué par Sheen, et le président américain Bill Clinton, interprété quant à lui par Dennis Quaid.
Destiné non pas à la télévision, comme Le Deal et The Special Relationship, mais bien au cinéma, The Queen est tourné au Royaume-Uni, notamment dans le parc national des Cairngorm, dans les Highlands, en Écosse. Faute d’obtenir les autorisations nécessaires pour filmer à l’intérieur des palais de Sa Majesté, Stephen Frears pose ses caméras dans le manoir d’Halton House, à Cluny Castle et à Blairquhan Castle qui servent tous de décors au château de Balmoral, néanmoins visible dans une seule et unique scène, lorsque le secrétaire privé de la Reine, Robin Janvrin, se précipite pour annoncer la mort de la princesse à la souveraine. Les jardins du château écossais sont ceux de Culzean Castle, dans le South Ayrshire.
Le chef décorateur Alan MacDonald choisit en outre Brocket Hall, dans l’Hertfordshire, Halton House, dans le Buckinghamshire, Goldsmith’s Hall, à Londres, et une partie des jardins de Waddesdon Manor pour représenter Buckingham Palace dont la cour d’entrée est en réalité celle du Queen Anne Block de l’Old Royal Naval College de Greenwich. Castle Fraser, dans l’Aberdeenshire, représente la demeure du châtelain voisin de Balmoral. La façade du 6 John Adam Street, à Londres, remplace celle du 10 Downing Street, la résidence officielle du Premier ministre. Le London Southend Airport simule l’aéroport de Northolt où fut ramenée la dépouille de Diana. D’autres prises de vues sont réalisées dans le centre de Paris, près du pont de l’Alma et devant le Westin Paris-Vendôme choisi pour se substituer au Ritz. Le Ravenscourt Park Hospital sert de décor pour l’arrivée de Charles à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière.
Bien qu’étant des simulacres de Buckingham et de Balmoral, les décors de The Queen font partie des atouts permettant au film de plonger le spectateur dans l’atmosphère si particulière entourant la famille royale britannique. Cela passe aussi par le soin apporté aux costumes, en particulier la garde-robe de la Reine dont certaines pièces sont recréées pour l’occasion par les équipes de Consolata Boyle, costumière nommée aux Oscars pour Florence Foster Jenkins et Confident Royal de Stephen Frears qui travailla également sur des films comme Anne Devlin, Les Cendres d’Angela, La Dame de Fer et Philomena.
Choisie pour le rôle principal, c’est bien en endossant les tenues confectionnées spécialement pour elle qu’Helen Mirren est parvenue à se glisser dans la peau d’Elizabeth II. Les robes, les chapeaux, le sac à main et les larges lunettes, mais aussi la coiffure, ont ainsi été d’une aide précieuse pour la comédienne qui, durant le tournage, examina régulièrement des photographies et des vidéos de la Reine afin de mieux s’inspirer d’elle et d’imiter son accent anglais si présent, ses intonations et sa posture. Réciter le discours d’hommage en faveur de la princesse Diana prononcé par la souveraine le 5 septembre fut notamment un défi de taille pour Mirren qui était pour l’occasion épaulée par un coach vocal. À force de travail, et douée d’un talent incontestable, Helen Mirren offre dès lors une interprétation remarquable et mémorable de la Reine.
La force de The Queen réside en effet essentiellement dans le jeu sans faille d’Helen Mirren. L’actrice livre une interprétation sans fausse note de la Reine. Dans les premières minutes, elle incarne ainsi une souveraine quelque peu blasée et rodée à sa charge. Comme après chaque élection ayant permis à une nouvelle majorité de s'emparer du Parlement, elle se prête au jeu de la démocratie en rencontrant son nouveau Premier ministre. Elle donne alors le change à Tony Blair malgré le fait qu’elle ne l’apprécie pas outre mesure. Amusée par la maladresse et le côté gauche de ce dernier et de sa femme, elle fait preuve de ce flegme si anglais et ne laisse rien paraître.
