Madame Cratchit
Date de création : Le 06 novembre 2009 Nom Original : Mrs. Cratchit Créateur(s) : Mark Henn (Le Noël de Mickey, 1983) Brian Henson (Noël Chez les Muppets, 1992) Robert Zemeckis (Le Drôle de Noël de Scrooge, 2009) |
Apparition : Cinéma Disney+ Voix Originale(s) : Janet Waldo (Dickens’ Christmas Carol Featuring The Walt Disney Players, 1975) Frank Oz (Noël Chez les Muppets, 1992) Lesley Manville (Le Drôle de Noël de Scrooge, 2009) Voix Française(s) : Michel Elias (Noël Chez les Muppets, 1992) Évelyne Grandjean (Le Drôle de Noël de Scrooge, 2009) Interprète(s) : Lesley Manville (Le Drôle de Noël de Scrooge, 2009) |
Le portrait
Publié par Chapman & Hall en 1843, Un Chant de Noël de Charles Dickens est l’un des classiques de la littérature anglaise ayant été le plus de fois adaptés au cinéma. Les studios Disney ont eux-mêmes livré leur propre version de l’histoire, et ce à trois reprises, en 1983, 1992 et 2009. De film en film, certains personnages ont alors vu leur rôle évoluer, à l’image de Madame Cratchit, l’épouse de Bob Cratchit et mère du malheureux Tiny Tim.
Assorti d’illustrations signées par John Leech, Un Chant de Noël est devenu avec le temps un incontournable. À l’époque de sa parution, l’Angleterre est gouvernée par la Reine Victoria et le Prince Albert qui, tous les deux, aiment beaucoup les cantiques de Noël. L’œuvre de Charles Dickens se démarque cependant des autres histoires du même genre. Si la magie de Noël plane en effet joliment sur le récit, celui-ci est avant tout un outil de contestation de cette société du XIXe siècle où les écarts ne cessent de se creuser entre la bourgeoisie, riche et parfois oisive, et la misère crasseuse du petit peuple. Choqué par tant d’inégalités, Dickens cherche par conséquent à ouvrir les yeux de ses contemporains. Comme Oliver Twist avant lui, Un Chant de Noël se présente ainsi comme une œuvre engagée dénonçant avant tout les travers et les injustices de l’Âge industriel.
Pour ce faire, le roman met en scène le personnage d’Ebenezer Scrooge, usurier londonien aussi riche que pingre qui ne voit que par l’argent. Dépourvu de tout sens moral, le vieil homme s’est lui-même volontairement exclu de la société en n’hésitant pas à mettre ses voisins et ses clients sur la paille afin de récupérer jusqu’au dernier centime prêté. Son avarice n’a d’égale que sa détestation des fêtes que Scrooge estime n’être que des futilités dispendieuses et fort inutiles. Chaque veillée de Noël est dès lors pour lui une gageure durant laquelle il préfère se terrer chez lui plutôt que de côtoyer ses proches. Cette obscure vision des fêtes est alors à l’exact opposé de celle de Madame Cratchit, l’épouse de Bob Cratchit, le commis de Scrooge.
Madame Cratchit entre dans l’histoire durant le Troisième Couplet intitulé Le Second des Trois Esprits. Accompagné par le Fantôme des Noëls Passés, Scrooge vient de replonger dans son enfance et ses tracas. Désormais, le Fantôme des Noëls Présents a pris le relais afin de lui ouvrir les yeux sur le pitoyable sort de ses contemporains. Il est ainsi conduit à Camden-Town, dans les faubourgs de Londres, chez les Cratchit où Madame tente, vaille que vaille, de maintenir un peu de joie de vivre dans son foyer en fêtant dignement Noël. Pauvrement vêtue d’une modeste robe ornée, pour l’occasion, de quelques rubans bon marché, celle-ci s’affaire à mettre le couvert avec l’aide de sa fille, Belinda. Dans la marmite, des pommes de terre ont été mises à cuire en attendant d’être écrasées en purée. Une sauce à la sauge et à l’oignon a également été préparée. Portée chez le boulanger afin d’y être cuite, une oie sera le point d’orgue de ce repas exceptionnel.
