Alcmène

En 1997, les studios Disney plongent le public au cœur de la mythologie grecque avec Hercule, leur 35^e grand classique animé. Basé sur les exploits incroyables du légendaire colosse, le film fait toutefois le choix de s’éloigner quelque peu des récits antiques afin de rendre le récit accessible à un large public. Plusieurs personnages voient ainsi leur histoire être altérée et modifiée à l’image d’Alcmène, la mère du héros.

Personnage incontournable de la mythologie grecque, Alcmène est l’héritière d’une ascendance absolument remarquable composée de héros et d’héroïnes eux-mêmes au centre de légendes extraordinaires. Son père, Électryon, roi de Mycènes, est le fils de la princesse éthiopienne Andromède et de Persée, le tueur de la Gorgone Méduse. Sa mère, Eurydice, est quant à elle la fille de Pélops. De par sa prestigieuse généalogie, Alcmène est donc de fait la descendante de figures aussi extraordinaires que Tantale (son arrière-grand-père) et le Titan Atlas (son arrière-arrière-grand-père). Elle appartient par ailleurs à la lignée de Zeus qui enfanta Persée et Tantale.

Alcmène sur le bucher, cratère de Paestum, IV^e siècle av. J.-C.

Réputée pour sa beauté incroyable, Alcmène épouse son cousin Amphitryon, le fils d’Alcée, roi de Tirynthe. Les noces sont belles mais la jeune femme refuse toutefois de consommer le mariage tant que son nouvel époux n’aura pas vengé ses huit frères sauvagement tués par les habitants de l’île de Taphos venus jadis voler leurs troupeaux. Acceptant de prendre les armes aux côtés de son beau-père Électryon, Amphitryon prend ainsi la tête d’une armée et se rend dans la cité d’Élis où les Taphiens et les Téléboens ont caché les bœufs. Les négociations pour récupérer le bétail sont alors laborieuses, le roi d’Élis réclamant une forte rançon en échange des bêtes volées. Le retour à Mycènes est quant à lui dramatique. Agacé par une vache s’écartant du troupeau, Amphitryon jette en effet violemment son bâton qui, après avoir rebondi sur les cornes de l’animal, tue par accident Électryon... En châtiment, le héros est immédiatement banni par Sthénélos, le frère du défunt roi qui s’empare au passage du trône. Alcmène est elle-même obligée de fuir avec son mari. Tous les deux trouvent alors refuge à Thèbes où ils sont finalement pardonnés et purifiés par le roi Créon. La belle refuse cependant toujours de s’abandonner à son époux tant que celui-ci n’aura pas vengé ses frères. Après avoir débarrassé Thèbes de la Renarde de Teumesse, un monstre qui terrorise la cité et ses environs, Amphitryon obtient du roi Créon des hommes et des armes afin d’aller combattre les Taphiens et les Téléboens.

Jupiter et Alcmène, gravure d'Isaac de Bensérade,
1676, Médiathèque Émile Zola, Montpellier

Restée à Thèbes, Alcmène attend durant de longues semaines le retour de son époux. Mais l’absence de ce dernier attire la convoitise de Zeus. Le roi des dieux est en effet tombé sous le charme de la belle. Le départ de son mari est dès lors une occasion incroyable d’assouvir ses pulsions. Une nuit, il descend donc de l’Olympe et, après avoir pris l’apparence d’Amphitryon, se glisse dans la chambre d’Alcmène. Il lui raconte sa supposée victoire contre ses ennemis. La vengeance de ses frères est accomplie. Folle de joie, Alcmène offre à son prétendu mari une nuit d’amour incroyable. Pour faire durer le plaisir, le Maître de l’Olympe a auparavant demandé à Hélios de dételer son char, de ranger le soleil et de ne pas sortir le lendemain. La Lune est elle-même invitée à ralentir sa course dans le ciel. Morphée est chargé d’endormir le monde pour que personne ne se rende compte de cet enchantement. Grâce à la magie, la romance de Zeus et d’Alcmène dure ainsi l’équivalent de trois nuits !

Jupiter et Alcmène, gravure de Nicolas Tardieu,
1763, Musée du Louvre, Paris.