En privée, l’atmosphère change. Mirren joue cette fois une Reine moins consensuelle, autorisée à émettre un avis politique, capable de se montrer cassante et autoritaire, et parfois remise à sa place par son mari Philippe, une image somme toute fort éloignée de celle affichée en public. La mort de Diana redistribue bientôt les cartes. Au départ assez insensible, Elizabeth II est contrainte par la force des choses à changer d’attitude et à s’adoucir. La fureur populaire lui est en effet totalement inconnue. Envisager que la monarchie soit de la sorte ébranlée et remise en cause était jusqu’à présent inconcevable. Helen Mirren transcrit l’émotion et les doutes qui envahissent petit à petit le cœur de la Reine. Au cours d’une scène magnifique, et purement fictive, durant laquelle Elizabeth II aperçoit un cerf magnifique sur son domaine, l’armure forgée au cours de ses quarante-cinq années de règne se fend alors. Malgré les pressions de sa famille pour qu’elle ne cède pas aux sirènes de la rue, le retour à Londres est immédiat. Le contact avec la foule est renoué. Avec un temps de retard, la crise est désamorcée. La popularité, un temps perdue, est restaurée et même renforcée.
En face d’Helen Mirren, Michael Sheen offre lui aussi au film une composition géniale. Affichant un large sourire assez semblable à celui de Tony Blair, le comédien joue à contre-courant de sa partenaire. Si la Reine est réservée, tempérée, pour ne pas dire glaciale, le Premier ministre est extraverti, jovial, débonnaire et parfois exubérant. La rencontre entre ces deux êtres totalement différents est dès lors détonante et savoureuse. Au fur et à mesure que l’histoire avance et que le drame se déroule, cette relation change cependant. Bien que la Reine déteste la façon dont Tony Blair profite selon elle de la situation pour tirer la couverture à lui à grands renforts d’apparition dans les médias, tous les deux se rapprochent. Inscrit dans son époque, Blair devient l’un des rares alliés de la vieille Reine, comme déconnectée des réalités. Le jeu de pouvoir s’inverse. La Reine conseillère devient à son tour conseillée par son Premier ministre qui tente de sauver les meubles, les apparences et, au passage, la monarchie.
L’opposition et la différence de style entre Elizabeth II et Tony Blair deviennent rapidement le cœur de l’Histoire. Elles sont un ressort comique et dramatique à la fois. Ce constat est d’ailleurs encore amplifié par la technique même de Stephen Frears. Le réalisateur a en effet choisi de filmer les scènes de la Reine en 35 mm alors que celles avec Tony Blair sont pour leur part captées avec une pellicule 16 mm. Les images d’Elizabeth II, joliment mises en scène, léchées et cadrées, possèdent dès lors la qualité et la majesté classiques que peut offrir le cinéma. Celles montrant Blair, sa famille ou ses conseillers, font pour leur part davantage penser à des images modernes filmées sans soin réel par des caméras de télévision. Celles-ci sont d’ailleurs souvent complétées par de vraies images d’actualités produites à l’époque des faits. Plusieurs extraits de journaux télévisés ponctuent ainsi le film, tout comme des images montrant l’accident de Diana à Paris, le cercueil de la princesse parcourant les rues de Londres, l’intervention du comte Spencer, les réactions de Bill Clinton ou Nelson Mandela, la foule en larmes devant les grilles de Buckingham au pied desquelles ont été posés des dizaines de milliers de bouquets de fleurs.
Accompagné par la partition d’Alexandre Desplat qui rythme le film avec un thème récurrent qui restera en tête après avoir vu le film, The Queen est vendu dès le départ comme une incursion au cœur des arcanes du pouvoir, dans les travées et les couloirs des palais royaux, du 10 Downing Street et des bureaux ministériels. Il ne faut malgré tout pas oublier qu’il ne s’agit là que d’une fiction inspirée de faits réels. Toutefois, il y a fort à parier que le scénariste Peter Morgan et le réalisateur Stephen Frears étaient suffisamment bien renseignés. Des dizaines d’heures d’entretiens ont été réalisées en amont en compagnie de témoins directs, de proches de la famille royale et de divers conseillers de Tony Blair. Les faits ont dès lors été recoupés et corroborés. The Queen peut par conséquent se targuer de dépeindre une histoire finalement peut-être pas si éloignée de la réalité, la petite histoire derrière la grande histoire, celle que le public, derrière son poste de télévision, n’imagine pas une seconde.