Si Madame Cratchit est heureuse de fêter Noël avec sa famille, elle s’inquiète cependant de ne pas voir arriver son mari. Heureusement, son aînée, Martha, vient de rentrer à la maison, juste à temps pour faire une surprise à son père, enfin de retour avec son pauvre garçon estropié, Tiny Tim, qui vient de passer la journée entière à l’église. Réunie, la petite famille passe à table. Chacun récite le bénédicité. Après un moment de silence, Madame Cratchit commence à découper la volaille. À la fin du dîner, elle présente le pouding fraîchement sorti du chaudron et placé dans un quart de pinte d’eau-de-vie enflammée. Si le dessert semble délicieux, il demeure malgré tout très petit pour une si grande famille… La soirée s’achève au coin du feu. Attendri par la scène, Scrooge ne tarde pas à interroger le Fantôme des Noëls Présents sur l’avenir de Tiny Tim. Le revenant prévient alors que si rien ne change, le petit mourra…
« À M. Scrooge ! », s’écrie soudain Bob Cratchit qui souhaite trinquer en hommage à son patron. Si l’intention est louable, elle provoque immédiatement la colère de sa femme. Elle ne comprend en effet pas du tout pourquoi son mari est si gentil avec son sinistre patron, un homme selon elle « odieux, avare, dur et insensible ». À la demande de son époux, moins vindicatif qu’elle, elle accepte finalement de boire à sa santé, non pas par charité, mais par amour pour ses proches. « Je lui souhaite donc une longue vie, joyeux Noël et heureuse année ! », ironise-t-elle, « Voilà-t-il pas de quoi le rendre bienheureux et bien joyeux ! J’en doute ».
Madame Cratchit est de nouveau présente dans le Quatrième Couplet, Le Dernier des Esprits. Le Fantôme des Noëls Présents a laissé sa place au Fantôme des Noëls Futurs chargés de montrer à Scrooge les conséquences terribles de ses actes. Le vieil usurier est ainsi ramené chez les Cratchit. Depuis sa dernière visite, plusieurs mois se sont passés. Et toute forme de joie de vivre a disparu de cette maison tristement frappée par le destin. Madame Cratchit est en train de coudre en s’abîmant les yeux faute d’une lumière suffisante. Comme elle, les enfants attendent le retour de Bob, totalement anéanti. Observant la scène, Scrooge comprend bientôt que la pauvre famille pleure la mort tragique du petit Tiny Tim.
Dans le Cinquième Couplet, La Conclusion, Ebenezzer Scrooge a enfin appris de ses erreurs. Grâce aux trois Fantômes des Noëls passés, présents et futurs, il a compris que ses actes avaient eu et auront encore des conséquences terribles. Totalement chamboulé, le vieil homme décide donc de réagir tant qu’il le peut encore. Faire le bien autour de lui devient dès lors l’objectif de sa vie. Pour commencer, il donne de l’argent à un petit garçon afin qu’il aille acheter pour lui l’énorme dinde qui trône dans la vitrine du marchand de volailles. « Deux fois plus grosse que Tiny Tim », celle-ci est alors livrée chez les Cratchit. Cerise sur le gâteau, Scrooge accepte d’augmenter le salaire de Bob et promet de prendre soin de sa famille. Grâce à cette bonté soudaine, il parvient à racheter ses fautes passées et surtout à sauver Tiny Tim. Happy End!
Personnage très secondaire de l’œuvre de Charles Dickens, Madame Cratchit incarne ces femmes au foyer du XIXe siècle qui doivent, bon gré, mal gré, faire vivre leur famille en trouvant la nourriture nécessaire pour les hommes et les enfants partis au travail. Si le dîner de Noël est une source de réconfort avec son oie, sa purée de pommes de terre et son assortiment de sauces, le quotidien est pour sa part marqué par une maigre pitance à mille lieues de ce repas de fête exceptionnel. Chargée de boucler les fins de mois et de racler les fonds de tiroirs, Madame Cratchit ne cache pas sa détresse et surtout cette haine nourrie contre les profiteurs tels que Monsieur Scrooge pour lequel elle rechigne à lever son verre.
Le personnage est par ailleurs confronté à la maladie et à la mort qui touchent dramatiquement son petit garçon, Tim. Elle représente alors toutes ces pauvres mères qui, durant l’Âge industriel, devaient vivre avec le poids du deuil dans cette société où l’espérance de vie ne dépasse pas quarante-cinq ans, où un nourrisson sur cinq meurt dans les semaines suivant sa naissance, et où environ douze pourcents des enfants ne dépassent pas l’âge de quinze ans. Comme Dickens en Angleterre, Émile Zola décrit d’ailleurs la même situation mortuaire en France dans Germinal, l’un de ses romans fétiches dans lequel la Maheude doit affronter avec grand mal le quotidien et supporter la mort de trois de ses enfants.
Au moment de débuter la production du (Le) Noël de Mickey au début des années 1980, les studios Disney n’ont qu’une idée en tête, celle de redonner la part belle aux anciennes vedettes maison disparues des écrans depuis des décennies. Pour ce faire, Ron Miller, le gendre de Walt Disney devenu l’un des dirigeants de la compagnie, valide le projet porté par le réalisateur Burny Mattinson qui propose de livrer une adaptation d’Un Chant de Noël, le roman de Charles Dickens qui avait déjà donné lieu dès 1975 à une adaptation en livre-disque, Dickens’ Christmas Carol Featuring The Walt Disney Players, édité par Disneyland Records. Madame Cratchit y était alors interprétée par la comédienne Janet Waldo.