Le lendemain est pourtant moins heureux. De retour de la guerre, le véritable et victorieux Amphitryon tombe dans les bras d’Alcmène. Après l’amour, le héros comprend cependant que quelque chose ne va pas. Contre toute attente, Alcmène ne fait preuve d’aucune joie à l’idée de le revoir. Elle explique surtout qu’elle ne souhaite pas entendre pour la seconde fois le récit de ses exploits. Ne comprenant pas le comportement étrange de son épouse, Amphitryon décide de consulter le devin Tirésias qui lui révèle les manigances de Zeus. Furieux, le héros décide de punir sur le champ sa femme, ligotée sur un bûcher. Elle réchappe cependant du feu grâce à l’entremise de Zeus qui fait tomber la pluie pour éteindre les flammes. Comprenant qu’il ne peut rien contre la puissance des dieux, Amphitryon décide dès lors de pardonner à Alcmène, tout aussi victime que lui.

La Naissance d'Héraclès, gravure de Jean-Jacques le Barbier

Neuf mois plus tard, Alcmène donne naissance à Iphiclès, né de sa première nuit avec Amphitryon. Malgré l'entremise d'Héra qui tente d'empêcher l'accouchement, un autre enfant voit le jour, Héraclès, pour sa part engendré par Zeus. Tous les deux sont élevés par leur mère. Amphitryon participe lui-même à leur éducation. Devenus de jeunes adultes, ils prennent part à la guerre des Thébains contre les Minyens. Au cours d’une bataille, Amphitryon est tué. À présent veuve, Alcmène tente de rentrer à Tirynthe, la cité natale de feu son mari. Elle est cependant empêchée par Eurysthée qui gouverne la région. Son exil continue alors...

Hercule en train d'étouffer les serpents sous le regard d'Amphitryon, Alcmène et Zeus,
fresque retrouvée dans la maison de Vetti, à Pompéi.

Suivant de loin les travaux d’Héraclès et apprenant finalement sa mort, Alcmène obtient bientôt sa vengeance. Obligée de se réfugier à Athènes pour échapper à la haine d’Eurysthée qui cherche coûte que coûte à éliminer les Héraclides, les descendants du héros, elle se réjouit en effet lorsque ce dernier est enfin capturé. Deux versions de la légende racontent la suite de l’histoire. Dans la première, Eurysthée est amené vivant à Alcmène qui ordonne sa mise à mort immédiate. Dans la seconde, seule sa tête lui est rapportée. Alcmène se charge avec délectation de lui arracher les yeux avec un fuseau. Satisfaite d’avoir vengé son fils, Alcmène se retire à Thèbes où elle meurt à un âge très avancé. Hermès est alors chargé par Zeus de transporter son corps aux confins des Enfers, sur l’île des Bienheureux où les âmes vertueuses sont autorisées à vivre éternellement. Là, Alcmène épouse Rhadamanthe, l’un des juges des Enfers né de l’amour de Zeus et d’Europe. Dans L’Odyssée, Homère précise qu’Ulysse croise son ombre.

Alcmène entre dans l’histoire au moment le plus tragique du prologue. Sur ordre d’Hadès, le dieu des Enfers, Hercule vient en effet d’être enlevé par Peine et Panique. Arraché à ses parents, Zeus et Héra, le bébé est ainsi ramené sur Terre et empoisonné par les deux séides chargés par leur maître de le rendre mortel. Ainsi violenté, le petit ne tarde pas à pleurer et à attirer l’attention d’Amphitryon et Alcmène qui, passant par là, entendent ses cris. En apercevant Hercule allongé sur le sol, la jeune femme se précipite à son secours. Saisissant le nourrisson, elle tombe immédiatement sous son charme. Son mari et elle attendent depuis des années d’avoir un enfant. Elle pense que les dieux ont enfin exaucé ses prières.

L’excitation laisse bientôt place à la terreur. Bien décidés à finir leur sombre besogne, Peine et Panique se sont changés en serpents afin de fondre sur le couple et l’enfant. Mais la dernière goutte de la potion d’Hadès n’a pas été ingurgitée par Hercule qui, bien que devenu mortel, a conservé toute sa force. Sous le regard éberlué d’Amphitryon et Alcmène, le bébé parvient dès lors à empoigner les deux sbires et à les envoyer bouler à des lieues d’ici. Stupéfait, le couple de fermier comprend qu’il vient de trouver un enfant hors du commun.

Ramené à la maison, Hercule grandit ainsi aux côtés de ses parents adoptifs, loin de l’Olympe et de ses divins géniteurs. Pour Amphitryon et Alcmène, la croissance du petit est alors une joie profonde mêlée de découvertes incroyables. Sa force, colossale, est sujette à toutes les surprises. Encore enfant, Hercule est en particulier capable de soulever la maison entière pour récupérer un jouet égaré. Mais cette force colossale est, dans le même temps, la source de tracas malheureux. Devenu un frêle mais volontaire adolescent, Hercule a tôt fait de s’attirer les foudres des gens aux alentours en provoquant malgré lui catastrophe sur catastrophe. La destruction de l’agora, notamment, est la goutte d’eau qui fait déborder le vase...