L’archaïsme d’une instruction rigide et d’un protocole passablement daté sont en particulier pointés du doigt. Le spectateur découvre ainsi une Reine qui, comme on le lui a toujours appris, estime être dans son bon droit en refusant d’offrir à feu la princesse Diana les honneurs de funérailles d’État. Le prince Philippe, dépeint à tort ou à raison comme un homme particulièrement autoritaire et homophobe, la conforte d’ailleurs dans cette idée, tout comme la Reine-mère, Elizabeth Bowes-Lyon, très à cheval sur ces pratiques héritées d’une époque à l’évidence totalement révolue et déconnectée du monde moderne. Au milieu de toute cette intransigeance, seuls le prince Charles et le Premier ministre Tony Blair semblent alors regretter cet état de fait et entrevoir le séisme qui s’annonce. Tous les deux ont bien compris que le monde avait changé. Le film témoigne des efforts déployés par l’un et l’autre pour le faire comprendre à la Reine, obligée malgré elle de s’adapter à son époque.
The Queen est montré en avant-première le 2 septembre 2006 lors de la Mostra de Venise. Présenté à Londres le 13 septembre, le film sort ensuite dans les cinémas britanniques deux jours plus tard, le 15. Distribué aux États-Unis par Miramax Films, il est diffusé le 29 septembre 2006 dans le cadre du Festival du Film de New York. Le public américain le découvre ensuite à partir du 6 octobre pour une durée limitée. Projeté en France dès le 18 octobre, The Queen fait dans le même temps le tour des festivals à Reykjavik (27 septembre), Chicago (octobre), Rio de Janeiro (1er octobre), Dinard (5 octobre), Vienne (13 octobre), Valladolid (21 octobre), Thessalonique (17 novembre), Jakarta (14 décembre), Göteborg (26 janvier 2007), Belgrade (25 février 2007)...
Le succès est alors au rendez-vous partout où le long-métrage est proposé. Plébiscité par le public, il est salué presque unanimement par la critique et devient l’un des films favoris de la rédaction du Hollywood Reporter, du New York Post, du New York Daily Mail, du Los Angeles Times, du Chicago Tribune, du TIME, de Première, de Rolling Stone, d’Empire... Cité dans tous les classements parmi les films à voir absolument, The Queen parvient finalement à engranger 57 millions de dollars de recettes en Amérique du nord, soit près de 4 fois son budget initial de 15 millions de dollars. Le succès se poursuit d’ailleurs à la télévision. Lors de sa première diffusion à la télévision anglaise le 2 septembre 2007, ils sont ainsi 7,9 millions de téléspectateurs devant leur poste.
Dans le même temps, une pluie de prix s’abat sur le film. Une standing-ovation de cinq minutes honore Helen Mirren décorée de la Coupe Volpi lors de la Mostra de Venise qui récompense également Peter Morgan pour son scénario. Lors de la 79e cérémonie des Oscars, le long-métrage concourt dans six catégories, Meilleur Film, Meilleur Réalisateur, Meilleur Scénario Original, Meilleurs Costumes, Meilleure Musique et Meilleure Actrice remportée par Helen Mirren, également primée lors de la soirée des BAFTA durant laquelle The Queen, nommé huit fois, est élu Meilleur Film. Un Toronto Film Critics Association Award, un Goya et un César s’ajoutent à la collection durant l’année 2007. Helen Mirren décroche au passage un Critic’s Choice Award, un Broadcast Film Critics Association Award, un Toronto Film Critics Association Award, un New York Film Critics Award, un Los Angeles Film Critics Association Award, un Satellite Award, un National Board of Review Award…
Tableau remarquable de la semaine qui suivit la mort de la princesse Diana, The Queen fait partie des monuments du cinéma anglais. Porté par une distribution remarquable réunie derrière une Helen Mirren au sommet de son art, le film offre une intéressante et troublante vision de l’une des plus puissantes monarchies du monde et de sa souveraine, Elizabeth II qui, au cours de cette tragique fin d’été 1997, dut affronter la pire crise de son règne.