Dickens’ Christmas Carol Featuring The Walt Disney Players
Intitulée Le Noël de Mickey, cette nouvelle version de l’histoire de Dickens est portée par l’oncle Picsou, logiquement choisi pour endosser le rôle du vieil avare, Ebenezer Scrooge. Autour de lui, d’autres vedettes partagent l’affiche, telles que Donald, Jiminy Cricket, Pat Hibulaire, Willie le géant, Dingo, Mr. Toad ou bien encore Daisy. Le casting est complété par Mickey qui joue Bob Cratchit. Logiquement, son épouse, Madame Cratchit, est interprétée par sa compagne de toujours, Minnie.
Incarné par Minnie, le personnage de Madame Cratchit est cependant considérablement altéré. Afin de faire tenir l’intrigue dans un format de vingt-cinq minutes, le rôle a en effet été réduit à la portion congrue. Les apparitions de la pauvre femme s’apparentent dès lors à de la figuration. Elle ne prononce d’ailleurs pas un seul mot et ne pique en particulier plus aucune colère contre le vieux Scrooge.
Se chargeant déjà de Mickey/Bob Cratchit, il est fort probable que l’animateur Mark Henn ait également créé les scènes avec Minnie/Madame Cratchit. Né le 6 avril 1958 à Dayton, dans l’Ohio, l’artiste étudie à CalArts à partir de 1978 avant d’entrer chez Disney deux ans plus tard en tant qu’intervalliste sur Rox et Rouky. Associé à Glen Keane, il poursuit avec Le Noël de Mickey, Taram et le Chaudron Magique, Basil, Détective Privé, Oliver & Compagnie et La Petite Sirène. Devenu l’un des spécialistes de Mickey Mouse, Henn donne par ailleurs vie à des personnages comme Oliver, Roublard, Ariel, Belle, Jasmine, Simba, Pocahontas, Mulan, Grace, Wesley, Rusty, Tiana et Winnie l’ourson. Réalisateur des courts-métrages John Henry et Donald Bricole, un Winsor McCay Award couronne sa carrière en 2017.
En 1992, les studios Disney proposent une deuxième version d’Un Chant de Noël. Titré Noël Chez les Muppets, le long-métrage est produit en collaboration avec les Jim Henson Productions. Pour l’occasion, le rôle de Scrooge est offert au comédien Michael Caine qui partage l’écran avec les célèbres marionnettes créées en 1955 par Jim Henson. Miss Piggy endosse ainsi le costume de Madame Cratchit aux côtés de Kermit qui joue son mari Bob.
Désormais affublée d’un prénom, Emily, qui ne figure pas dans l’œuvre d’origine, Madame Cratchit reprend les principaux traits de caractère de Miss Piggy. Comme dans Le Muppet Show, elle est une femme forte et passablement outrancière qui ne s’en laisse pas conter. Entourée de ses deux filles, Belinda et Melinda, qu’elle confond sans arrêt, elle s’exprime avec une sacrée gouaille et ne se gêne pas pour cracher toute sa haine contre Scrooge. Cette détestation vis-à-vis du vieil usurier est autant proportionnelle à l’amour qu’elle porte malgré tout pour sa famille. La mort de Tiny Tim provoque alors chez elle un anéantissement total. Devenue un personnage tragi-comique, Madame Cratchit est vocalisée par son interprète de toujours, le comédien Frank Oz. En France, le rôle est offert à un artiste masculin, Michel Elias (Gazeem, Achmed, Pumbaa, Zangief).
Les studios Disney remettent le couvert en 2009 avec Le Drôle de Noël de Scrooge conçu en partenariat avec le réalisateur Robert Zemeckis et sa société de production ImageMovers Digital. Le rôle de Madame Cratchit est exactement le même que dans l’œuvre originale de Charles Dickens, adaptée à la lettre.
Usant de la technique de la motion capture, Le Drôle de Noël de Scrooge offre la part belle au comédien Jim Carrey qui interprète le rôle principal d’Ebenezer Scrooge mais aussi chacun des trois Esprits de Noëls à qui il prête ses traits en plus de sa voix. Madame Cratchit est pour sa part jouée par Lesley Manville (The Crown, Maléfique, Une Robe Pour Mrs. Harris). En France, elle est vocalisée par Évelyne Grandjean (Madame Coccinelle, Madame La Fuite, Dang Hu).
Pauvre femme entièrement dévouée au bonheur de sa famille, Madame Cratchit est un personnage à qui les studios Disney ont offert un traitement somme toute très particulier. Totalement effacée dans Le Noël de Mickey, elle devient en effet un personnage comique dans Noël Chez les Muppets avant d’incarner avec désespoir tout le malheur de son temps dans Le Drôle de Noël de Scrooge.