Hercule est à présent âgé de dix-huit ans. Il est mal dans sa peau. Pour Alcmène, comme pour Amphitryon, il est temps de lui dire la vérité sur ses origines. Attendant fébrilement sur le pas de leur porte que l’adolescent rentre enfin à la maison, tous les deux sont terrifiés mais conscients de la nécessité de lui révéler enfin la vérité. Pendant toutes ces années, Alcmène a précieusement gardé le médaillon retrouvé jadis au cou du bébé. Soigneusement enveloppé dans un linge, il porte le symbole des dieux. Le bijou, à l’évidence, est la clé pour connaître le passé d’Hercule. Enthousiaste, il comprend que ses questions trouveront réponses en consultant Zeus en personne.

Décidé à se rendre au plus vite au temple dédié au Maître de l’Olympe, Hercule déborde de joie. Alcmène, elle, ressent pour sa part le chagrin d’une mère obligée de laisser s’envoler son petit. Mais le bonheur d’Hercule passe avant tout. Heureuse mais émue d’entendre ce dernier lui dire qu’Amphitryon et elle ont été les meilleurs parents du monde, Alcmène accepte de le voir partir. Avec son mari, elle est debout à l’aube pour dire un dernier au revoir à Hercule dont elle recouvre les épaules afin qu’il ne prenne pas froid. Serrant son fils très fort dans ses bras, Alcmène ne peut retenir ses larmes...

L’émotion est à son comble. Elle laisse bientôt place à l’allégresse. Malgré des débuts difficiles, Hercule est devenu un héros. Tout Thèbes est à ses pieds après que ses habitants ont été sauvés de la menace de l’Hydre. La Grèce entière est elle aussi conquise. Alcmène et Amphitryon sont des parents fiers et comblés. La fortune d’Hercule est aussi colossale que sa force. Elle ne manque dès lors pas de rejaillir sur le couple de fermiers qui, grâce à tout cet argent, est parvenu à agrandir significativement sa modeste demeure, changée en un gigantesque palace aussi luxueux qu’extravagant.

Alcmène revient dans l’histoire à la toute fin du film. Toujours accompagnée de son tendre Amphitryon, elle assiste au triomphe d’Hercule. Embrassée par le héros qui la soulève du sol comme une brindille, la mère adoptive peut alors observer Zeus qui, du haut du ciel, manipule les étoiles pour construire une constellation à l’image de son fils.

Alcmène fait partie des nombreux personnages d’Hercule dont le destin a été totalement changé par les scénaristes. Afin d’offrir une histoire accessible au plus grand nombre, Ron Clements, John Musker, Barry Johnson, Irene Mecchi, Bob Shaw et Donald McEnery ont ainsi considérablement chamboulé et altéré la mythologie. Comme Amphitryon, Alcmène n’est dès lors plus de sang royal. Sa prestigieuse généalogie est totalement écartée. Rien ne la connecte plus aux héros du passé ni à Zeus lui-même. Alcmène n’est ici qu’une simple fermière vivant modestement avec son mari dans une petite maison construite en pierres au cœur de la campagne grecque.

Le deuxième changement majeur est son lien de parenté avec Hercule. Si dans la mythologie, Alcmène est la mère biologie du héros, plus aucun lien du sang ne les relie désormais dans le film. Les manigances de Zeus pour coucher avec la belle en l’absence de son mari sont effacées. Le frère d’Hercule, Iphiclès, disparaît au passage de l’intrigue. Héra hérite du statut de mère biologique de l’enfant, ce qui va totalement à l’encontre de la légende originale. En héritant d’un modeste statut de mère adoptive, Alcmène perd forcément en importance au sein de l’histoire. Son amour pour le héros n’est pour autant pas diminué, le film laissant même entendre que son mari et elle étaient en attente d’une offrande des dieux faute de parvenir à avoir un enfant eux-mêmes.

Au début d’Hercule, Alcmène apparaît sous les traits d’une jeune femme ronde vêtue d’une longue robe antique et d’un châle recouvrant ses épaules. Ses cheveux sont coiffés en arrière et retenus par un ruban. Son visage, rond, est marqué par un nez en trompette pointu, de larges yeux en amande et un menton retroussé. Au fil des années, ses cheveux ont grisé. Les traits de son visage se sont marqués.

Comme celle d’Amphitryon, l’apparence d’Alcmène s’inspire des recherches graphiques réalisées par le dessinateur et caricaturiste anglais Gerald Scarfe, réputé pour ses œuvres notamment publiées à la Une du Sunday Times et du New Yorker.

Son animation est supervisée par Richard Bazley, épaulé par Sang-Jin Kim.
Né le 28 novembre 1962 dans le Devon, en Angleterre, Richard Mark Bazley débute sa carrière au milieu des années 1980 au moment de production de Qui Veut la Peau de Roger Rabbit. Placé sous les ordres du réalisateur Richard Williams chargé de concevoir les personnages animés du film, il s’installe bientôt aux États-Unis et travaille sur les films d’animation Pocahontas, une Légende Indienne, Hercule, Le Géant de Fer et Osmosis Jones. Bazley participe en outre à l’animation en images de synthèse de plusieurs protagonistes du (Le) Monde de Narnia – Chapitre 1 : Le Lion, La Sorcière Blanche et l’Armoire Magique et Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban. Fondateur du studio Bazley Films puis de la société GBK Hybrid avec Gary Kurtz, il produit et réalise des spots publicitaires, des émissions télévisées, des séries animées (Mr. Bean, Norman Picklestripes) et plusieurs courts-métrages comme Censure, récompensé en 2022 de nombreux prix.

D’origine coréenne, Jin Kim travaille lui pour Hanna-Barbera avant de débuter comme animateur free-lance pour Disney sur des séries comme Myster Mask, La Bande à Dingo, Bonkers ou Aladdin. Embauché en 1995, il anime Amphitryon et Alcmène dans Hercule puis participe à la production de Tarzan et Fantasia 2000. Parmi les artistes ayant donné vie à Kuzco, à Jim Hawkins et à Buck, il devient character designer et planche à ce poste sur Volt, Star Malgré Lui, La Princesse et la Grenouille, Raiponce, Les Mondes de Ralph, La Reine des Neiges, Les Nouveaux Héros, Zootopie, Vaiana, la Légende du Bout du Monde, Ralph 2.0 et La Reine des Neiges II. En 2016, il retourne en Corée du Sud et devient l’un des créateurs du film Blanche-Neige, les Souliers Rouges et les Sept Nains. De retour à Los Angeles en 2018, il collabore aussi avec Glen Keane sur Voyage Vers la Lune. En août 2019, il revient chez Disney et se voit associé à la production de Raya et le Dernier Dragon et Encanto, la Fantastique Famille Madrigal.

En version originale, Alcmène est interprétée par Barbara Barrie. Née le 23 mai 1931 à Chicago, dans l’Illinois, la comédienne débute dans les années 1950. À l’affiche de Géant, elle se fait un nom grâce au rôle-titre du (Le) Procès de Julie Richard qui lui vaut de remporter le Prix d’interprétation féminine à Cannes en 1964. Barrie apparaît ensuite dans Les Envahisseurs, Alfred Hitchcock Présente, Diana, Barney Miller, La Cloche de Détresse, Backstairs at the White House, Susan et Breaking Away pour lequel elle est nommée pour l’Oscar du Meilleur Second Rôle Féminin. En parallèle des écrans, Barbara Barrie mène une carrière remarquable sur les planches dans diverses pièces et comédies musicales parmi lesquelles Company de Stephen Sondheim pour laquelle elle concourt pour le Tony Award de la Meilleure Actrice.

En France, le rôle d’Alcmène est confié à Rosine Cadoret. Présente au cinéma dans des films comme La Gitane, Ma Petite Entreprise et Les Herbes Folles, l’actrice se produit également sur scène dans Folle Amanda et L’Alchimiste. Elle prête également sa voix à Fa-Li dans Mulan et sa suite.

Indissociable d’Amphitryon, Alcmène fait une apparition dans la série télévisée Hercule.

Dans l’épisode Deux Papas pour un Héros, le couple de fermiers rend visite à Hercule, désormais élève de l’Académie Prométhée. Les retrouvailles sont cependant compliquées. Si Hercule est heureux de les revoir, il éprouve malgré tout une certaine gêne. Acceptant leur condition de simples paysans, Amphitryon et Alcmène dénotent en effet de certains autres parents de noble lignée. Envahi par la honte, le héros tente donc de les écarter. Il faut alors l’intervention d’un monstre prêt à les dévorer pour qu’il comprenne à quel point ses parents adoptifs comptent plus que tout pour lui.

Simple second rôle dont l’histoire a été considérablement réécrite pour les besoins du film, Alcmène fait partie des personnages les plus émouvants et attachants d’Hercule. Soucieuse du bonheur de son enfant, elle figure alors en bonne place dans la longue liste des mamans aimantes qui peuplent depuis des décennies la filmographie de Disney.